Du livre à l’écran, destinée tragiques et femmes fatales : Madame Bovary et Macbeth

À l’occasion des dernières adaptations de Madame Bovary et Macbeth au cinéma, Le Livre de Poche vous propose de redécouvrir ces chefs-d’œuvre de la littérature ! Ne serait-ce pas aussi le moment opportun pour étudier ces textes en classe ? Karel vous donne justement des pistes approfondies à exploiter auprès de vos élèves de collège et de lycée. Pourquoi faut-il encore lire Madame Bovary et Macbeth ? Pourquoi aller voir ces adaptations ? Vos élèves (et vous ?) devriez être convaincus à la fin de cette chronique…

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[item title= »Madame Bovary« ]

Madame Bovary de Gustave Flaubert, un classique de la littérature française à (re)lire avant d’aller voir le film :

flaubert_bovary_livre_de_poche« Emma aima… », allez-vous l’aimer ?

Quelle gageure de divertir le spectateur avec l’ennui d’Emma Bovary ! Se pose alors un paradoxe : comment représenter à l’écran le « Livre sur rien » ? En effet, Gustave Flaubert nous rappelle ses intentions en écrivant Madame Bovary, dans une lettre à Louise Colet : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style. » Filmer ce néant, ce vide et l’ennui existentiel, permet au film de s’engager dans une esthétique bien particulière. Les costumes resplendissants et le bucolique des décors normands viennent pallier le manque de profondeur de la vie d’Emma. Ainsi, l’effeuillage, l’habillage et l’art du paraître du personnage principal sont au cœur de l’action. Paradoxalement, dans le film, le faste des toilettes est un témoignage du vide intérieur du personnage éponyme. Les costumes dans lesquels elle parade sont donc symptomatiques de l’ennui qu’elle tente de tromper à l’instar de son mari… L’affiche place ostensiblement le personnage en parangon d’élégance et de raffinement. Chapeau mauve, voilette violette. Emma est aveuglée par son désir de plaire.

Sophie Barthes, la réalisatrice du film Madame Bovary, sorti le 4 novembre 2015, n’est pas la première à s’attaquer à ce monument de la littérature et s’inscrit dans la fameuse lignée de Jean Renoir en 1933, Vincente Minnelli en 1949 et Claude Chabrol en 1993. Plus récemment, Gemma Bovery d’Anne Fontaine proposait une adaptation aussi fraîche et infidèle qu’Emma… Sophie Barthes se situe à mi-chemin entre ces deux tentations. Ce qu’elle propose est une belle variation de Madame Bovary de Flaubert : fidèle à l’esprit et à la lettre du livre, elle émaille son film de légers changements qui font fluctuer le sens pour en réveiller et en renouveler la puissance des interprétations.

Qui est cette Emma Bovary ?

Le personnage du roman de Flaubert écrit en 1856 est le prototype de la femme qui se marie et s’ennuie. Rien ne peut plus la divertir, si bien qu’elle se laisse tourmenter par les démons de l’adultère et de la dépense. Flaubert se retrouve en procès en 1857 pour outrage aux bonnes mœurs : le XIXe siècle n’est pas encore prêt à lire les aventures d’une anti-héroïne qui remet en cause les liens sacrés du mariage, d’une femme qui se conduit comme un homme, avide de libertés, en somme, une prosélyte moderne de l’amour libre. Pourtant, on peut également lire ce livre comme une condamnation de la vanité du personnage d’Emma, comme un couperet au bovarysme, maladie de l’ennui et de l’oisiveté. Dans cette ambiguïté sur les intentions de Flaubert réside sûrement toute la force de ce personnage tragique intoxiqué par ses propres faiblesses…

En quoi Emma est-elle résolument moderne ? Et pourquoi faut-il ENCORE lire Madame Bovary ?

