Chaque soir, je prends plaisir à lire des histoires à mes enfants, une, deux, trois… et ils adorent ça. Une façon de retarder l’heure du coucher bien sûr, d’être câlinés et bercés par les aventures des héros de papier. De transmettre aussi un goût des livres et des images qui embarquent et fabriquent notre imaginaire. Pourtant, au fur et à mesure que les enfants grandissent et apprennent à lire par eux-mêmes, les parents quittent peu à peu leur rôle de conteur même si tout montre à quel point ce moment partagé est profitable avant de fermer les paupières. La puissance des contes et des mythes est telle qu’elle donne à rêver et à penser. L’envie de savoir s’étend, le vocabulaire s’enrichit aux côtés d’Ulysse, Polyphème, Circé et surtout on pense/panse…

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Si je ne suis pas prêt de me priver de ces moments avec mes enfants, c’est aussi parce que je suis tombé il y a quelque temps sur le livre de Serge Boimare L’enfant et la peur d’apprendre, (éditions Dunot, 1999). Dans l’introduction, S. Boimare raconte ses premiers pas d’instituteur dans l’enseignement spécialisé. Il se pensait aguerri et prêt à affronter des situations difficiles dans le Centre psychothérapeuthique où il était appelé à prodiguer ses cours. Mais très tôt, ses élèves le mettent en échec, délaissant pour beaucoup la salle de classe. Un peu perdu et sur la brèche, c’est à un livre de contes des frères Grimm qu’il dit devoir son salut :

« Un jour où j’étais au combe du désespoir, j’ai commencé à lire leur livre de contes aux trois ou quatre enfants qui étaient encore avec moi et, comme par enchantement, j’ai vu revenir les élèves les uns après les autres, pour en écouter les histoires. J’ai vu contre toute attente, ces grands pré-adolescents dont la violence éclatait à chaque instant se rouler en boule sur leur siège et sucer leur pouce, pour écouter des histoires qui me semblaient relever du niveau de la grande section des classes maternelles. »

S’ils prenaient la poudre d’escampette à la vue d’un livre de mathématiques ou de grammaire, ils restaient fidèles aux contes des frères Grimm. Pour enrayer leur peur d’apprendre, le conte était devenu le support idéal pour mieux se figurer les apprentissages, se réconcilier avec le savoir et aussi avec celui qui le porte. Que ce soit dans la mythologie grecque, la Bible ou Jules Verne, le pédagogue puise dans ces récits des situations propres à l’étude d’une notion mathématique, d’une subtilité grammaticale, d’un point d’histoire ou d’un travail sur carte.

Dans son livre, c’est à travers des cas d’élèves que Serge Boimare identifie les barrières mentales à faire tomber pour que l’enfant travaille et apprenne sans peur. Pour lui, « certains enfants voient se réveiller des peurs qui les déstabilisent lorsqu’ils affrontent la situation d’apprentissage (…) Apprendre n’est plus pour eux une opération simple, c’est l’obligation de se séparer de comportements, qui certes parasitent l’apprentissage, mais qui sont aussi utilisés pour maintenir un équilibre précaire

Guillaume (qui dit « Le lecture c’est comme l’opération de l’appendicite, faut faire ça jeune, ça fait moins mal ») apprendra à lire avec le terrible combat d’anthropophages raconté par Jules Verne dans les Cinq semaines en ballon. Un récit qui lui parle car il mêle des thèmes qui lui occupent l’esprit (les origines, la mort, la peur) mais formulés par les mots de quelqu’un d’autre. Ne pas se laisser submerger par ses émotions, se dégager des craintes qui empêchent de penser, tout cela demande du temps mais finira par se décoincer pour ces élèves en grande difficulté. Gérard, orphelin de sa mère, trouvera goût au savoir en vivant les aventures d’Axel, le héros du Voyage au centre de la Terre. Ici, le conte se fait thérapeutique en donnant forme au malaise rencontré par l’enfant puis servant de tremplin pour l’en sortir.

