école numérique

Qu’est-ce que le numérique à l’école ? « Ce n’est  pas qu’un lexème, un bibelot d’inanité sonore. C’est une réalité très concrète. Le numérique assiste notre venue au monde. » Yann, prof de français, a mené l’enquête. De l’arrivée du numérique sur les bancs de l’école aux diverses exploitations pédagogiques possibles, il nous raconte tout.

L’omniprésence du mot «numérique» n’a pu vous échapper.

On le trouve dans le projet de loi pour la refondation de l’École. Il fut autrefois signe inquiétant de fracture. Il est aujourd’hui l’objet de réflexions très avancées de la part de grands intellectuels (Michel Serres, Bernard Stiegler, Serge Soudoplatoff…). Il sera peut-être l’objet, après l’autisme ou l’illettrisme, d’une Grande cause nationale.

Ce n’est d’ailleurs pas qu’un lexème, un bibelot d’inanité sonore. C’est une réalité très concrète. Le numérique assiste notre venue au monde. Il nous guide par le truchement d’une puce GPS, assure notre protection lorsqu’il ajuste la trajectoire de notre véhicule. Tout est numérique : nos paiements, notre cuisine et même nos villes.

L’on pourrait multiplier à l’envi les exemples. Mais, à y bien réfléchir, qu’est-ce que ce «numérique» dont on nous rebat les oreilles ? De quoi s’agit-il exactement ? Et plus précisément qu’entend-on par «le numérique à l’école» ?

Le passage de l’informatique au numérique

Je vous ferai grâce d’une définition puisée dans le dictionnaire. Cependant, puisque nous avons commencé par évoquer le projet de loi du ministre de l’Éducation nationale, je voudrais faire un peu de spéléologie politique et atteindre l’année 1985. L’année du Plan Informatique pour tous.

Numérique : Thomson MO5Or l’informatique, tout le monde sait ce que c’est : des machines, des 0 et des 1, des langages, des logiciels, etc. Le numérique, c’est plus compliqué. Bien sûr, dans la définition que je ne vous ai pas donnée, on trouverait aussi les 0 et les 1, mais est-ce tout ? De 1985 à 2013, on aurait juste assisté à une substitution lexicale ? Un simple synonyme ?

Heureusement, comme personne ne se paye de mots, le passage de l’informatique au numérique a un sens, selon la double acception du terme : une direction et une signification.

En effet, depuis 1985, on sait où l’on va. On ne répétera pas les mêmes erreurs. On admet qu’il ne suffit pas d’équiper en ordinateurs des établissements. Sans formation des professeurs, le seul équipement informatique ne changera pas l’enseignement. Il ne saurait s’agir d’enseigner le Basic ou quelque langage de programmation que ce soit. Aussi avons-nous délaissé ce vain mot «informatique» au profit de «numérique», chargé à lui seul de toutes les promesses d’une école plus appropriée aux défis actuels, plus juste, plus efficace.

De quelle façon l’injonction du passage au numérique remplira-t-elle cet objectif ?

En énumérant les possibilités offertes par le numérique à l’école, nous devrions parvenir à définir ce mot employé partout, tout le temps. Naturellement, on n’épuisera pas le sujet, mais on y verra peut-être un peu plus clair.

Potentiel numérique

En faisant entrer le numérique à l’école, l’enseignement permettra de différencier la pédagogie (l’enseignant ne peut pas se démultiplier, mais il peut confier aux élèves certaines tâches à réaliser sur des ordinateurs ou des tablettes). En procédant ainsi, il dégage du temps pour les plus démunis. Et par là même, il contraint les élèves à devenir autonomes : ils doivent effectuer certains travaux et, tant que le professeur ne s’est pas penché sur leur travail, celui-ci doit être effectué avec la précision et le sérieux requis. De surcroit, les élèves apprennent à rechercher l’information, et non attendre la becquée professorale.

