C’est dans une classe de CE2 et nous travaillons sur le repérage dans le temps. Avant de leur présenter des frises historiques, je propose aux élèves de remplir en classe et surtout de compléter à la maison avec l’aide de leurs parents une frise de vie. Elle commence en 2006 pour la plupart d’entre eux. A chaque case correspond une année et je leur demande de trouver des éléments marquants qui se sont déroulés cette année-là. Nous insistons aussi sur le fait que la flèche signifie que le temps continue, elle représente le futur et, l’an prochain, il faudra ajouter la colonne 2015 avant la flèche. J’obtiens un petit succès en leur montrant la relativité de la notion de futur : le temps de dire que je vais faire tomber le stylo que j’ai dans la main dans un futur imminent, eh bien je le fais tomber et nous sommes déjà au présent. Il est à présent par terre et le futur n’est déjà plus du présent ; c’est du passé.

frise-chronologique

Bref, quelques jours plus tard, les petits CE2 ont bien fait leurs devoirs. Les frises de vie ont été complétées avec les parents. L’élève satisfait son égocentrisme primaire : il peut enfin raconter sa vie à son Maître et à tous ses camarades ! Pour la plupart, il s’agit de la naissance du petit frère ou de la petite sœur quelque part entre 2008 et 2014. Ceux qui ont le sens de la famille sont allés chercher une naissance de cousin ou de cousine. Les quelques uns qui ont voyagé ne manquent pas d’en faire profiter la classe.

Du grand classique pour la plupart et c’est exactement ce que je leur demandais.

Et puis ça a été au tour de M. puis de S.

M. qui est pourtant une petite élève plutôt discrète nous fait un show. Ça a donné à peu près ceci : « En 2006, je pleurais tout le temps. En 2007, je ne pleurais plus que la nuit. En 2008, je mordais tout le temps. En 2009, je tapais tout le temps. En 2010, j’insultais tout le temps. En 2011, je me battais tout le temps ».

Fous rires dans la classe. Sur le coup je ris aussi, car c’est inattendu. Je fais toutefois remarquer à M. que j’attendais d’elle un événement marquant par an, et non pas un comportement caractéristique d’une année entière. Elle n’écoute pas, toute à son triomphe. Je me demande ce qui a pu pousser les parents à donner ces informations si peu gratifiantes, et m’inquiète un peu de l’origine du plaisir que M. peut ressentir à raconter à quel point elle a été pénible, petite.

J’en oublierais presque S., qui ne lève jamais le doigt mais que je voudrais bien entendre sur le sujet. Je l’interroge. S. esquive : « oh, pas grand chose à raconter ». Mais je vois bien qu’il y a quelque chose écrit sur sa frise. Comme j’insiste, S crache le morceau : « En 2013, mon père a pris son fusil et l’a braqué sur ma mère. Mais il n’a pas tiré. »

L’ambiance est un peu retombée. Vite, je sors ma frise chronologique et je leur fais écrire : Préhistoire, Antiquité…

Vincent, professeur des écoles, auteur et blogueur 

2 réponses

  1. He bien il y a un double effet dans cette prise de risque de « frise de la vie », enfin des enfants trouvent un espace libre pour parler de leur douleur (ce qui est plutôt positif), mais cela suscite les rires des autres et il faut mettre des mots sur tout ça pour que les moqueries cessent car le vécu de certains dérange.
    situation difficile a gérer que faire ? se taire, changer de sujet…..dommage, c’est l’occasion ou jamais, il faut beaucoup de conscience , de présence d’esprit, de réactivité dans de telles situations.
    je pense que pour la petite fille il y a derrière ce qu’elle dit une vraie maltraitance qui mérite d’alerter les services sociaux, voir le juge des enfants , Un enfant ne peut écrire cela sans raison, ces mots sont graves et il y a une progression terrible dans ce qu’elle dit !

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