Alors, hâte d’y être ?

Dans le cadre de son stage pré-professionnalisation de CE2, Tristan, 8 ans, a rédigé ce rapport après une semaine en immersion en lycée professionnel.

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SALLE DES PROFESSEURS

Quand je suis arrivé le lundi, j’ai passé toute une matinée dans la salle des profs. Il y a beaucoup de monde qui passe, il y a des maîtres qui sont contents d’arriver le matin, d’autres plus contents de partir le soir. Il y a des coins importants dans cette salle : d’abord la photocopieuse. C’est là que les monsieurs et madames ils vont pour parler à voix basse de leur copain ou de la direction, et ils soupirent souvent les yeux au ciel. Ce que j’ai remarqué, c’est qu’ils sont plus souvent gentils entre eux, par exemple ils hésitent pas à passer leur code de photocopies car ils ont toujours beaucoup de papiers à imprimer, donc le monsieur de français il a un code pour son travail et le code d’un copain pour imprimer les photos de vacances en couleur ou une recette de cuisine. L’autre lieu bien cool, c’est la machine à café. C’est aussi là que les profs ils parlent entre eux, là à voix haute, et en général ils disent des choses pas très bien sur leurs élèves, comme quoi des papas et mamans auraient dû mettre le préservatif ou que le garçon il serait mieux chez lui à dormir que de ronfler en classe. Ils boivent beaucoup beaucoup de cafés, j’avais envie de leur dire que c’était peut-être pour ça qu’ils étaient énervés dès 8 h 00 du matin le lundi, mais j’avais peur de me faire gronder. Même si y a quand même des maîtres et maîtresses rigolos, qui jettent les clés des casiers de leurs copains dans leur casier fermé. Ils sont drôles !! Mais je sais pas comment il va faire ce prof-là pour récupérer ses affaires…

 

BUREAU DU CPE

J’ai ensuite visité le bureau du CPE. Alors au départ, moi, je croyais que le CPE c’est comme le CP, mais en plus évolué car c’était des grands. Mais pas du tout. Le CPE, c’est en fait un monsieur tout le temps sérieux ou énervé qui crie après les élèves. Il leur crie dessus le matin quand ils arrivent ; quand ils marchent dans les couloirs, quand ils vont à la cantine, quand ils sortent à midi, dans la récréation et aussi quand ils sortent le soir. J’espère le monsieur il a pas mal à la gorge le soir quand il rentre chez lui. Je sais pas pourquoi, mais il a toujours les sourcils froncés comme quand je mange épicé et quand un élève entre chez lui, il lui parle une heure les mains posées à plat sur son bureau et il lui raconte des anecdotes chaque fois sur l’armée comme quoi c’était mieux avec le « sévice militaire », je crois. Et l’élève, quand il sort, en général il dit qu’il a mal à la tête et des trucs pas très gentils. Un truc qu’il aime pas du tout du tout, c’est les casquettes. Quand il voit une casquette, il devient tout rouge et il parle encore plus fort que d’habitude. Je crois qu’il doit faire une allergie à ça.

 

CDI

J’ai ensuite passé l’après-midi au CDI. Le CDI c’est comme la bibliothèque de la ville, mais en plus petit et avec plein de gens qui parlent et qui rient sans se faire gronder. Car la dame du CDI, elle est toute gentille. Quand je suis arrivé, elle m’a proposé plein de BD, j’ai demandé pour qui c’était, elle a dit les élèves et je savais pas les grands ils lisaient toujours pas les livres. Oui, car y a des livres ils sont tout neufs car personne les ouvre jamais. Mais la dame y a un truc qui lui plaît pas, c’est quand les élèves ils rangent pas les chaises derrière les bureaux, là elle peut un peu crier, mais pas comme le monsieur des casquettes. Souvent y a des élèves qui sont pas gentils en classe et qui arrivent chez elle, ou alors des garçons qui ont froid à la récré. Du coup y a toujours du monde à ce CDI et moi j’ai bien aimé l’ambiance.

