C’est ma faute aussi : à chaque rentrée scolaire je leur apprends Les Petits Papiers. Nous faisons poésie, chanson, vocabulaire et histoire des arts en même temps, et puis ce sont quatre accords et c’est plutôt facile à chanter. Les élèves qui chantent Régine dans la cour de récréation, c’est ma petite réussite du mois de septembre.

Le problème se noue quand ils commencent à se les faire passer, les petits papiers. Ça leur prend en général au CM1, mais le geste n’est pas encore sûr et le réseau d’information clandestin n’est pas maillé : on s’échange des mots entre voisins directs ; non, d’ailleurs, plus souvent entre voisines, et l’on pourrait aussi bien se dire la chose à l’oreille.

Le système est plus élaboré au CM2 : passé le mois de janvier, il arrive que des mots passent de mains en mains d’un bout à l’autre de la salle de classe par le truchement d’élèves plus ou moins consentants. Ceux qui refusaient de collaborer au CM1 parce qu’ils aimaient trop leur maître ou qu’ils avaient peur de se faire attraper (et si c’était simplement qu’ils voulaient l’écouter ?) ont fini par céder sous la pression des populaires de la classe. Si t’es pas un bolos (et que tu veux pas te faire démonter à la récré), laisse parler les petits papiers.

Voir certains élèves faire les petites mains quand je les croyais au dessus des soupçons me fait un peu mal au cœur. Ils sont passés de ma férule à celle des petits mafieux de la classe. Certains passeurs agissent machinalement, comme le guetteur surveille son hall d’immeuble. En tirent-ils vraiment de la considération ?

Ma réaction face à aux petits papiers pliés varie selon mon humeur, selon la classe, la météo, mon degré de fatigue et ma perception de ce genre de forfaits. Il m’arrive de fermer les yeux. Il m’arrive aussi de m’emporter et d’essayer d’attraper l’objet délictueux mais les filous s’en débarrassent en un éclair : c’est jeté dans le cartable ou au fond d’une poche, et je ne vais pas fouiller les poches des élèves de CM2.

Et puis il m’arrive de mettre la main sur des petits papiers. L’embarras de l’élève qui s’est fait pincer me fait en général penser qu’il s’agit de moi, de ma tronche, de mes cheveux mal coiffés, je redoute des insultes convenues à mon adresse, ou bien qu’on me croque sous la forme d’un grand dadais hirsute et sans sourire. Mais non, il n’est jamais question du maître dans les petits papiers. En fait ils m’aiment bien.

Sur les mots, en général, on lit que Kevin love Emma ou que Farès n’est plus le pote de Riyad. On s’interroge aussi sur qui sera goal à la récré et l’on se rassure, beaucoup : t’es ma best friend pour la vie, ou bien je te préfère à Shérahazade.

Dans les petits papiers des élèves, moi l’aîné, je suis le cadet des soucis. L’école aussi, l’orthographe en particulier. Je le leur dis, alors : quitte à ce qu’ils se fassent passer des petits papiers, qu’ils le fassent discrètement, d’une part, et dans un français correct, de l’autre.

Je ne suis pas certain d’être entendu.

3 réponses

  1. Moi je ne les lis jamais ! Je me contente de les prendre, de les déchirer et de prévenir que la prochaine fois c’est la punition !
    C’est peut être lâche , j’avoue , mais en même temps cela m’évite de lire des propos malveillants ou des petits secrets d’enfants qui ne me regardent pas ! 🙂

  2. Bonjour cher collègue !

    ce n’est pas très étonnant, et au fond, ça rassurerait presque ! Car si en 6ème on constate une trêve en début d’année – c’est qu’on est chez les grands, qu’il y a beaucoup de professeurs, qu’il faut comprendre où écrire, de quelle couleur, et parfois comprendre qu’il faut écrire la leçon ! Alors pas le temps de tout faire…
    Tout dépend des classes, et l’année avançant les « petits » s’enhardissent… pour devenir de véritables gladiateurs dès l’année suivante ! Seul le support change : le papier a remplacé les murs (quoique), la mobilité s’organise. Une seule question valable : qui sort avec qui ? qui a un physique prometteur, croquis à l’appui ? Mais être mirmillon ne s’improvise pas, mes interceptions sont rares ! donc triomphales, direction la poubelle. Ou bien ma poche, en attendant l’interclasse pour établir le carnet rose de la classe ; on ne se refait pas !

  3. J’ai beaucoup aimé la chronique de Vincent Papalion car c’est une histoire que tous les instits, les profs ont vécue. Une tranche de vie.
    J’ai vécu le même problème quand en début d’année j’apprenais à mes élèves à fabriquer du papier recyclé. et on apprenait la chanson de Gainsbourg.
    L’allusion aux réseaux mafieux est intéressante. Fais gaffe mec, si tu ne veux pas , je te casse la gueule à la récré.
    Dernièrement, j’ai découvert  » l’école inversée »
    Vous connaissez?

    A plus.

    jacques.

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