Le devoir de neutralité

Présidentielles obligent, les questions des élèves et les débats menés en classe tournent forcément autour des idées et du rapport de force engagé entre les candidats à l’élection. Face aux interrogations légitimes des jeunes pris dans une actualité politique tourmentée et complexe, il est du devoir des enseignants d’expliquer les positions des uns et des autres sans pour autant leur détailler (voire leur asséner) la nôtre. Cette ligne rouge tient évidemment à notre statut de fonctionnaire qui garantit la liberté d’opinion mais nous impose de respecter plusieurs obligations.

politique

Sur les plans éthique et déontologique, notre fonction nécessite discrétion professionnelle, probité, moralité et un devoir de neutralité joliment tourné en dérision dans P.R.O.F.S (1985) où le pauvre Charles Max finira par connaître une terrible mésaventure…

Remontant aux origines de la IIIe République, le lien historique entre la gauche et l’électorat enseignant reste fort même si un phénomène de fuite ou de dispersion a été constaté. Le Nouvel Obs titrait au mois de février « Pour le FN, les profs ne sont plus une citadelle imprenable » puisque sur 1 million d’enseignants, 70 000 déclarent leur penchant pour Marine le Pen à l’image du collectif Racine créé en 2013 qui appelle au « rassemblement des enseignants patriotes ». Mais que l’on soit militant, sympathisant ou « simple » citoyen, l’obligation de neutralité impose que notre comportement soit dicté uniquement par l’intérêt du service public et non par des convictions personnelles, qu’elles soient politiques ou religieuses. Il en va de l’impartialité que les élèves et parents sont en droit d’attendre d’un service public, comme l’explique cet avocat dans la vidéo.

https://www.youtube.com/watch?v=JUCKlVg0zz0

 

Traiter l’actualité

L’interdiction de faire état de ses convictions personnelles lors de l’exercice de ses fonctions empêche parfois certains collègues de traiter avec leurs élèves l’actualité politique jugée brûlante. En tension entre ce qu’ils pensent et ce qu’ils pourront dire en classe, des enseignants préfèrent éluder les sujets politiques ou polémiques pour éviter d’être confrontés à une situation embarrassante. Mais si le devoir de neutralité oblige à être impartial en classe, cela n’interdit pas de brosser avec les élèves le paysage politique français et d’expliquer les affaires qui jalonnent et gangrènent aujourd’hui la qualité de la campagne électorale, bien au contraire ! Comment l’école pourrait-elle être le creuset de la citoyenneté si les débats qui parcourent le pays sont évacués des salles de classe ? En cours d’Enseignement Moral et Civique ou d’Histoire, c’est même notre pain quotidien que d’exposer les faits en ayant le souci de proposer aux élèves une réflexion collective et personnelle libre sans qu’une injonction professorale vienne faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre pour des esprits encore tendres et influençables.

L’affaire Fillon en classe

L’affaire Fillon est à ce titre un bon exemple de ce que l’on peut faire. D’abord, il faut exposer les faits, et aujourd’hui les enseignants que nous sommes bénéficions du travail clair de certains médias qui rendent accessible l’actualité aux jeunes. C’est le cas du site Cfactuel qui a retracé l’historique et les dessous judiciaires du « Penelope gate ». Ce document est d’autant plus intéressant qu’il met bien en regard les faits reprochés au candidat Fillon avec le vocabulaire et les principes de la justice en France. Évoquer l’affaire Fillon en cours d’EMC revient ici à voir comment fonctionne la justice française à partir d’un sujet d’actualité qui éclaire un point du programme. Ici, les élèves ont besoin de notre médiation pour comprendre les tenants et les aboutissants. Les principes de présomption d’innocence ou d’immunité présidentielle sont ainsi expliqués avec l’appui d’un exemple qui parle à tous.

Il en va de même pour les déclarations de François Fillon dans le JT de 20 heures de France 2 le 5 mars où, après le succès de la manifestation du Trocadéro, le candidat déclarait qu’il avait réuni 200 000 personnes au Trocadéro (une place qui ne peut en contenir au grand maximum que 50 000) et que des médias avaient annoncé le suicide de sa femme. Ce n’est pas trahir la neutralité exigée par notre fonction que de relever avec les élèves lors d’un cours d’Éducation aux médias et à l’information que ces affirmations sont fausses et sont révélatrices de ce que le monde anglo-saxon a récemment qualifié de « post-vérité ».

« Dans l’ère de l’information post-vérité, aussi appelée « post-faits », la vérité n’est plus toujours la valeur de base. Les faits ne sont plus fondamentaux. Les personnalités publiques peuvent désormais annoncer des fausses nouvelles en toute connaissance de cause, sans le moindre égard pour la vérité – et en tirer bénéfice. » (source)

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Source : Cagle cartoons

En somme, le principe de neutralité cohabite facilement avec le traitement d’affaires polémiques en classe si l’on prend les précautions d’usage.

Parler politique en classe est nécessaire, c’est même vital pour l’état de droit et notre démocratie à un moment où les médias, les chercheurs, la justice et la parole publique sont soumis à une ambiance de soupçon généralisé.

Une chronique d’Emmanuel Grange

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