 

VIE SCOLAIRE

La vie scolaire c’est en fait le lieu où sont les copains du monsieur pas content. C’est là où arrivent les élèves qui sont pas gentils en cours, ou en retard, ou qui ont manqué l’école une journée ou plus. Ce qui est sûr, c’est que les élèves c’est jamais leur faute, et moi je les crois. C’est souvent le prof qui a pas compris ou le camarade que c’est lui qui a lancé la gomme sur la tête de la prof de Maths. Et quand ils sont en retard, c’est que le bus était dans les embouteillages, mais là je dois dire que c’est bizarre car certains ils arrivent à pied de chez eux donc je vois pas trop où est le bus. Donc ils remplissent le carnet et ils repartent en classe en rigolant.

 

RÉCRÉATION

Alors là, ça a été mon moment favori car j’ai pu écouter les grands parler et ça m’a changé des adultes. Donc les grands des fois ils sont comme nous, des fois ils sont pas comme nous. Ils sont comme nous car ils se languissent tous de la récréation, pour parler et surtout eux c’est pour regarder leur téléphone et jouer à des jeux vidéo. Ils rigolent et ils parlent des profs et des fois je vois que c’est pas trop gentil car ils disent des choses pas bien sur les mamans des profs, j’ai pas tout compris. Et ce qui est trop pas pareil, c’est que eux ils sont pas comme nous, contents d’être en classe pour apprendre des choses, ils veulent chaque fois partir plus tôt et ils veulent que leur prof il est pas là, surtout le prof de maths et de gestion. Je comprends pas trop pourquoi en grandissant on aime plus l’école. Et là ça sonne et le monsieur énervé il crie pour qu’ils aillent en classe.

 

EN CLASSE

Ensuite, j’ai suivi une matinée de cours avec mon papa qui est professeur de français dans ce lycée. Je m’étais mis au fond de la classe pour pas le déranger. Et là j’ai plein de choses à raconter !! D’abord, quand il y a plus eu d’élèves, je suis allé faire un gros bisou à mon papa et je lui ai promis de plus l’écouter à la maison car je vois bien que les élèves ils le font pas. Je comprends mieux pourquoi quand il rentre le soir il est fatigué, il a mal à la tête ! Car 28 élèves qui écoutent pas trop, ça fait du bruit !! En fait c’est le même bruit que dans la cour de récréation, mais avec Papa qui crie par-dessus tout ça. Moi j’étais à côté d’un garçon qui discutait tout le temps avec son voisin, et quand Papa il lui disait « tu travailles pas !! » , avec sa grosse voix comme quand j’ai cassé mon Lego à Noël. Le garçon il lui répondait qu’il travaillait car il avait écrit tout ce qui y avait au tableau. Mais pour papa c’était pas ça de vraiment travailler et il est fort Papa car le garçon en fait, il avait rien compris puisqu’il savait même pas dans quelle matière on était. Puis quand on est au fond de la classe, on voit que les élèves en fait, ils ont tous leur portable, j’ai pu voir la fin du match de foot d’hier, des vidéos de chat qui tombent, un film de Netflix et y en a même un qui parlait à sa maman à voix basse. Alors, à la fin, Papa a dit que la prochaine fois y aurait contrôle et du coup quand ça a sonné ils sont tous allés voir le garçon du premier rang qui doit s’appeler Lechboul. Je connaissais pas ce prénom. Ils sont tous partis donc je suis allé voir mon papa pour le réconforter et lui dire que moi je savais qu’il était prof de français et pas de PSE, et aussi le score du match d’hier. Et là mon papa a dit qu’il avait besoin d’un café et de vacances.

 

EN ATELIER

Pour finir ma semaine de stage, je suis allé à l’atelier, car en lycée pro, les élèves ils apprennent tous un métier pour plus tard et là ben je suis allé voir les menuisiers. Ce qui est bien dans l’atelier, c’est que les élèves ont l’air plus contents qu’avec mon papa, ils sourient et ils fabriquent des choses trop cool. En plus y a du bruit et ils peuvent pas trop parler. Par contre, il faut faire bien attention aux machines et le professeur du bois, à un moment, il a super crié fort, comme quand maman elle veut pas aller manger chez la famille de mon beau-père. Tout ça car un élève faisait le guignol près des machines à couper le bois. Le maître lui a demandé pourquoi il avait les yeux rouges et qui rigolait tout le temps et l’élève lui a dit qu’il faisait des allergies au pollen. Et là tout le monde a rigolé. Enfin, sauf l’élève qui a été renvoyé et qui a dû aller voir le monsieur en colère. J’espère il a pas caché une casquette sur lui en plus de son allergie.