Le numérique étant éminemment socialisant, l’élève communique, partage ses connaissances, soutient l’élève en difficulté. Il partage donc ses compétences. De la même façon, l’enseignant communique avec la famille : s’écrire ou même se parler évacue les difficultés, les doutes, les errements. Pour ma part, je préfère que l’on m’écrive, chez moi, à l’heure que l’on veut, plutôt que de trouver le lendemain matin un élève dont le désarroi découle de son incapacité à avoir fait son travail. Ainsi, on accompagne les élèves que personne ne peut aider à la maison. Enfin un peu de justice dans l’enfer dominical des devoirs ! Au reste, comme mes cours sont tapés sur mon iPad et vidéoprojetés, il m’est très facile de les envoyer par courrier. Je pourrais même filmer le cours, et le transmettre aux absents, qui n’ont pas toujours tort et sont parfois longuement alités.

Numérique : des élèves travaillent avec leur iPad

Dans le même ordre d’idée, le numérique permet d’aider les élèves en situation de handicap. Les tablettes permettant de changer la police, de l’augmenter, de faire lire le texte ne pouvant être lu par l’élève malvoyant, tout un public scolaire ne se laisse plus ostraciser.

On voit ainsi que la classe s’ouvre sur l’extérieur puisque le cours est accessible, transmissible, et qu’il se poursuit hors des murs scolaires. La classe s’ouvre donc sur le monde. Les tweetclasses en sont un exemple, elles qui questionnent d’autres enseignants, d’autres élèves du monde entier, correspondent en temps réel.

Avec internet, l’information (et non le savoir) est à portée de clic. L’élève le porte même dans sa poche, dans un téléphone cent fois plus puissant que ceux qui ont amené l’homme à marcher sur la lune. Quand un élève, faisant une rédaction, a besoin de telle ou telle information, je lui rappelle que cette information attend juste qu’il la recherche. Ainsi, on apprend partout : chez soi, à l’école, dans le bus… Et toutes ces informations ne demandent nullement à entrer de force dans la tête de l’élève. Le gavage cognitif est frappé d’inanité. Cela, par exemple, est certes très beau et très gratifiant de savoir des poèmes par cœur, mais cela ne sert qu’à une chose : savoir des poèmes (et c’est très important). Or ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Il s’agit de concevoir que l’information est externalisée : des zettaoctets de savoir sur le web accessibles en deux clics. Qui a encore envie d’apprendre par cœur les départements et leur numéro ? Et surtout, l’information est multiple : mon professeur sait, mes parents savent, Wikipédia sait, l’internaute que je sollicite sait. Force est de reconnaître la multiplicité de l’autorité.

Enfin, les tablettes, les ordinateurs favorisent la créativité. Faites l’essai avec telle ou telle application. Demandez aux élèves d’en faire quelque chose. Vous serez surpris de voir à quel point le numérique s’étant débarrassé de ses oripeaux techniques permet de faire de belles choses simplement et efficacement. Et l’enseignant ne se dérobe pas : classe inversée (ou Ernest ou Treize minutes), MOOC, etc. Il y a là une exubérance gargantuesque, un désir inassouvi de faire cours.

In fine, le numérique ne permet-il pas d’accéder à la beauté artistique ? Vous qui êtes né dans les années 70 ou 80, vous êtes-vous déjà émerveillé, à l’école, de la splendeur de tel tableau ? De tel manuscrit enfermé dans les coffres-forts de la BNF ? De tel film en haute définition ? Eh bien ! non, puisque vous n’aviez que cette photocopie ou cette télé à tube cathodique juchée sur l’armoire du coin de la classe ! Quant aux merveilles de la BNF, vous n’y aviez simplement pas accès.

Esquisse d’un définition du numérique

Il est temps de conclure.

Le numérique à l’école n’est pas un outil, une machine ni même un réseau ou je ne sais quoi encore. Ou, en tout cas, pas seulement. Non, le numérique, c’est la pédagogie réinventée grâce à la tekhnê. C’est accompagner les élèves (mais aussi les parents et tout adulte désireux de savoir), non plus à pied comme le faisait l’esclave emmenant l’enfant à l’école, mais librement sur les réseaux d’ordinateurs.

