Un vendredi d’avant les vacances

La sonnerie de 8 heures retentit, je vais dans la cour chercher ma classe de troisième. C’est la fin de la séquence poésie. Ma mission pour cette séquence, et particulièrement cette dernière séance ? Leur faire comprendre que la poésie c’est avant tout des mots, des images, des histoires, que connaître un poème par cœur, c’est un luxe que peu de gens connaissent, et que la poésie ce n’est pas seulement un texte avec des rimes, qui ne sert à rien. Mission impossible ? Pas si sûr !

Bougies

Pour réaliser cette mission, il vous faudra : des recueils de poésie, une salle de classe, des volets roulants, un ordinateur relié à internet et à un vidéoprojecteur, des enceintes, 3 lampes de chevet, 2 guirlandes électriques, 2 multiprises, 1 rallonge électrique, des radiateurs à fond, des élèves qui connaissent un poème par cœur (et un raton laveur ? N.D.L.R.).

Etape 1 : Choisir un poème à apprendre

Dans le cadre de votre séquence poésie, demander aux élèves de choisir un poème à apprendre par cœur. Ne pas hésiter à leur prêter vos recueils personnels, car le CDI, quand même, est un lieu dangereux, ils ne s’y aventurent pas tous. Leur laisser du temps. Choisir un poème ne s’improvise pas. Jongler entre les Pablo Neruda, Baudelaire, Mahmoud Darwich (mon chouchou), et les aider à retrouver le poème qu’ils ont appris en primaire mais qu’ils aiment «trop ».

Etape 2 : Apprendre le poème

Rappeler régulièrement aux élèves qu’ils doivent apprendre un poème par cœur. Aider ceux qui ont du mal. Rappeler les différentes techniques pour apprendre un texte par cœur. En début d’heure, demander à quelques élèves de réciter une ou deux strophes, pour s’échauffer. Une semaine avant le jour J, annoncer aux élèves qu’on va faire un « récital poétique ». Rester flou sur le concept de « récital poétique ». S’assurer de connaître soi-même un poème.

Etape 3 : Le jour J : changement de décor

Le jour prévu pour le récital poétique, arriver au collège à 7 h 30, pour être sûre de ne croiser aucun élève. Monter incognito dans sa salle de classe et, contrairement à d’habitude, ne surtout pas ouvrir les volets roulants. Sortir de son sac 3 lampes de chevet, 2 guirlandes électriques, 2 multiprises et une rallonge. Brancher les lampes et les guirlandes à différents endroits stratégiques, vérifier qu’on obtient une ambiance tamisée, mais qu’on arrive quand même à y voir quelque chose. Allumer l’ordinateur, aller sur YouTube et préparer le feu de cheminée. Vérifier que les enceintes fonctionnent et retransmettent le doux crépitement des flammes.

Etape 4 : Faire comme si de rien n’était

Éteindre et cacher les lampes, débrancher les guirlandes, éteindre les enceintes et l’écran de l’ordinateur (mais pas l’ordinateur!), mettre le vidéoprojecteur en veille. Attendre que ça sonne avec fébrilité, parce que, quand même, c’est un peu dingue cette histoire de récital poétique, on en a parlé à aucun collègue parce qu’on trouvait ça un peu fou. Stresser à l’idée que les élèves ne jouent pas le jeu, qu’ils trouvent cette installation ridicule. Croiser les doigts, et y croire quand même. Aller les chercher dans la cour. Les faire se ranger devant sa salle, attendre le retour au calme, les faire s’asseoir, faire l’appel.

Etape 5 : Leur demander ce qu’on va faire aujourd’hui

Les écouter répondre : « on va réciter nos poèmes », « on va avoir une note », « on va passer devant tout le monde ». Entendre l’appréhension dans leur voix, et guetter leur surprise lorsque vous annoncez que non, vous n’allez pas les noter, et que, non, décidément, vous n’imaginiez pas ça devant le tableau. Leur demander si, à leur avis, la classe se prête bien à un « récital poétique ». Est ce que la lumière leur convient ? Une élève suggère que les néons font un peu trop « hôpital ». Les autres sont d’accord. Un autre dit qu’il faudrait de « la lumière tamisée ». Sous leurs yeux éberlués, sortir de sous le bureau une première lampe de chevet, l’allumer. Puis sortir la deuxième. Allumer la troisième. Brancher les guirlandes électriques. Éteindre les odieux néons. Leur demander si c’est mieux. Oui. Aller au fond de la salle et s’installer comme eux, face au tableau. Leur dire qu’ils vont dire leur poème chacun leur tour, en restant à leur place. Demander s’il y a quelqu’un qui souhaite commencer.

Etape 6 : Mettre le feu

Écouter le silence pesant qui suit cette demande. Le laisser planer un moment. Puis, faire comme si l’idée venait de vous traverser l’esprit, et proposez leur d’allumer la cheminée, pour une ambiance plus cosy. Sous leurs regards interloqués, retourner au bureau, allumer le vidéoprojecteur et les enceintes, et laisser le crépitement du feu de cheminée recouvrir le silence petit à petit. Retourner au fond de la salle. Inviter un élève à dire son poème. Puis un autre. Puis une autre. Ne pas oublier de réciter soi-même son poème préféré. Laisser les voix hésiter, se reprendre. Tous ont joué le jeu, sauf deux. Au fond de la salle, dans la pénombre, sourire tranquillement.