 

BILAN

Cette semaine a été super et je me suis vraiment amusé avec les grands. J’ai appris que c’était difficile d’être un professeur, et que le lycée professionnel c’est vraiment un lycée qui forme à un métier, pas comme ma grande sœur qui a fait beaucoup des études pour se retrouver à chercher du travail depuis la rentrée. J’ai fait la connaissance de plein de personnes très gentilles qui m’ont bien accueilli même si dans ce lycée plein de gens ils savent pas qui est mon Papa alors qu’il travaille là-bas depuis dix ans au moins.

J’espère que je pourrais revenir un jour avec mon papa et plus tard je veux devenir professeur aussi, mais je sais pas si je pourrais car j’aime pas le café.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

2 réponses

  1. Et bien, Mr Lapraz, vous m’interpelez et je m’interroge :
    – Est-il possible d’amener un jeune enfant dans des classes de collège ou de lycée ? L’auteur de ce rapport a-t-il réellement 8ans ? Est-il votre fils ? Si oui alors il manie bien la parole. Il sait écrire ce qu’il a à dire. Il a su suivre un plan donné. Et vous devez être fier de lui aussi parce que sa franchise doit être pour vous un tremplin qui vous donne le courage de faire évoluer les regards de vos collègues sur l’école et les classes. Sinon les élèves continueront à projeter sur vous (*) leur souffrance de n’être pas accepté comme ils sont, leur complexe devant celui qu’ils considèrent comme un intellectuel ou un rêveur (opposé à un manuel, un artisan, un technicien), avant que vous puissiez prétendre les instruire, leur faire adopter des règles, et les cultiver.
    – Les projets pluridisciplinaires de votre établissement existent-ils ? car ils pourraient vous intégrer à l’équipe chargée des disciplines professionnelles, pour faire réaliser aux élèves diverses productions écrite et parfois illustrées, avec les TICE (diaporama, pages Word avec insertion d’images, de tableau, de graphiques). Le rapport de stage les y contraint mais c’est assez nu et standardisé. Il faudrait leur faire vivre un acte de créativité collective ménageant un peu de liberté ou de fantaisie, avec une sortie pour s’informer, observer et questionner, afin d’exploiter ces données en les complétant par des recherches diverses donc complémentaires sur Internet, afin de les partager dans des groupe de 4.
    C’est à dire un atelier d’écriture par plusieurs groupes de 2×2 pour réaliser ensemble un livret, chacun 2 ou 3 pages différentes, donc une oeuvre complexe où ils découvriraient à quoi servent la langue et le style, la cohérence d’un plan et d’un sommaire, l’intérêt des infographies et dessins ou photos, où ils comprendraient comment ils peuvent réussir à s’exprimer par écrit. Et à la fin un oral pour qu’ils racontent leur cheminement, leurs moments de satisfaction et de doute, leurs difficultés et les solutions qu’ils ont adoptées, et qu’ils présentent le résultat édité à faire feuilleter dans la classe ou à exposer pendant une « journée portes ouvertes » au CDI où certains joueraient le rôle de guide les uns après les autres. Ce qui valoriserait leurs efforts. Et renforcerait le lien social sur le plaisir de faire et de réussir pour et avec les autres.
    Alors si un jeune enfant venait dans cet atelier et vos cours théoriques permettant de réaliser le livret, il constaterait probablement une amélioration, et saisirait davantage de sens dans ce qui se dirait et ferait sous ses yeux…
    Bon courage pour tenter d’éveiller ces élèves, en vous laissant perturber par eux.
    (*) sur vous, bouc émissaire, raison du fait qu’à leurs yeux le français n’est pas une discipline utile.

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