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mysteres_et_boule_de_gomme

Je me présente…

Doctorante à Paris VIII au sein du CEMTI, je travaille sur les manuels scolaires numériques créés pour les tablettes tactiles, à destination des élèves et enseignants du second degré. Mon sujet porte le doux intitulé de : « Concevoir des manuels numériques pour le secondaire : Contextes pédagogiques, pratiques de réception et défis éditoriaux ». J’ai de plus la grande chance d’effectuer cette recherche dans le cadre d’un contrat CIFRE au sein du WebPédagogique.

Devant cette hydre à mille têtes… Que dis-je, ce thème passionnant, foisonnant et complexe, m’est bientôt apparue la nécessité de rédiger de petites chroniques sur les thèmes divers qui nourrissent mon parcours de recherche. Ces billets vous présentent donc, de façon spontanée, des étapes de travail à un instant T. J’espère que ces chroniques vous donneront envie de partager vos réflexions, vos attentes et vos coups de gueule !

Mon sentiment initial est que l’on ne dispose pas d’une base empirique solide sur laquelle travailler au sujet de l’utilisation des manuels numériques sur tablettes : à peine leur conceptualisation achevée, ils entrent en phase de production. On voudrait pouvoir analyser en même temps les besoins auxquels répondent ces outils et leurs effets, sans vraiment prendre en compte le temps dont les enseignants ont besoin pour se les approprier ou construire leurs usages. Comment obtenir un retour d’expérience, dans ce cas ? C’est pourtant ce que les institutions éducatives, le monde de la recherche, le monde politique même, semblent attendre depuis les premiers déploiements effectifs des tablettes tactiles dans les établissements, en 2010. En effet, d’après le dossier Apprendre avec des tablettes tactiles, des TNI… paru sur Eduscol, « […] on comptait environ 15 000 tablettes en expérimentation dans les établissements scolaires (écoles, collèges, lycées) en juin 2013. On en recense environ 130 000 en janvier 2015. »

Après l’injonction institutionnelle constituée par le Plan numérique pour l’éducation paru en mai dernier, et la publication de nouveaux programmes qui font la part belle aux outils numériques, on peut se demander si les tablettes déployées dans les établissements pilotes sont utilisées, si oui, comment, et si non, pourquoi.

Mystère et boule de gomme. Hormis les exemples individuels offerts par quelques professeurs, souvent, les retours des collèges pilotes tardent à venir. Pour formuler des hypothèses sur un sujet si complexe, ne faudrait-il pas prendre un peu de recul et tenter de comprendre ce qui se passe dans les familles, à la maison, dans les vies des élèves et de leurs profs, hors de l’école ?

C’est ce que propose l’approche sociocritique des usages numérique à l’École[1], un courant de recherche situé entre la sociologie des usages et les sciences de l’éducation, qui vise à « étudier les relations entre le profil et le contexte socioculturels des élèves et le développement d’usages numériques éducatifs et d’autre part, à analyser les implications et les incidences sur les apprentissages, notamment scolaires, des élèves. » Pourquoi ce changement de perspective ? Les auteurs de l’article posent deux hypothèses intéressantes sur la construction des représentations des élèves vis-à-vis du numérique :

« 1. La plupart des élèves commencent à développer leur rapport au numérique préalablement à l’école, bien qu’à des degrés variables, avec les outils accessibles dans leur environnement familial et social.

2. Le contexte extrascolaire reste, pour la suite de leur cheminement scolaire, le principal contexte d’accès et d’usages numériques des élèves. »

En somme, pour ces chercheurs, toute analyse poussée de la construction des usages numériques à l’école nécessite aussi une connaissance des usages et du contexte numérique extrascolaires. Tout de suite, j’ai eu envie de savoir si cela s’appliquait aussi pour les enseignants.

Partant de ce postulat, j’ai essayé de m’interroger sur l’apport de la perspective sociocritique pour ma recherche, en faisant dialoguer quelques textes qui m’ont semblé pertinents. Voici quelques pistes de réponse, qui n’ont bien sûr pas la prétention d’être exhaustives :

J’espère que ces propositions vous donneront envie d’échanger sur le sujet !

 

Une chronique de Tiphaine Carton

[1] Je m’inspire ici du titre de l’article de Simon COLLIN, Nicolas GUICHON et Jean Gabin NTÉBUTSÉ, « Une approche sociocritique des usages numériques en éducation », Sticef, vol. 22, 2015, [consulté pour la dernière fois le 19-01-16].

[2] Expression tirée de l’article d’Anne CORDIER, « La co-construction du numérique comme objet d’enseignement apprentissage – Apports d’une recherche étudiant les inter-relations entre imaginaires et pratiques au sein du cadre socio-technique in COLLET, Laurent et WILHELM, Carsten (dirs.) Numérique, éducation et apprentissage –Enjeux communicationnels, Paris, SFSIC, L’Harmattan, 2015.