On peut aisément, avec le recul de notre temps, envisager rétrospectivement Emma Bovary comme un avatar du féminisme. Emma est l’incarnation du paradoxe et de la complexité féminine : amoureuse et infidèle, n’hésitant pas à transiger avec les règles d’une société intransigeante, affirmée et effacée à la fois, juvénile et austère, ennuyeuse et passionnée, elle est l’archétype d’un féminisme flamboyant dont la flamme vacillante est prête à s’éteindre…

Justement, quoi de plus moderne qu’un « livre sur rien » ? Le bovarysme ou l’ennui métaphysique, la solitude qui génère la recherche crescendo d’un divertissement toujours plus sensationnel, ne sont-ils pas encore et toujours au cœur de notre société ? Ce livre pose des questions atemporelles et a le mérite de ne pas y apporter de réponse mais juste une ironie féroce qui force la philosophie du lecteur. Finalement, c’est le prototype du livre sur rien qui vous fera réfléchir à tout…

Pourquoi aller voir le film ?

Jurer fidélité au roman de l’infidèle en changeant paradoxalement le début et la fin du livre, là réside peut-être le génie du film ! En effet, s’il conserve l’esprit flaubertien, il s’attache à surprendre et à frustrer le spectateur qui attend l’action convenue au tournant ! Si le roman nous fait participer avec Rodolphe à l’écriture de la lettre de rupture et nous propose de partager intimement avec Emma le bouleversant moment de la lecture, le film se plaît à nous désarçonner en mettant simplement en scène le moment silencieux de la lecture en toute pudeur. Le spectateur voit Emma lire la lettre mais ne l’entend pas prononcer son contenu. Pas non plus de lecture en voix off avec la voix de Rodolphe qui résonne. Le spectateur reste étranger à cette lettre, habilement mise à distance. Subtile manière de nous renvoyer sans ambages au roman, de susciter insidieusement l’envie de se repaître des mots de Flaubert en aiguisant notre curiosité ! En définitive, le film se réclame d’un roman qu’il ne cesse de décliner et de réinterroger. Exit, l’incipit poussiéreux avec l’analepse de Charles enfant qui se ridiculise dans sa nouvelle école ! Censuré, le bal à la Vaubyessard, et remplacé par une truculente chasse à courre ! Envolée, Berthe, la fille d’Emma ! Aux oubliettes, la tripotée de personnages secondaires ! Inéluctablement, le film se recentre et se resserre autour du protagoniste Emma et de sa tragédie…

La peinture des personnages sonne plutôt juste. Emma, incarnée par Mia Wasikowska, est au summum de ses contradictions : flamboyante sous son teint diaphane. Charles (Henry Lloyd-Hughes) est le parangon du mari ennuyeux. Une mention spéciale est décernée à Rhys Ifans pour son interprétation truculente de Monsieur Lheureux, marchand de nouveautés, ou plutôt, requin machiavélique à l’origine de la déchéance sociale du couple Bovary… Seul Homais (Paul Giamatti) ne trouve pas sa place au sein du film. Très en retrait, il n’est pas à la hauteur du pharmacien opportuniste et sans vergogne du livre.

Pistes pédagogiques à exploiter en classe

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[item title= »Macbeth« ]

Macbeth de Shakespeare continue de vous envoûter au cinéma avec l’adaptation de Justin Kurzel

macbeth_shakespeare_livre_de_pocheD’après la légende, prononcer le nom « Macbeth » dans un théâtre porterait malheur, tout comme porter du vert sur scène. Curieuse anecdote qui vous laisse jauger le pouvoir mystique de la pièce sur les esprits ! Un classique mondial à (re)lire avant de se laisser subjuguer par le film grâce à cette édition du Livre de Poche à petit prix et dont la couverture met en exergue l’affiche du film.

Shakespeare, un mythe littéraire ?