Etape 7 : Tout ranger… ou pas

Guetter l’heure et les remercier pour cette séance avant que la sonnerie n’interrompe ce moment. Leur souhaiter de bonnes vacances. Les laisser ranger leurs affaires. Commencer à ranger les miennes. Éteindre les lampes. Les entendre me supplier de tout laisser en place. Leur dire que leur prof d’espagnol, qui a cours dans cette salle avec eux dans 5 minutes, ne sera peut-être pas de cet avis. Entendre la-dite prof d’espagnol qui vient d’arriver s’exclamer : « Mais c’est génial ici, qu’est ce qu’il se passe ? ». Lui expliquer en deux mots. Entendre les élèves lui demander de tout laisser en place. Lui demander si elle est d’accord. Elle l’est. Partir sur la pointe des pieds, ils ont contrôle. Se dire que la vie est belle.

… et apprendre qu’ils ont fait leur contrôle d’espagnol au coin du feu !

Une chronique de Cécile Thivolle-Gonnet

6 réponses

  1. J’adore le concept !!
    nous avons conduit un projet conte avec nos élèves de troisième et un collègue, et cette ambiance tamisée conviendrait parfaitement au conte final…
    Voilà de quoi les mettre dans l’ambiance des conteurs du siècle dernier où la fée électricité n’avait pas encore fait son entrée dans le foyer et le conteurs était celui qui nous faisait rêver, voyager, penser….

    et je suis d’accord avec Jacques : nous demandons tous les jours à nos élèves de se mettre en danger alors pourquoi pas nous ! Qui ne tente rien n’a rien et sur une classe de trente, même si 5/6 aller 8 élèves n’adhèrent pas, est-ce une raison pour priver les 25 autres de ce plaisir ??

  2. Merci pour ce récit de vie de classe qui donne envie. En le lisant je me disais « il fallait l’oser! ». Et c’est là que nous enseignants sommes bien limités dans nos idées de ce qu’est un cours.
    Nous sommes en représentation à longueur de journée, devant un public qui n’est pas conquis d’avance… mais nous ne soignons ni le décor ni la mise en scène. Erreur énorme !! Obnubilés par le contenu, le noble savoir, nous reléguons à l’arrière plan la présentation (chose que nous reprochons souvent aux copies de nos élèves par ailleurs…) pour n’offrir qu’un message indigeste, voire rebutant dans sa forme.
    Osons être un peu inventifs, surprenants, drôles, spectaculaires. C’est remettre de la vie dans nos classes.

  3. <>
    Collegealaric 11 . je ne suis pas d’accord avec vous.
    Ce n’est pas une question de chance, c’est une question de volonté;
    La collègue qui a osé faire ce qu’elle a fait a eu l’envie très très forte de le faire.
    Elle l’a fait parce qu’elle est gonflée. Elle pouvait se planter. Mais ce sont nos erreurs qui nous aident à avancer.
    Qu’est ce que je risque?
    Je ne sais pas et je m’en fous?
    J’ai envie de le faire, je ne me pose pas de question, je fonce.

    Et ça marche parce que les élèves ont senti l’importance et la vérité de la démarche et comme au fond d’eux même ils sont toujours prêts à s’enthousiasmer, alors ils ont osé. Ils ont suivi et ils se sont régalés

    Les élèves s’ennuient au collège.

    Nous les prof, nous n’avons rien de super à leur proposer.

    <>

    Quelle connerie.

    J’aurais aimé avoir à l’école une prof de français qui me fait écouter le crépitement des brindilles sèches devant un feu de bois.

    <<Oui, mais je ne peux pas, c'est pas au programme et mes élèves ne comprendraient pas ce que je leur propose. Ils sont tellement habitués depuis la maternelle à subir ce qu'on leur propose …
    Un animal qui est né dans un zoo et qui ne connaît que les grilles de sa cage et qui subit chaque jour le regard idiot des visiteurs ne retournera jamais dans la savane.

    Nos élèves, c'est un peu ça.

    L'école, ce n'est pas la vraie vie.

    Un menuisier qui travaille mal fera rapidement faillite. Je ne connaîs aucun prof ( je fais partie du lot ) qui fasse faillite.
    Et c'est dommage.

    T'es nul, dégage…

    Dans les écoles privées, c'est différent.
    Les élèves sont aussi et avant tout des clients. Les parents paient, et cher.
    Il faut brosser les parents dans le sens du poil, sinon vous perdez un client.

    Bref j'admire cette prof de français qui travaille par passion et qui fait ce qu'elle a envie de faire et qui trouve les moyens de le faire.
    Bravo et merci car vous me faites rêver.

  4. Moi qui adore la poésie, et fais partie de plusieurs groupes de poésie, de lecture, et d’écriture, je me dis quelle chance vous avez d’avoir pu faire cela!
    Difficile de faire de même avec mes élèves, même ceux de troisième…. In English. Oh, bien sûr, je leur en ai fait apprendre, mais court, et tous le même. Ils sont si peu volontaires que toute leçon un peu inhabituelle leur semble soudainement trop ardue, incomprehensible. Je suis dans une région où le rêve de beaucoup d’élèves est, en langues, de ne faire que de l’espagnol, snif!
    Bravo pour cette initiative qui a certainement dû changer de facon durable leur regard sur l’écriture en vers.

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