Le Méchant Petit Journal des Profs*

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Mais bien entendu, on a toujours vécu ces repas où, après le gratin dauphinois de Belle-Maman, et le flan aux œufs de Tatie, on parle politique. Comme si ça faisait partie de l’ADN du repas familial qui s’éternise. Et de la politique à la grève, il n’y a qu’un pas ; car après tout, la grève, c’est juste l’expression politique du peuple, ça et le vote, mais bon c’est un autre débat. Mais bien entendu, je rêverais de vous dire que vous allez bomber le torse en disant : MOI MARDI, J’Y VAIS… BOSSER (notez le temps d’une respiration haletante ou deux durant les suspensions).

MAIS NON ! Ne nous voilons pas la face, vous irez pas.

Vous serez gréviste.

Donc vous allez assumer. Et puisque vous avez eu la bonne idée de lire le PJP ce jour, juste avant de préparer vos banderoles, je vais vous donner quatre arguments qui vont non seulement expliquer pourquoi vous serez en grève, mais aussi rallier toute une population de non-profs derrière vous, tel un tsunami sur une plage indonésienne.

 

PREUVE  1 : Les profs doivent cesser le travail car ils sont houspillés.

Oui, j’emploie à dessein cette expression d’un autre âge pour symboliser l’intemporalité du combat enseignant. Ça fait des années, des siècles qu’on dénigre le corps professoral. Souvenez-vous de la phrase de ce Monsieur Allègre en 1997 : « il faut dégraisser le Mammouth ». Vous notez la comparaison avec un animal lourd, pachyderme graisseux qui ne s’est même pas démené pour survivre à l’ère glaciaire. Et pourquoi monsieur ? Avait-il la bonne fourrure pour se chauffer ? Possédait-il la formation nécessaire aux grands froids qu’il avait demandée des mois à l’avance, et constamment refusée ? Y avait-il assez de mammouths, pour gérer cette foutue préhistoire ?

NON, non, et non. Donc oui, comme Jeanne d’Arc devant les Anglais, les profs combattent les injustices et défendent fièrement leurs droits, avec allégresse.

PREUVE 2 : Les profs doivent cesser le travail car ils sont ingénieux.

 

Qui mieux qu’un enseignant, réputé pour sa gestion des troupes, des crises diverses qui peuvent survenir dans une heure de cours, peut organiser une manifestation ? Les enseignants, toujours au premier rang des manifs, non seulement pour leur gouaille légendaire : ce seront eux les premiers interrogés par BFM TV et ils sauront résumer, en fins pédagogues, les raisons de leur présence, mais aussi avec leurs phrases chocs, que l’on retrouvera sur leurs slogans et dans leurs chansons.

Des exemples ? Parfait, puisque vous m’y forcez.

 

« Je ne veux pas perdre ma vie à la gagner ». Un prof d’éco-gestion.

 

« Les seuls poulets que je mange sont ceux qui portent l’uniforme ». Prof de biologie.

 

« Sarko, si tu savais, tes réformes où on se les met…. Au…. ». Sans doute une instit.

 

Le prof de maths procèdera au comptage, celui de sport à la gestion de la fatigue dans les rangs. Qui ferait mieux ? Personne. Les enseignants ne font donc pas forcément grève pour eux, pour défendre leur beefsteak, mais aussi pour tout l’aspect organisationnel de la chose.

 

PREUVE 3 : Les profs doivent cesser le travail car ils sont les exemples des générations futures.

 

Les enseignants sont non seulement des porte-étendards, mais aussi des symboles, des exemples à suivre. Pas un seul de nos élèves ne comprendrait qu’un enseignant, qui leur enseigne les valeurs de la République, soit présent en classe quand le monde se joue dans les rues de la planète France ! Serait-il plus judicieux d’adopter le modèle nippon, qui consiste à porter un brassard le jour des grèves tout en continuant le travail ? Ce serait catastrophique. Irréversible pour des cerveaux encore en gestation bien souvent. Pour finir, nos bambins saisissent parfaitement les enjeux de la lutte sociale, et nous sommes fréquemment accueillis par des interrogations si nous ne faisons pas grève :

 

« Sérieux Monsieur, vous faites pas grève ? MAIS POURQUOI VOUS ÊTES LÀ ?? ». Oui, dans ces moments-là, vous avez honte. Honte de vous être défilé au défilé.

 

PREUVE  4 : Les profs doivent cesser le travail car ils vont devenir meilleurs ensuite.

Être enseignant. C’est accepter de n’être pas comme les autres. Être les autres en mieux. Car l’enseignant se construit et construit sa pédagogie tout au long de sa journée, de ses expériences, de ses rencontres. Quoi de mieux donc, que cette déambulation dans les rues pour apprendre, pour progresser, pour réfléchir à comment s’améliorer dans ses pratiques ? Et peu importe si vous devez sacrifier un peu de ce temps pour réfléchir dans les allées des magasins en période de soldes. Ou même rester au lit pour mater un épisode de Stranger Things. Vous en sortirez grandi.

 

Voilà, je pourrais continuer des pages et des pages mais je pense que l’essentiel est là, et permettra aux âmes peu charitables, aux fainéants, de comprendre pourquoi un enseignant doit avoir l’ADN de la lutte sociale en lui.

 

« Sous les pavés, la plage. » Prof de géologie.

Une chronique de Frédéric Lapraz

*Une fois par mois, deux enseignants prennent les commandes du Petit Journal. Second degré garanti !

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