6 réponses

  1. Jean-Pierre,
    Ne faites pas comme si vous n’aviez pas compris, juste pour faire de l’esprit.
    Ça ne serait pas grave, si justement il n’y avait pas derrière tout ça une injonction institutionnelle, un processus de « normalisation » de l’acte d’enseigner, dont par ailleurs vous vous revendiquez plus haut contre les « dinosaures » et autres « Mohicans »…
    J’estime quant à moi qu’il est parfaitement légitime de questionner le bien-fondé pédagogique de cette nouvelle marotte.
    Par contre j’en suppute clairement les avantages économiques – pour Microsoft : ça sera un bon moyen d’écouler ses produits (cf. le « partenariat » récemment signé entre le ministère et cette entreprise informatique).
    Le diable se niche dans les détails.

  2. Bonjour,
    A mon tour donc de préciser mon propos, dont j’assume la « virulence » intellectuelle, qui n’a rien à voir avec une forme d' »énervement » passionnel.
    Je répondrai donc en deux temps. A jean-Pierre, d’abord.
    Il est assez amusant de me voir visiblement caricaturé sous les traits d’un vieux hibou sclérosé, renvoyé du côté des « derniers Mohicans » (même si je tiens la figure du dernier Mohican pour fort noble, mais passons), « radicaux dans leur propos pour compenser la faiblesse de leur argumentation », vieux dinosaures inquiets de disparaître, désireux de montrer qu’ils existent en se contentant de vagir.
    Il se trouve que j’appartiens à une génération qui a vu et accompagné le développement du numérique. J’ai passé mon Baccalauréat vers la fin des années 90, et le numérique faisait déjà parti de mes outils de travail lorsque je faisais mes études… Je ne correspond donc pas au prototype du « vieux réactionnaire-conservateur » qui vous sert d’homme de paille. Je n’ai aucun problème psychologique ou générationnel avec le numérique, cher Jean-Pierre, pour la bonne et simple raison que je n’ai pas eu à m’y « convertir » (contrairement à vous, peut-être ?) : son usage a accompagné ma propre formation intellectuelle. Au regard de la distinction que vous présupposez entre « archéos » et « néos », je suis donc un happax, ne vous en déplaise. Je suis également enseignant, et, dans mon enseignement je n’ai nullement besoin de recourir aux « nouvelles technologies », qui ne sont plus si nouvelles en fait, tout simplement parce que leur valeur ajoutée est, du moins dans mes cours, tout simplement nulle.
    De là j’en viens au cœur de mon argumentaire (car oui, Jean-Pierre, il y en a un) : je n’ai nullement « asséné » que le support n’a aucune importance, je vous invite à me relire. J’ai dit que le support dépendait du contenu, que c’est d’abord en réfléchissant au contenu à transmettre qu’on pouvait ensuite se demander quel est le support le plus approprié pour ce faire.
    Il n’y a là nulle posture idéologique. C’est juste du bon sens. Or ce que je reproche à l’injonction institutionnelle du moment, c’est de vouloir imposer l’usage des tablettes tactiles dans l’enseignement, et ce, quel que soit le contenu, voire même au mépris du contenu. Sinon, je n’ai rien contre les tablettes tactiles… L’imprimerie n’a pas supprimé le manuscrit, la télévision n’a pas supprimé la radio, etc. : de même le numérique ne supprimera pas l’usage du crayon, le recours au livre, le rapport physique à la réalité. Or c’est précisément ce qui me gêne profondément dans votre texte, cher Jean-Pierre : la façon dont vous créez deux camps, les « antis » et les « pros », avec cette idée que les seconds balaieront les premiers dans les oubliettes de l’histoire, et que bientôt le recours à internet dans l’enseignement sera la norme. Du coup, je me demande de quel côté est l’idéologie… En tous cas votre enthousiasme ressemble fort à celui des nouveaux convertis, toujours un peu béats.
    Enfin vous semblez voir une contradiction entre ma méfiance à l’égard de la nouvelle lubie institutionnelle consistant à numériser à tout prix l’enseignement et la nécessité de former les élèves à une forme d’hygiène mentale sur le net : cela n’est nullement contradictoire, au contraire. Mais je vous laisse chercher où se trouve le point de cohérence. Je dirai simplement que l’école DOIT être cette île dont vous semblez vous gaussez du haut de votre technophilie, île à partir de laquelle il est possible de constituer et de transmettre la nécessaire cartographie du savoir, permettant à nos élèves d’affronter l’océan turbulent du monde contemporain – si vous me permettez de filer la métaphore.
    J’en viens donc à vous, Tiphaine Carton : j’ai bien lu vos précisions, qui ont le mérite de dissiper certaines ambiguïtés de votre texte initial (mais peut-être j’en conviens ai-je lu trop vite, dont acte). Si vous avez suivi mon propos jusqu’ici, vous aurez compris qu’en répondant à ce cher Jean-Pierre, j’en profitais bien sûr pour préciser ma remarque à votre billet (qui encourage les « coups de gueule », donc ceci explique cela). Il y a un point sur lequel je ne vous suivrai pas : lorsque vous dites que « l’éducation au numérique » est déjà installée, et que les pratiques qu’elle présuppose sont « vues et revues par des centaines de professeurs (notamment les professeurs documentalistes) depuis des années ». Hélas, je crains qu’il ne s’agisse d’un vœux pieux. Mes élèves de Terminale, pour la plupart, assimilent « faire des recherches » à « taper un mot clef dans google ». Ils sont très perméables à la désinformation du web, voire n’ont pour certains accès à l’information que par le biais des réseaux sociaux. L’effort de l’institution sur ce point est resté largement insuffisante, et les PROGRAMMES (les contenus, donc) ont sur le sujet un train de retard. (Hélas, il semble bien que notre sinistre actualité me donne raison sur ce point). En résumé, autant je suis plutôt méfiant sur la soi-disant nécessité (purement idéologique selon moi) du recours généralisé au numérique, sans réflexion sur les contenus, autant je serais totalement favorable à la création d’heures de cours exclusivement dédiées à l’usage du web (son histoire, son architecture, sa logique, sa méthodologie ainsi que la déontologie qu’il présuppose), et ce, non pas de manière transversale, mais bien spécifique et disciplinaire. Il y a là un véritable chantier qui, à mon sens, n’est pour l’instant abordé que de manière secondaire (par le biais parfois des TPE, de l’ECJS, etc.). C’est justement parce que le numérique est une réalité que nous devons poser à nouveaux frais la question des Lumières : Comment penser par soi-même et qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?
    Mais c’est, j’en conviens, une autre question – bien plus épineuse, sans doute – que celle de savoir comment utiliser une tablette tactile en classe.