Certainement le plus grand écrivain anglais de tous les temps ! Poète et dramaturge du XVIe et XVIIe siècle, il est à l’origine de chefs-d’œuvre universels tels que Hamlet, Macbeth, Othello, Le Roi Lear, Roméo et Juliette pour les tragédies et La Mégère apprivoisée et Songe d’une nuit d’été pour les comédies. L’influence de ce symbole de la culture occidentale sur la littérature a été maintes fois soulignée. Des rapprochements entre La Comédie humaine de Balzac et les tragédies de Shakespeare ont d’ailleurs été pointés par les critiques. D’autres se sont lancés dans une polémique des plus controversées : Shakespeare est-il vraiment l’auteur de ses pièces ? En d’autres termes, Shakespeare est-il une seule et même personne ou plusieurs écrivains ? Faisons fi des querelles littéraires pour s’attarder sur le chef-d’œuvre que constitue Macbeth !

Qui est Macbeth ?

La pièce de Shakespeare écrite en 1606 s’inspire de la biographie du roi des Pictes, Macbeth, souverain écossais du XIe siècle, à laquelle l’auteur anglais surajoute une dimension surnaturelle patente. Dans une guerre qui oppose la Norvège à l’Écosse, Macbeth qui se fait remarquer pour sa bravoure est récompensé par le roi Duncan qui lui décerne le titre honorifique de thane de Cawdor, conformément à la prophétie de trois sorcières. Ces dernières ont également annoncé un destin royal à Macbeth. Quant à Banquo, son compagnon d’armes, il ne sera pas roi lui-même, à l’instar de son acolyte, mais aura le bonheur d’engendrer une descendance royale. Après la bataille, Duncan séjourne chez les Macbeth : il n’en faut pas plus à Lady Macbeth pour fomenter le plan de son assassinat qui viendra accélérer leur glorieuse destinée… Macbeth, de prime abord réticent, ne fera pas longtemps la sourde oreille face à l’esprit de persuasion de sa femme : « Ayez l’air de la fleur innocente, mais soyez le serpent qu’elle cache…» Duncan est donc tué au cours de la nuit par Macbeth qui suit le plan ourdi par sa femme. Macduff et Lenox, deux nobles écossais, découvrent le corps gisant au petit matin. Les fils de Duncan, apeurés et menacés, ont fui craignant pour leur vie, car, ici, « il y a des poignards dans les sourires ». Sur ces entrefaites, les gardes du défunt roi, badigeonnés de sang par Lady Macbeth, sont accusés et exécutés par Macbeth lui-même. Le criminel innocenté est alors sacré roi, en congruence avec la prophétie des sorcières… S’amorce alors le règne d’un tyran hanté jusqu’à la folie par le crime accompli pour se hisser sur le trône et y rester. Duncan et sa descendance neutralisés, Banquo fait désormais figure d’ennemi potentiel d’après la prédiction des trois sorcières : « Tu engendreras des rois, sans être roi toi-même… » Justement, il a un fils : Fléance…

Un nom, deux protagonistes : Deux Macbeth pour le prix d’un !

Macbeth, thane de Glamis est promis à un avenir glorieux. La prophétie des sorcières est sans appel : « Salut à toi, thane de Glamis ! (…) Salut à toi, thane de Cawdor ! (…) Salut Macbeth, qui plus tard sera roi ! » Simple noble campagnard et combattant valeureux, il a pour destin (funeste) de devenir roi. Mais à quel prix…

Lady Macbeth est souvent présentée comme le rôle féminin le plus ardu à interpréter. Épouse de Macbeth, elle est les doigts qui actionnent la marionnette du meurtre. Par le truchement de la séduction et les tirades persuasives, elle prend l’ascendant sur son mari. Elle finira par se suicider, dépassée par la spirale tragique qu’elle vient d’amorcer et le monstre qu’elle a engendré… Tantôt séductrice, tantôt instigatrice du meurtre, tantôt femme tragique, les nombreuses facettes de ce personnage en esquissent la complexité…

Pourquoi relire le livre ?

