Et surtout humaine

rencontre

La décision d’écrire cet article m’a pris du temps… À vrai dire, j’ai vécu tellement de choses quand j’étais « brigade » que je pourrais écrire un livre en plusieurs tomes. Dans ce livre, je parlerais sûrement des difficultés de mon poste, mais surtout de toutes les belles rencontres que j’ai eu la chance de faire durant toutes ces années. Et pour cause, j’officiais dans une quinzaine d’écoles, sur cinq arrondissements différents. Ma route a croisé celles de plusieurs centaines d’enfants. La plupart ne se souviendront pas de moi dans quelques années, et moi non plus d’ailleurs. Pourtant, je suis certaine à ce jour de ne jamais oublier l’un d’entre eux… rencontré au cours de l’année scolaire 2012.

Octobre

Je suis envoyée dans une école du 5e arrondissement pour remplacer une collègue absente pour trois mois. C’était une classe de CM1. Comme à chaque prise en main, j’étais arrivée bien avant, histoire de m’imprégner des locaux, du matériel et j’en passe. Sur la liste des élèves, mes yeux s’attardent sur un nom de famille à consonance slave. En effet, cela n’est pas commun par ici. 8h30, les élèves prennent place, et une fois passées les présentations d’usage, l’un d’eux m’avertit de l’absence d’un certain « Emanuel » qui, je cite, « va avec les CP tous les matins pour lire. » J’en apprends alors un peu plus sur ce petit venant de l’est : Emanuel est un enfant « Rom », il a 10 ans.

– Un Rom ?
– Oui.
– Un Rom. Pas un gitan, ni un enfant issu de la communauté des gens du voyage.
– Un Rom, un vrai !
– Oui, cet enfant a fait la manche avec ses parents.
– Oui, cet enfant sera là dans quelques minutes face à moi.

Emanuel est arrivé de Roumanie en mars 2012 avec ses parents et trois autres familles. Ils ont été recueillis par l’archevêché, et logés dans un ancien couvent, à condition de scolariser leurs enfants. Ils sont donc dans cette école depuis plusieurs mois.

Pour eux, c’est leur toute première expérience scolaire

Quand j’ai vu Emanuel pour la première fois, j’ai été frappée par son sourire. Dés qu’il rentrait dans l’école, il rayonnait de joie et de fierté. Je compris rapidement qu’il était en quelque sorte la mascotte de la classe. À 10 ans, il en paraissait 7 tout au plus… Beaucoup plus petit que les autres et ne sachant ni lire ni écrire (même en roumain), certains enfants l’avaient pris sous leur aile.

Parfaitement intégré malgré la barrière culturelle et linguistique, il se montrait toujours motivé et enthousiaste. Pourtant, en y regardant de plus près, la misère était bien là. Emanuel aurait pu être un panneau publicitaire à lui seul, car tout ce qu’il avait, tout ce qu’il portait, provenait de dons divers et variés. Après 17h00, il n’était pas rare de le croiser avec ses parents et son petit frère, à chercher près des poubelles ce que d’autres auraient laissé.

Il fallait tout lui apprendre : il n’avait jamais vu ni tenu le moindre feutre, sans parler de sa découverte avec l’ordinateur qui relevait d’un véritable miracle à ses yeux. C’était un enfant vierge de (presque) tout. Il n’avait jamais dessiné. Tant et si bien que lorsqu’il découvrit le compas, il se mit à faire des cercles colorés partout, car au moins il en maîtrisait le geste. Lui apprendre à lire… était un défi quotidien. Emanuel ne savait pas ce qu’était l’alphabet. Même dans sa propre langue. Chez les Roms, la culture de l’écrit est inexistante, tout passe par l’oral.

Alors je lui ramenais des livres, des abécédaires plein d’images… Parfois, il me parlait de son pays. Il fallait beaucoup de concentration pour le comprendre, car il avait trop peu de vocabulaire et cherchait sans cesse ses mots. Et là ses yeux brillaient de nostalgie quand il évoquait la Roumanie. Emanuel vivait dans une famille débordante d’amour, seule chose que la misère et la précarité ne ternissaient pas. Il était bien à l’école. À tel point qu’il avait les larmes aux yeux quand arrivaient les vacances. Mais au-delà de cette intégration quasi-parfaite, le « POURQUOI » était sur toutes les lèvres.

Pourquoi ? Quel avenir ?

Ils étaient expulsables à tout moment et nous le savions bien. J’ai pris une énorme claque pendant ces 3 mois. Une claque d’amour, d’humilité, de foi en l’Homme. Quand je suis partie, Emanuel m’a dit avec son accent roumain « Maîtlesse, avec toi c’était bien ! » Et trônent encore sur les murs de mon bureau, ses cercles colorés qui me rappellent sans cesse qu’avec un peu de volonté et d’humanité, tout reste possible.

emanuel

Une chronique de Céline

jeveuxetremaitresse

 

(crédit photo : Jean-Luc.Nail@laposte.net)

2 réponses

  1. Rien à dire d’autre que merci. Mon mari travaille auprès des migrants et il revient tous les jours avec des histoires poignantes de misère (ceux qui n’ont aucune chance d’avoir des papiers) et de guerre (ceux dont on entend enfin un peu parler). Et la grosse culpabilité de ne pouvoir pas faire grand chose. A notre mesure, retroussons-nous les manches.

  2. Line merci pour ce beau témoignage qui me donne envie de poursuivre mon métier d’enseignante que je vis comme une vocation. C’est l’occasion pour nous de donner, de changer des destins, merci Line, vous avez fait beaucoup pour ce petit mais en partageant ce témoignage vous m’avez aidée aussi.
    Kathia

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