Le droit à la déconnexion

Difficile de concevoir le métier d’enseignant sans le numérique. À la maison, on se connecte pour fabriquer nos cours et mutualiser nos idées. Au bahut, l’ordinateur nous accompagne dans toutes nos tâches et missions. L’appel, le cahier de texte, la vidéoprojection, les évaluations, tout passe par l’ordinateur. Les mails des inspecteurs pleuvent même le week-end.

digital detox

Pour autant, notre addiction au digital n’est pas aussi forte que celle des cadres puisque « 70 % d’entre eux vérifient leur messagerie toutes les cinq minutes et 78 % se connectent à leur boîte mail professionnelle avant de s’endormir. » L’hyperconnexion nous guetterait-elle ? La France est devenue le seul pays au monde à introduire le droit à la déconnexion inscrit dans sa législation sur le travail avec la loi El Khomri adoptée le 8 août 2016. Se déconnecter de son smartphone, des mails et des écrans en général pour se ressourcer, tel est l’enjeu de la « digital detox ». À l’école, cette détox est attendue par certains pour mettre fin à ce qu’ils pensent être un leurre éducatif. Face à la vague digitale, des collègues avaient lancé en décembre 2015 « l’appel de Beauchastel contre l’école numérique ».

On nous encourage à scotcher nos élèves aux écrans durant les seuls moments où ils y échappent encore, et cela sous le prétexte de les éduquer aux médias. Et finalement, pourquoi ne pas renoncer à enseigner en feignant de croire qu’une connexion Internet suffit pour s’approprier un savoir réel ?

Pour nous, ça suffit. De la part de ceux qui nous enjoignent d’utiliser le numérique dans nos classes (hiérarchie administrative, ministère, inspecteurs et formateurs, ainsi que toute la classe politique), nous n’entendons que des justifications a posteriori de ce qui paraît aller de soi : une transformation implacable de nos gestes quotidiens, de notre langage, de notre rapport aux autres, de notre métier. Ce bouleversement est pourtant décidé par d’autres, politiques et industriels, qui défendent leurs intérêts politiques et économiques, et bénéficient de notre complicité passive.

Or nous savons bien que le numérique n’a rien à voir avec l’éducation. En effet l’informatisation a pour but premier de gonfler le chiffre d’affaires des firmes qui produisent matériels et logiciels. Puis elle réduit la part humaine de chaque activité (pas seulement scolaire) pour la rendre plus conforme aux besoins de l’économie et de la gestion bureaucratique. Tout cela pour doper la croissance par les gains de productivité et les nouveaux marchés qu’elle offre. C’est bien parce qu’Internet ne peut pas améliorer l’enseignement, mais qu’il est conçu pour détourner l’attention, que les ingénieurs de la Silicon Valley en protègent les écoles de leurs enfants.

Cet appel à « ne pas utiliser le cahier de texte numérique, ni les multiples écrans dont on prétend nous équiper (tablettes, tableaux numériques ou même smartphones) » est dans la veine d’un discours d’une école sans écrans voulu par les auteurs du « désastre de l’école numérique » en 2016, un livre qui questionne le numérique à l’école sans vouloir considérer les plus-values pédagogiques qu’il apporte. En 2015, le journaliste hyper-connecté Pierre-Olivier Labbé avait pendant trois mois tout débranché et avait rendu compte de sa cure dans son documentaire « Digital detox ».

https://www.youtube.com/watch?v=9LMHzjZJ71k

Connexion mesurée

La place du numérique dans notre quotidien et à l’école mérite d’être vue sous un autre angle. Plutôt que de militer pour une coupure numérique totale, il paraît plus efficace d’apprendre à trouver le bon équilibre dans notre utilisation d’Internet.

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Illustration : Andrée-Anne Mercier

Si vous êtes atteints de nomophobie (ou d’anxiété portative comme disent les Québécois) et drogués à la 4G,  Serge Tisseron propose quelques pistes. Pour l’auteur de l’ouvrage 3-6-9-12 : Apprivoiser les écrans et grandir, se couper de toute connexion est beaucoup trop brutal et de fait inefficace. Il livre cinq recommandations pour établir des règles de bon sens qui coupent le cordon numérique et renforcent les liens au sein de la famille.

  1. Prendre le repas du soir sans allumer la télévision et en mettant de côté smartphone et tablette.
  2. Couper le Wifi la nuit pour éviter les tentations.
  3. Dresser le soir la table du petit-déjeuner et déposer à côté de son bol ou de son assiette son smartphone. Les messages reçus pendant la nuit attendront le lendemain matin pour être traités.
  4. Mettre son smartphone sur vibreur et décider des tranches horaires pendant lesquelles on pourra consulter ses messages.
  5. Pour les e-mails, éviter la mise en copie systématique d’autres personnes.

Pour un prof, ritualiser sa journée peut avoir du bon. Remplir le cahier de texte numérique de bon matin avant les cours évitera d’y retourner ensuite. Utiliser une barre de favoris bien renseignée ou des outils de curation pour archiver des sites intéressants évite aussi de perdre du temps à rechercher une info. Basculer sa messagerie académique sur sa messagerie privée a un côté pratique mais cela peut empêcher de garder l’esprit libre en soirée ou le week-end en s’accordant une vraie pause numérique.

Et vous, quels sont vos trucs de prof pour utiliser le numérique au boulot sans se prendre la tête  ?

Une chronique d’Emmanuel Grange

 

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