Tout va bien, non ?

En 2018, une question demeure pendante : comment enseigner ?
Il y a quelques années déjà que j’ai posé cette question (ici). Mais il me semble utile d’y revenir en cette belle et nouvelle année. Qu’est-ce qui a changé ? Tout. Et rien. Retour aux fondamentaux de la lecture, de l’orthographe. Abandon des EPI (pardon, liberté de mettre en place des EPI). Fort bien. Le collège ronronne, à l’abri du temps et de ses remous. Enfin, pour les remous, il a droit à l’écume, invasion de smartphone et cyber-harcèlement. Mais tout va bien.

enseigner-internet

Oh, Sainte Ritaline, pensez à moi !

Les élèves passent plusieurs heures par jour sur leurs écrans, cinq ou six. On ne sait pas trop. Ils sont irritables, fatigués. Mais ce sont tous de petits génies, enfants précoces méprisés par l’Éducation nationale ou alors de pauvres dys. Dernière tendance, les agités. Enfin, pardon, les hyperactifs. Là encore, les enseignants refusent de s’adapter et vont allumer des cierges pour Sainte Ritaline.
Et de l’autre coté ? Derrière le bitcoin qui cache tout ? Une nouvelle forêt numérique. Wiki, blogs, réseaux sociaux. Des applications novatrices pour réaliser des vidéos animées, des sondages, du travail de groupe. Des possibilités pour légender des photographies, construire des parcours cartographiques, concevoir des posters multimédias. Et j’en passe des meilleures que je ne connais pas encore.

Que font les plus modernes de mes collègues ?

Ils enseignent à l’envers (je suis jaloux d’eux), ils troquent le panneau de liège pour Padlet, remplacent le hideux PowerPoint, si 1.0, par le beau Prezi, publient leurs cours sur des blogs et animent un groupe privé sur Facebook. Les élèves ont la chance de voir en classe des films (projetés illégalement, certes), des vidéos sur Youtube. Grâce à Pronote ou En Classe, ils ne prennent plus la peine de noter les devoirs. De toutes manières, c’est bien le diable si un copain ne répond pas sur Twitter ou Insta’ ce soir !
Je caricature ? Bien entendu. Et croyez bien que je ne me suis pas oublié dans ce portrait !

Que devrions-nous faire ?

Mais oui, que faire ? N’étant ni Irma, ni pédagogue, je ne sais pas.
Enfin, j’ai bien une petite idée révolutionnaire. Si on commençait par le début ?
Le début, c’est former les personnes. Former les enseignants, former les élèves. Les enseignants se servent de l’Internet, et d’applications, sans jamais en avoir appris les rudiments. Aucun élève n’a appris comment était composé un clavier et comment l’utiliser (remarquez, pour les enseignants, parfois, il n’y a pas une grande différence). La majorité des enseignants pense encore que pour trouver une image, il faut « faire Google Images » et sont donc au même niveau que les élèves. En France, on apprend à conduire, on passe son bac, mais on n’apprend pas à conduire sur et avec l’Internet. Cela doit être inné. Remarquez, il y a encore beaucoup de personnes qui pensent qu’on n’apprend pas à enseigner !
Au siècle dernier, il y avait le B2I. Et aujourd’hui ? On code, et surtout pas en HTML ou en SQL. Donc, une informatique éloignée de l’Internet et des pratiques de tous.

Une conclusion ?

Internet permet de changer ses pratiques d’enseignant. Mais faute de formation, on l’utilise comme un gadget. On substitue. Le panneau d’affichage de la classe sera un Padlet. Un PowerPoint donnera l’illusion de la modernité en alignant belles images et textes. Un cours intégré.
Et en face ? Notre public, gavé aux écrans parce que les parents n’ont pas pris conscience des dangers et qu’il fallait appliquer la « règle du 3, 6, 9, 12 » de Serge Tisseron*. Et cette nouvelle génération est si « différente ». Ce mot pudique pour dire que notre cours traditionnel n’est plus adapté à l’ère du temps, aux nouvelles pratiques des familles et des élèves. Et qu’il ne sert à rien, O tempora, O mores, de se lamenter : Que sont devenues les neiges d’antan ?

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

*Serge Tisseron et la règle du 3, 6, 9, 12 :
– pas d’écran avant 3 ans,
– pas de console de jeu avant 6 ans,
– pas d’Internet seul avant 9 ans,
– pas de réseau social avant 12 ans.

 

4 réponses

  1. Oui des enfants hyperactifs et qui ne savent plus se poser, ni écouter les consignes , ni prendre le temps et qui semblent souffrir d’agitation chronique. Merci pour cet article qui pose, me semble t’il les vrais questions. Sommes nous là seulement pour les former à devenir de futurs producteur/consommateur avec la compétence suprême « je sais utiliser un ordinateur », je sais copier/coller ou offrons nous encore la possibilité de pouvoir concevoir autre chose ? Certains se précipitent à fond dans ces nouveaux gadgets alors que les acquis fondamentaux ne sont plus là la plupart du temps : lire/écrire/penser. Et cinq minutes de calme dans tout cela pour le bien être collectif et éviter la multiplication croissante des arrêts maladies en fin de trimestre ? A quand la séance de lecture ou de relaxation obligatoire pour que chacun réapprenne à prendre le temps ?

  2. Hideux powerpoint ? Ce sont certains utilisateurs qui le rendent Hideux. Cela nécessite une formation. Prezi à tendance à faire vomir. Trop d’effets sont à bâtir. Powerpoint n’est pas en cause. Dis-t-on un mauvais Word quand quelqu’un écrit avec ses pieds ? Powerpoint à le pouvoir de soutenir visuellement les explications orales. Et rend attractif le cours quand ce fichier est bien réalisé.

  3. Intervention en début d’année de 6ième d’un gendarme spécialisé en cyber-machin-chose lors de la réunion de parents au sujet de l’abus d’écran. Réaction de ma voisine: « J’apprécie pas du tout qu’il nous infantilise. Mon gamin passe ses soirées sur tablette et il est pas plus con qu’un autre ».
    Je n’ai rien répondu.
    Qu’aurait-il fallu répondre à un adulte que la tablette arrange bien puisque pendant ce temps il lui fiche la paix? A ce genre de parent qui va remettre en question la mauvaise note attribuée à un devoir copié-collé sur Wikipédia pour lequel l’enfant n’a fait aucun effort de rédaction?
    Nous ne sommes pas aidés par l’Education Nationale et encore moins par les parents. Je ne compte pas changer de métier mais ça ne m’empêche pas de déplorer certaines conditions qui rendent mon métier – que j’adore- difficile à exercer par moments.

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