À la portée des rigolos ?

« Les Français sont nuls en langue ! » C’est une constatation que j’ai toujours entendue.

jargon-pedagogique

Quelques décennies plus tard, le mur des lamentations est encore debout et accueille tous les ans les ministres qui ont échoué à vouloir faire changer cet état de fait. Si nos hommes politiques ont eu les mêmes professeurs que moi, je comprends que notre niveau en langue étrangère passe au rang de cause nationale. Mais mon ministère n’a pas attendu que des socio-pédago-psycho-ministério-rigolos fassent ce triste constat. Les éminences en charge de rédiger nos programmes et instructions officielles s’étaient déjà lancées dans la création d’une langue codée, seulement compréhensible par des enseignants aguerris. Quand on entre dans la grande maison de l’Éducation Nationale, quand on a brillamment réussi le parcours du combattant pour prétendre au titre d’Enseignant, c’est parce qu’on manie comme personne le langage obscur des instructions officielles. Il est donc temps de dénoncer une injustice dont tout le monde se fiche mais qui pourrait changer la face de notre discipline : tous les enseignants sont bilingues ! Ils maîtrisent une langue que seuls leurs compères comprennent. Ça renforce leur sentiment unitaire et identitaire. Pour la maîtriser, il suffit souvent de remplacer un mot par sa définition. Vous ne direz donc plus : « le chat miaule » mais « le mammifère carnivore sauvage ou domestique au museau court et arrondi pousse un cri propre à son espèce ». C’est plus long, beaucoup moins clair, mais tellement plus snob !

Exercice d’application

Voici un exemple plus conséquent :

Les êtres vivants en état d’hibernation quasi-constante1 dont le postérieur entre furtivement en contact avec l’assise de leur siège à dossier sans bras2 me prêtent pour une durée limitée proche de la péremption, leurs orifices partiellement obstrués3 alors que je m’évertue à verbaliser par des actes langagiers (les actes gestuels étant proscrits depuis des appareils d’éclairage suspendus au plafond4 ) des vérités suspectes sur les variantes aléatoires de l’usage du « s » pour discriminer toutes choses non uniques5, à condition qu’elles ne se terminent pas par « au », « eau », « ou » (parfois)…

Leurs organes pairs de la vue6 (pour ceux qui ne sont pas ni borgnes, ni aveugles) renvoient encore le reflet des surfaces lumineuses auxquelles ils sont exposés jusqu’à 1,5 sur l’échelle de l’apathie qui compte 2 marches seulement, essayant de fixer les arabesques hiéroglyphiques qui se dessinent étrangement sur la surface verte fixée parallèlement à une des quatre structures hautes et cadrantes7.

Ils sortent de leur boîte à ustensiles un bâton miné8 grâce auquel ils sont tenus de reproduire via un copier/coller archaïque et désuet, la trace écrite à l’aide d’un cylindre d’où émane une intense poussière, encore en usage dans nos contrées éloignées du progrès9.

Certains essaieront de cliquer vainement sur la surface glacée vierge, blanche et seyesée10 mais devant l’absence objective de réaction et la page obstinément blanche, les êtres vivants abasourdis par les techniques néolithiques du grand mammouth, se rendent rapidement compte qu’ils sont condamnés à lire et écrire ! Oh ! Pardon, lire et écrire sont des termes devenus certainement obsolètes, abscons, impénétrables… Peut-être est-ce plus obscurément professionnel de dire « balayer du regard les signes en équilibre horizontal cursif en vue de les disposer à l’identique à l’échelle du support de surface A4 qui leur est destiné » ?

Si les techniques spiralaires me font tourner la tête, si les réflexions auriculaires m’incitent à me gratter l’oreille, que pensez-vous que m’inspirent les pensées curriculaires ?

 

1. élèves

2. chaise

3. oreilles

4. lustres

5. pluriel

6. yeux

7. tableau

8. crayon

9. craie

10. cahier

Une chronique de Fabienne Lepineux

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