Dans les contes, l’enfant trouve le marche-pied pour dépasser ses difficultés et grandir. Ces histoires l’encouragent à traverser les épreuves de la vie. L’enfant et la peur d’apprendre donne des pistes simples à exploiter à l’école où, comme dirait un élève dans le bouquin de Boimare, « On veut nous apprendre des trucs qu’on sait même pas ! ».

À utiliser en classe

Une lecture d’Emmanuel Grange

2 réponses

  1. A mon humble avis les enfants n’ont pas du tout « peur d’apprendre » (c’est une interprétation de prof qui n’a pas très envie de se voir dans un miroir en train d’en-saigner) mais peur de la mise au ban du groupe par l’évaluation (de l’apprentissage) qui révèle leur difficulté ou leur échec (« dysfonctionnement », « trouble », et autres pseudo diagnostics traités comme des maladies et perçus par tous comme des faiblesses, des traits de débilité, des trucs dont on ne veut pas dans le groupe => exclusion.)
    Bref ils ont peur de l’exclusion.

    C’est justement parce qu’ils n’ont pas peur d’apprendre qu’ils apprécient les « activités » où personne ne les évalue > en réalité ces moments où une voix humaine bienveillante vient les toucher doucement : écouter un adulte lire ou dire un conte, un mythe…
    Les enfants manquent d’histoires racontées comme autrefois, par les anciens, par « ceux qui savent », par ceux dont le rôle est de transmettre et de prendre soin (penser/panser). Ces histoires qu’ils aiment tant écouter et ré-écouter et ré-ré-réécouter, car ils « sentent » qu’ « il y a quelque chose là-dedans », et qui n’est pas donné d’emblée, que les cerveaux vont mettre du temps à explorer, pour trouver et construire, chacun à sa façon, ce qui va « faire sens » chez chacun différemment. C’est de la pensée parce que c’est de la construction. C’est une vraie pensée individuelle, propre, qui se construit naturellement, autant la nuit que le jour, et c’est cela (en plus de la voix humaine douce et bienveillante) qui séduit l’enfant, aussi.
    Les maths, au primaire puis au secondaire, c’est de la pensée venue d’ailleurs, offerte mais surtout imposée, à prendre telle quelle et se mettre dans le crâne de force. Elle s’accompagne d’une menace sourde : le zéro pointé, le regard méprisant du prof, les cris de la mère, la punition du père…

    Le problème n’est pas dans les objets d’apprentissage (les maths par exemple) mais dans l’approche de leur enseignement : enseignons les maths comme on raconte une histoire, en racontant leur histoire avec bienveillance, douceur, et humour, et de grâce, pratiquons-les en jouant. Les maths se prêtent tellement au jeu (la grammaire aussi), alors POURQUOI les profs continuent-ils de les instrumentaliser pour faire peur aux enfants (tout en se « désespérant » de constater les dégâts de leurs agressions sur les enfants).
    Ce n’est pas l’enfant qu’il faut changer, c’est l’esprit des profs, leur intention pour commencer.
    > L’amour de la transmission, blablabla… A d’autres. Réfléchissons plutôt à ce qui nous fait en-saigner au lieu d’en-soigner. Puis comment en-soigner au lieu d’en-saigner, et les enfants se bousculeront pour aller apprendre à l’école.

    PS : j’ai aussi l’expérience d’avoir constaté le plaisir et même la joie (et découvert les bribes de connaissances et l’intérêt pour les développer) d’élèves de CAP en expliquant du vocabulaire, à leur demande. Toujours répondre aux demandes de signification des mots (quitte à ajourner la leçon de grammaire ou d’orthographe), en disant d’où viennent ces mots, en racontant l’histoire du voyage de ces mots, leur enrichissement au cours du voyage, à chaque ciel traversé, chaque frontière franchie… Les laisser raconter ce qu’ils savent, compléter, toujours enrichir de sens tous les mots par leur histoire… Ce ne sont jamais des moments « perdus », bien au contraire. Ce sont des moments de réconciliation avec le langage et les apprentissages, sans parler de la réconciliation avec les adultes, leurs cultures, leurs sociétés. Des moments de grâce. 🙂
    Bonne journée à tou-te-s.

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