Ainsi, le numérique est ce qui fait exploser le cadre spatiotemporel scolaire. L’élève, mais aussi l’adulte apprend partout et tout le temps. Le numérique fait voler en éclat l’autorité du maître. Bien sûr, celui-ci sait davantage de choses que son élève, mais ni plus ni moins que les milliers d’enseignants qui diffusent leurs cours à tout-va et de toutes les manières possibles. Le numérique est démocratique. Personne n’est plus délaissé en raison de son handicap ou de ses difficultés. L’informatique pure s’est effacée, on n’achoppe plus sur une difficulté technique pour faire un beau livre, une belle photo, un film, un site web, etc. On peut alors faire de belles choses et jouir de leur beauté.

Numérique : Squelette et son ordinateur

Il ne reste plus qu’à permettre à l’école de trouver le loisir (c’est le sens du mot «école» d’y accéder, à faire comprendre aux élèves à quel point toutes ces choses sont nécessaires, désirables et fondamentales, que le numérique n’est pas qu’un objet de divertissement, que l’injonction sociétale à prendre son pied n’est pas contradictoire avec le fait de se prendre la tête.

Notre élève doit donc devenir un citoyen numérique éclairé, conscient des enjeux dont personne ne peut dire où ils nous mèneront. Tout au plus sait-on, depuis l’affaire Snowden, que le numérique nous expose. Si nous n’y prenons garde, l’homo numericus risque de se retrouver dans une nudité numérique totale.

Ainsi, le numérique est un pharmakon. À la fois remède et poison, il nous promet le pire et le meilleur.

Dites, chers collègues, avez-vous connu période plus exaltante ?

Source des illustrations :

 

 

4 réponses

  1. Bonjour,

    J’aimerais être aussi enthousiaste que vous sur le potentiel immédiat de ces nouvelles technologies mais cependant il y a 4 facteurs qui me viennent en tête qui freinent cette évolution éducative prometteuse :

    1) Une formation à part entière du corps enseignant est nécessaire sur les pratiques des médias sociaux et la création cette filière va demander du temps.
    2) la relation adulte (l’enseignant)- élève est indispensable dans la socialisation de l’enfant et ne peut donc être mis sur un pied d’égalité.
    3) il faudra sans doute trouver des investissements financiers innovants en période de restrictions budgétaires.
    4) je pressens un décalage croissant entre l’évolution presque asymptotique de la technologie éducative et l’évolution progressive des mentalités à la fois des enseignants et des élèves.

    Cependant, nous avons effectivement tout intérêt à moderniser le système éducatif à l’instar de la Corée du Sud mais avec une volonté politique et publique assez forte pour remporter une adhésion collective assez large.

    Cdt.

  2. Bonjour,

    merci pour cet article, mais je ne serais pas aussi enthousiaste cher collègue. Surtout parce que la réalité du terrain est plus terre à terre. Dans mon établissement il n’y a que la salle informatique qui permette cet accès, mais ils quand sont 30 par classe, c’est bien difficile de faire de la pédagogie différenciée – mais j’admets que c’est motivant, que les élèves avancent à leur rythme. Donc des tablettes en classe, c’est chimérique !
    Ensuite, il est vrai qu’il est difficile d’aider les élèves en difficulté en classe, qu’ils n’osent pas le dire, qu’il faut leur apprendre à apprendre, etc. Pour autant passer par un écran est-il vraiment une solution ? Je demande à voir… Le problème est aussi qu’on en fait souvent un absolu, un but en soi, ce malentendu est fâcheux car pour moi c’est un outil, intéressant certes mais un outil. Donc pas la panacée, ça se saurait. Un TBI dans une classe, c’est très pratique, çamais cela reste un tableau.

    Entièrement d’accord par contre pour le constat que le savoir s’est élargi, démocratisé, c’est un fait et nous ne reviendrons pas en arrière. Sans que cela soit une becquée, il reste que la confrontation entre un enfant et un enseignant (et une classe) par l’esprit mais aussi de fait par le corps.

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