  3. Tiphaine,

    comme Julien, Laure, Athéos et Annick, je voudrais témoigner.

    Annick vous répond que les élèves sont très au fait de la chose informatique. Si la question n’était que « Quid du contexte extrascolaire de l’élève? », je suis d’accord avec elle. Le rapport De Haan que vous évoquez date de 2004, autant dire de l’ère proto-numérique.

    Julien et Laure témoignent du manque de matériel…

    Athéos souligne la vacuité de votre sujet de thèse, en bloc. Il est très énervé. Il assène que le support n’a pas d’importance, tout en soulignant, avec la même énergie, qu’il faut se préoccuper des comportements sur internet. Vous lui avez répondu et je salue la sérénité de votre réponse. Une belle prouesse.

    Je suis enseignant, créateur de ressources numériques.

    J’ai été confronté aux deux points de vue, des pro et anti. Je ne parle pas des collègues. Dans les matières scientifiques, les enseignants anti sont rares. Utiliser des modélisations, des simulations est naturel. Et le numérique existe de fait dans tous les labos de toutes les entreprises de la planète. Non, je parle des inspecteurs.

    – Le premier avait eu connaissance de mon travail et voulait me voir en situation de classe avec les élèves. Son rapport a été dithyrambique. (Vous pourrez me contacter via mon site PCCL si le document vous intéresse.)

    – La deuxième, pendant l’entretien, m’a dit connaître mon site. « Je suis affligée chaque fois que je visite un prof qui l’utilise. » Elle a rédigé un rapport assassin, alors que je n’avais pas utilisé mon site ce jour-là mais fait manipuler les élèves. Pour faire bonne mesure, la dame s’est opposée ensuite à mon accès au statut d’agrégé que je pensais avoir cette année-là. Puisque votre étude aborde l’aspect psychologique, vous avez là un spécimen paradoxalement virulent de fossile, engoncé dans les sédiments de sa psychorigidité. Datée de l’époque pré-numérique, la dame ne s’est pas trouvée assez souple pour s’adapter. Mais c’est une espèce en voie d’extinction.

    Les derniers Mohicans se croient abandonnés sur le bord du chemin, exclus. Ils sont radicaux dans leur propos pour compenser la faiblesse de leur argumentation. Mais comment le leur reprocher. Ils veulent exister.

    – Il faudra dire aux plus âgés que ce n’est pas grave s’ils enseignent sans le numérique.
    – Il faudra former les plus jeunes qui le désirent.
    – Il faudra imaginer qu’un adulte qui s’est fait sans le numérique, parce il ne comprend que le réel et pas le virtuel, peut enseigner malgré tout.

