Nous sommes l’endroit où nous travaillons

Des petites, des grandes, des bien rangées, des bordéliques, des où on mange, des où on discute, des où on se dispute, des où on rit, des où on pleure. Il y en a aussi des pratiques, des moins pratiques, exiguës, sombres, sans chaise, avec chaises attitrées. Des « de passage », des « de repos », des « de travail », des « de décompression ». Il en existe beaucoup, et je crois qu’elles sont toutes plus ou moins à l’image des gens qui y travaillent, qui y vivent.

salledesmaitres

La nôtre, elle est petite, toute petite. En même temps, c’est pas notre faute. C’est l’architecte. Il n’avait pas bien compris qu’il nous en fallait une. Il n’a toujours, je crois, pas bien compris à quoi à elle sert.

« À manger.

– Ah bon, vous ne mangez pas à la cantine ?

– À faire nos photocopies.

– Ah bon, vous n’avez pas de photocopieur dans vos classes ?

– À massicoter.

– (Silence interrogateur

– À se réunir.

– Ah bon, vous vous réunissez ? »

La nôtre, elle est petite mais je crois qu’on l’a adoptée. J’entends déjà les cris d’orfraie me traitant de mauvaise mère mais moi, je dépose toujours mes enfants à la garderie assez tôt pour pouvoir m’y poser 10 minutes, avant que la classe commence. Pour pouvoir m’y faire couler un (mauvais) café et retrouver mes collègues/amis/copains.

Il est bon, ce (mauvais) café, dégusté sur cette (inconfortable) chaise (en plastique), avec le bruit de la photocopieuse en fond sonore. Avec les cliquetis du massicot par-dessus, celui du téléphone en-dessous et celui des enfants qui entrent dans l’école aussi.

Il est chouette ce moment où L., la directrice, a tout juste le temps de poser son sac sur la table avant que la concierge ne l’appelle parce que le papa de J. veut la voir, et tout de suite.

Elles sont sympas, ces minutes où C. arrive, se plaint que son ordinateur ne fonctionne (encore) plus, où C. (l’autre) nous explique qu’elle n’a encore pas trouvé de place pour se garer et va (encore) se prendre une amende et où A. (c’est moi) lève les yeux vers le tableau et hurle : « J’avais zappé qu’on avait réunion ce midi, j’ai rendez-vous avec la maman de Y., je dois remplir une fiche RASED et j’ai 5 évaluations en retard à corriger et je n’aI rien emmené à manger ! »

Si les murs pouvaient parler…

Ils en entendent des choses, les murs de la nôtre. Des choses drôles, ou moins drôles. Des choses qui nous font rire, nous, mais qui n’en feraient sans doute pas rire d’autres. Des choses qu’on pose là, sur la table, parce qu’on a besoin de les sortir et que les autres prennent, ou pas, pour nous aider à les porter. Des choses sur lesquelles on finit par rire, parce qu’on a épuisé toutes nos maigres armes pour faire autrement.

« Y. n’est pas revenu, ça fait déjà 3 semaines, je suis inquiète, depuis que j’ai fait un signalement, pas de nouvelles. »

« S. est arrivée toute guillerette hier matin, elle m’a montré ses mains et m’a dit « Maîtreuh, j’ai la galeuh ». »

« Ce matin, on travaillait sur les noms propres. À la fin de la séance, j’ai dit « Un nom propre commence par une… et tous ont répondu « Majuscuuuuule !! » et puis M. s’est levé et a crié « et se termine par un point ! »

« Dis-moi, la personne qui vient chercher I., c’est sa grand-mère ou son grand-père ? »

Pour nous, elle n’est pas importante, elle est essentielle. Quand on y est, on n’est plus tout seul, il y a les autres, ceux qui vivent ce que l’on vit, ceux qui comprennent ce que l’on ne comprend parfois pas, ceux qui nous aident, ceux qui écoutent, ceux qui nous permettent de continuer et de l’abandonner, ensemble, quand la sonnerie retentit.

Une chronique d’Anouk F.

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