fredzarp

Oui, bien sûr !

– Car le professeur principal, désigné et adoubé par ses pairs et par les hautes instances de l’Établissement, se voit confier cet embryon, ce phalène en septembre. Il va le recueillir au creux de ses mains et le faire grandir, évoluer, afin d’en faire une classe, j’irai même plus loin, «  un esprit classe », fascinant concept de classe dotée d’un mouvement commun faisant fi des individualités. Cette gestation et cette maïeutique seront orchestrées par lui, quelle aventure humaine on lui propose en début d’année !

– Car le professeur principal, pour réussir, devra s’entourer d’une équipe, des compagnons, avec qui il va coexister durant une année. Quel bel assemblage d’esprits que cela ! Et pour réussir cette mission, cette quête, il mettra tout son cœur à bâtir des réunions de concertation pédagogique ; que ce soit entre midi et deux, à la place de la pause repas, ou après 17 h 30 après une journée harassante. Les enseignants répondront tous présents, et eux aussi auront du mal à partir tant les débats seront captivants et enrichissants. Je n’oublie pas les emails, les « petits mots dans le casier » qui soudent l’équipe autour du projet commun, enrobés de blagues Carambars et de petites attentions.

– Car le professeur principal est souvent la personne privilégiée qui va recueillir les déboires des élèves, et les remettre sur les rails. Petite baisse de moral ? Légère altercation avec le prof de sciences ? Dérisoire tant, tous ensemble, nous ne sommes là que pour la réussite de nos jeunes. Le PP restera donc après ses cours, pour apporter son soutien, son écoute, ce qui créera cette relation si forte, si importante entre vous et l’élève. Il s’en rappellera. À vie sûrement.

– Car le professeur principal est aussi le lien entre l’Établissement et la Famille, et là encore il est pleinement un partenaire dans une relation gagnant-gagnant que n’aurait pas reniée Ségolène Royal. Qui mieux que lui pour expliquer dans un jargon moins technique comment se déroule l’année, le contexte classe, les projets pédagogiques et les sacro-saintes bases du socle commun ; ce qui donnera lieu à des échanges captivants et enrichissants.

Pas du tout !

– Car lorsque le chef d’Établissement cherchait le dernier PP de la liste, vous étiez sous la table pour chercher un Bic imaginaire tant vous ne vouliez pas être à nouveau le dindon de la farce ! Être prof principal ? Ou entrer dans la fosse à serpents venimeux, de manière volontaire, qui plus est chaussé de tongs. Cette blague ! C’est entendre toute l’année cette même ritournelle : « Ah, faut que je te parle, car TES petits…. » . Alors, je vous arrête. Je n’ai pas pondu ces 30 gamins. Je n’ai signé aucun certificat d’adoption. Je ne suis pas responsable, je ne suis pas coupable. Et ne me parlez pas d’esprit classe. On est en pleine colonie de vacances. Laissez-moi, je dois prendre un Lexomil.

– Car le prof principal ne peut pas ramer seul dans une galère de 200 rameurs. Il doit travailler en équipe. Oui, en équipe. Et si les collègues ne répondent pas aux mails ? Et si les réunions entre midi et deux sont désertées ? Celles du soir abandonnées car tout le monde a brusquement des enfants à aller chercher (sérieux Martine, mais tu as 60 balais, tes gosses sont à la fac ?? Tu biberonnes encore Martine ?). Que faire à ce moment-là ? Leur envoyer des hiboux ? Leur faire un slam ?

Ah oui, l’année dernière, j’ai eu un mot dans mon casier : « Tu les gères quand, tes petits ? Ils sont insupportables, on n’en peut plus ! »

Merci Martine. Sa seule attention : ne plus m’adresser la parole de l’année.

– Car le professeur principal devra s’occuper des problèmes capitaux des élèves, les écouter, les conseiller : bref devenir leur maman, leur papa, leur Tonton Charles, leur psy à moindre coût. Par problèmes capitaux, j’entends expliquer à Manon pourquoi Charles ne veut pas d’elle (qu’elle arrête déjà de s’habiller comme sur une bande d’arrêt d’urgence) ; à Charles pourquoi son père lui a confisqué son portable (qu’il essaye d’avoir la moyenne, une fois dans sa vie, juste pour voir l’effet que ça fait) ; sans oublier expliquer à la classe que si Monsieur Proctor le prof de maths les as tous punis, c’est car ils bavardaient et non pas car il est en plein divorce et qu’il a les nerfs à vif. Et l’année prochaine, ces mêmes élèves vous croiseront dans les couloirs sans même vous dire bonjour. Vous entendrez juste susurrer : « Franchement, notre PP de cette année, il est beaucoup mieux, il est tarpin gentil Proctor ! »

– Car le professeur principal est la chair à canon qu’on envoie, le fantassin pédagogique, le chrétien qu’on livre aux lions. Il y a une réunion de parents. On doit leur dire que leurs gamins sont quasiment des monstres, des créatures sans foi ni loi qui ont déjà envoyé en dépression deux enseignants. « Vas-y, c’est toi le PP. Parle-leur. Toi. OUI TOI. »

Ok. Les projets de l’année ? Survivre déjà. Les sorties ? Vous plaisantez, on va pas les détacher de leur chaise avant un bon mois. Oui, c’est ça le socle commun.

Cela finira par des entretiens individuels où le PP essayera de demander aux parents un sursaut d’autorité (ou d’orgueil ?), et au Papa de Charles par pitié de lui rendre son portable, car sans, il est vraiment trop insupportable en classe.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz (et son double)

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