    Comme vous l’avez justement mentionné, vous avez affaire à une hydre à mille têtes… une étude à entrées multiples. Les matières, les projets, les psychologies, les méthodes, les hiérarchies, les publics, les parents, les moyens financiers, les situations de classes dont certaines favorisent l’échange entre élèves et d’autres développent l’autonomie… Je parie que le numérique va se généraliser avant que vous n’ayez le temps de rédiger votre thèse. Les appareils mobiles, smartphones et tablettes sont déjà la norme. La société s’ubérise. L’enjeu est désormais : accompagner la mutation ou chercher une île?

    Il vous faudra bientôt, pour gagner du temps, interroger les profs qui réussissent sans internet.

    Jean-Pierre

  4. Sauf votre respect : tant de questions absconses sur un sujet aussi creux, pour une « injonction institutionnelle » aussi vaine et qui relève de la parfaite lubie pseudo-savante… Voilà donc où nous en sommes réduits ? Réfléchir à comment « créer » des contenus pour des supports soi-disant nouveaux ? N’aurait-il pas été plus pertinent de faire l’inverse ? Réfléchir aux contenus d’abord puis aux méthodes et supports pour les enseigner ? Présenter l’introduction de « tablettes tactiles » à l’école comme une révolution pédagogique est proprement misérable. Concernant le numérique, nos élèves ont besoin d’apprendre à traiter l’information, à se repérer sur le net, à remonter à la source, à structurer leur capacité de raisonnement, à comprendre les théories du complot qui pullulent sur le web, etc. La question de savoir si leur manuel est sous format papier ou bien numérique, et comment ils s’en servent avec leurs enseignants, est proprement artificielle, car elle répond à un problème pédagogique créé artificiellement par l’institution elle-même. Réduire… « l’inégalité numérique »… ? Sérieusement ou bien s’agit-il d’une blague ? Le désert avance.

    1. Monsieur,

      Votre commentaire constitue en lui-même un objet d’analyse fort intéressant pour ma recherche, quand bien même vous ne la jugeriez pas d’un intérêt décoiffant. Permettez-moi de remarquer que la virulence de votre réaction justifie (presque) à elle seule que l’on se penche sur le thème des tablettes numériques à l’École, serait-ce pour en souligner le caractère idéologique (ce qui n’est pas l’objet de cette chronique, mais peut-être, qui sait, d’un prochain article universitaire).

      Vous revenez, de façon fort gracieuse, sur « “une injonction institutionnelle” aussi vaine et qui relève de la parfaite lubie pseudo-savante… » en supposant que j’adhère à cette injonction ou que je la défends. Il ne me semble pas, dans le trop bref exposé que j’ai fait de mon sujet, avoir pris parti pour l’usage des tablettes à l’École. Cela serait en effet « creux ». Je n’ai fait que présenter un contexte général qui me semble témoigner de cette injonction, voire même d’une pression sur les professeurs : « On voudrait pouvoir analyser en même temps les besoins auxquels répondent ces outils et leurs effets, sans vraiment prendre en compte le temps dont les enseignants ont besoin pour se les approprier ou construire leurs usages. »

      Vos remarques sur un sentiment d’imposition des outils numériques au sein de l’École rejoignent le point de vue de nombreux professeurs que j’ai interrogés lors d’entretiens. Des chercheurs en Sciences de l’information et de la communication ou en sciences de l’éducation ont également formulé de telles critiques, notamment Sidonie Gallot[1], qui souligne un « impensé anthropologique », et une question qui réduit à la fois la pédagogie et le numérique, dans une logique utilitariste : « Comment penser la pédagogie pour qu’elle utilise les TIC ? »

      Il ne me semble pas, encore une fois, avoir présenté ici l’utilisation des tablettes à l’École comme une « révolution pédagogique ».

      En revanche, vos préconisations concernant l’éducation au numérique sont pratiquées, vues et revues par des centaines de professeurs (notamment les professeurs documentalistes) depuis des années, car, vous avez bien raison, c’est une part essentielle de l’éducation de futurs citoyens autonomes et dotés d’un esprit critique.

      Rien de nouveau sous le soleil du désert, donc.

      Enfin, lorsque j’ai évoqué, un peu maladroitement peut-être, la réduction des « inégalités numériques », je souhaitais tout simplement m’interroger sur l’influence du contexte extrascolaire dans l’appréhension des outils numériques par les élèves en classe.

      Tiphaine Carton

      [1] « “Refondation de l’École”: L’apport des SIC pour penser les situations et les pratiques de communication pédagogique instrumentées – Cas de l’utilisation de tablettes en classe », in COLLET, Laurent et WILHELM, Carsten (dirs.) Numérique, éducation et apprentissage –Enjeux communicationnels, Paris, SFSIC, L’Harmattan, 2015.

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