Tout d’abord, cette pièce du XVIIe siècle est écrite sur le modèle d’une tragédie antique à la grecque ! En cinq actes, elle décline l’histoire saisissante de la genèse d’un personnage tragique en détaillant les étapes de sa métamorphose. En effet, Macbeth, initialement honnête homme pétri d’ambition et d’espoir, devient conspirateur sous l’influence de son épouse puis régicide afin de terminer en despote sanguinaire tourmenté par une folie abyssale ! De surcroît, la notion antique du « fatum », c’est-à-dire du « destin », est exploitée en profondeur dans l’œuvre shakespearienne dont la scène d’exposition s’ouvre sur les trois sorcières. Avatar des trois Parques qui président à la naissance, au destin et à la mort, elles rappellent également le rôle de la Pythie dans l’Antiquité. Alors que l’Œdipe de Sophocle tente d’échapper à son destin en s’appuyant sur les dires de l’oracle, Macbeth et Lady Macbeth vont tout mettre en œuvre pour accélérer leur destin.

Malgré sa forme canonique, cette pièce reste d’une modernité criante ! La soif de pouvoir versus l’honnêteté et l’intégrité de l’individu qui l’exerce est assurément un thème à l’écho retentissant dans la sphère politique… De surcroît, l’ascendance exercée par Lady Macbeth sur son mari rappelle l’ouvrage de Diane Ducret, Femmes de dictateur visant à analyser les interactions entre les relations amoureuses et l’exercice du pouvoir. Finalement, la pièce est une excellente base de réflexion philosophique sur la politique, le pouvoir, l’ambition et la manipulation.

Pourquoi aller voir le film ?

Pour VOIR Macbeth mais aussi surtout pour ENTENDRE Shakespeare ! En effet, le texte n’est pas modernisé, le film s’inscrit comme un acte de conservation de la langue shakespearienne ! Après Orson Welles et Roman Polanski, le réalisateur Justin Kurzel s’attaque à l’adaptation de la pièce au cinéma, non sans aplomb, avec un goût prononcé pour l’esthétisme des plans et un culte certain pour le respect du texte. Marion Cotillard s’en sort avec les honneurs dans l’incarnation de cette femme fatale machiavélique. Elle est à la hauteur du non moins charismatique Michael Fassbender qui campe un Macbeth partagé entre son humanité et la tentation du pouvoir dans la peau d’un véritable guerrier.

De surcroît, ce film tend vers la théâtralité et l’exploite avec bonheur, se servant paradoxalement des ressorts du cinéma afin de dramatiser au mieux l’action. Une place de choix est réservée à la dimension théâtrale et poétique du texte. La célèbre tirade de Macbeth en proie au doute (Acte I, scène 7) est subtilement mise en valeur. L’acteur récite le texte dans un tête-à-tête obsédant avec le spectateur. Le film exerce d’ailleurs forme de fascination grâce à l’aspect pictural des plans dont l’esthétique est travaillée jusqu’à la stylisation la plus aboutie. On peut carrément parler de succession de « tableaux » lors des représentations de batailles. L’alternance entre les paysages gris brumeux et les travellings teintés de rouge sur les scènes de batailles orientent l’interprétation symbolique. Le jeu des filtres est associé à des ralentis qui décomposent la violence extrême des scènes de guerre et met en scène la mort de la façon la plus triviale possible. La musique quelque peu nasillarde parachève de plonger le spectateur dans une ambiance particulière et assure l’ambiance écossaise qui donne la juste « couleur locale » à ce film empreint de magnétisme.

En définitive, la fusion du couple infernal est également habilement mise en scène à l’aide de plans qui se télescopent : les images du meurtre de Duncan accompli par Macbeth sont parasitées par celles de Lady Macbeth qui prie et de chevaux qui se cabrent dans la nuit. Le couronnement de Macbeth est également perturbé par des réminiscences du meurtre de Duncan. Cette possibilité de superposer les images au cinéma signale avec brio, en aparté au spectateur, les dessous scabreux de cet épisode d’apparence glorieuse. Ainsi, grâce à cette façon de filmer, les sens se superposent, se cristallisent, invitant le spectateur à la réflexion critique.

Pistes pédagogiques à exploiter en classe

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