La philo en classe ?

Jamais je n’aurais pensé un jour mener un débat de philosophie en classe de CE1 ou même plus encore assister en tant qu’observateur à un débat mené rondement par 29 élèves de 7/8 ans dans ma propre classe !

Eh bien, quelle expérience ! Jolie expérience que je souhaite vous raconter.

philo

Comment l’idée a-t-elle germé ?

Tout est parti d’une proposition de formation. J’avais déjà balayé les formations de lecture, de mathématiques et d’arts mais j’avoue, jamais je n’avais osé m’aventurer du côté de la philo… peut-être à cause des souvenirs plus ou moins amers de mes années lycée qui me faisaient planer dans des réflexions à l’endroit à l’envers sur la condition humaine sans réellement apporter de réponses ni véritablement changer le monde…

Loin de moi l’idée donc de pratiquer la philosophie en classe. À quoi bon ?

Mais pourtant, cette année, le contenu de cette formation m’a interpellée et, j’avoue, l’inscription de ma collègue à la même session, convaincue au moins de passer un moment en bonne compagnie.

Je m’embarquai alors pour deux journées de formation sur le titre percutant :

Vous avez dit « philosopher avec les enfants » ?

Convaincue

La formation, étalée sur deux journées, s’est faite en 3 temps :

J’ai écouté, j’ai validé, j’ai testé, j’ai corrigé, j’ai adoré.

La démarche

Un thème

Un sujet d’abord qui pourra plaire à vos élèves.

L’idéal est de partir d’une situation concrète : un conflit de classe, un album, une vidéo, une photo…

ALBUMS : C’est moi le plus fort (Mario Ramos), les Max et Lili, La brouille (Claude Boujon), Laurent tout seul (Vaugelade), Pezzetino (Léo Lionni), Pou-Poule ! (Loufane)…

YOUTUBE : la petite casserole d’Anatole (https://www.youtube.com/watch?v=u89zNjM2k5Y)

Autres supports : Les philofables (Michel Piquemal), Pomme d’Api, affiches, texte…

Pour ma part, pour lancer mon premier débat, j’ai longtemps hésité mais le hasard a choisi pour moi en plaçant sur ma route un poème : « À mon frère blanc » de Léopold Sédar Senghor.

 

Cher frère blanc,

Quand je suis né, j’étais noir,

Quand j’ai grandi, j’étais noir,

Quand je suis au soleil, je suis noir,

Quand je suis malade, je suis noir,

Quand je mourrai, je serai noir.

Tandis que toi, homme blanc,

Quand tu es né, tu étais rose,

Quand tu as grandi, tu étais blanc,

Quand tu vas au soleil, tu es rouge,

Quand tu as froid, tu es bleu,

Quand tu as peur, tu es vert,

Quand tu es malade, tu es jaune,

Quand tu mourras, tu seras gris.

Alors, de nous deux,

Qui est l’homme de couleur ?

 

Beau et percutant pour aborder le thème de la différence avec douceur…

Cueillette de questions

L’idée est dans un second temps de procéder à une cueillette de questions proposées par les enfants. Seulement faut-il déjà qu’ils aient une idée de ce qu’est une question philosophique… Et à ce jeune âge, ce n’est pas évident…

Alors, pour mon premier débat j’ai choisi de proposer 3 questions aux enfants et de les laisser choisir par le vote la question qui leur plaisait le plus.

En grande majorité, mes élèves ont choisi la troisième question : « Qu’est-ce que la différence ? »

Distribution des rôles

Pour se détacher du débat et laisser place aux élèves, des rôles sont attribués aux enfants.

Le président, l’observateur et le synthétiseur ne prennent pas part au débat.

Installation

Pour changer de la posture classique en classe, les enfants se sont installés assis sur leur table, en face à face dans un format rectangulaire (29 élèves à caser).

Sur un côté, le président et à ses côtés l’observateur et le synthétiseur.

Pour ma part, je me suis mise en retrait pour qu’ils m’oublient… un peu.

Discussion

Lancement du sujet par le rappel de la question par le président et… c’est parti !

Qu’est-ce que la différence ?

Des animaux poilus à l’espèce humaine (sans poils !), de l’homme à la femme, des Français aux étrangers, des frères et sœurs, jumeaux ou pas, des enfants de la classe… tout y est passé !

Quelques tentatives de hors sujet par le lancement de quelques questions venues d’ailleurs :

« Pourquoi il faut travailler à l’école ? »

« Pourquoi les mois ils existent ? »

« Pourquoi les parents disent des gros mots et les enfants ils les répètent ? »

Sûre que certains enfants se sont arrêtés à la notion de « QUESTION » en oubliant qu’il y avait LA question du débat. Mais malgré ces hors sujets, les petites discussions entre élèves se sont nourries de questions/réponses, de nouvelles interrogations, de réflexions personnelles très pertinentes aussi : « Si la différence n’existait pas, on ferait tous la même chose tout le temps en classe et ça ne serait pas rigolo… »

Durant ces 20 minutes, pratiquement pas le temps d’entendre une mouche voler mais toujours une petite main levée ou une langue bien pendue pour alimenter le débat la discussion. Disons que le terme « débat » est encore un peu prématuré. Il leur faut encore du temps pour mûrir leur pratique du débat philosophique.

Mais je suis certaine que dans quelque temps, mes élèves bénéficieront des bienfaits de la philo.

Quels bienfaits ?

Et c’est justement en prenant du recul que la philo prend du sens en classe.

Que font finalement mes élèves ?

Ils développent de manière incontestée leurs attitudes citoyennes (EMC) : écouter, dialoguer, demander la parole, accepter des avis différents, éprouver de l’empathie…

Mais aussi, ils construisent un système de pensée logique : argumenter, contre-argumenter, questionner, reformuler, synthétiser… n’est-ce pas tout autant mathématique ? Problématiser, conceptualiser et argumenter ?

Oui mais…

Oui mais il n’est pas toujours facile ce débat philo… car parfois on tourne en rond, surtout lorsqu’on fait le choix de « ne pas participer ».

Mon deuxième débat était plutôt un « flop ». Et le fait de m’être désengagée de la discussion ne m’a pas autorisée cette fois-là à entrer dans leur bulle de discussion.

Pourtant tout laissait à penser que ce serait un débat fantastique.

D’abord, chaque élève avait choisi parmi une multitude de photos de reproductions de peintures exposées en classe une qu’ils aimaient et une qu’il n’aimaient pas. Puis j’avais présenté aux enfants de la classe les « belles œuvres » et les « pas belles » de chacun sans ajouter de commentaire.

Parmi leurs questions proposées l’une avait été retenue en ces termes : « Pourquoi on voit un homme qui frappe un cheval et on trouve ça beau ? »

Un débat sur le beau, le laid, la subjectivité des goûts et l’appartenance à chacun… chouette débat…

Sauf que durant tout ce temps, les élèves ont plutôt cherché à expliquer pourquoi le cheval était frappé :

Je vous épargne les 20 autres suggestions ?

Recadrer un débat sans pouvoir y participer est… difficile et ma tentative de repasser en fluo sous le nez du président la portion de la question « pourquoi on trouve ça beau ?»… fut un flop : « J’ai rien compris ! » m’a-t-il dit…

La prochaine fois donc, je suivrai les autres « possibles » proposés en formation : préparer un plan de discussion et me mettre dans la ronde des parleurs pour assurer la bonne avancée de la discussion.

Le plan de discussion

Il est une préparation écrite d’une série de phrases ou de questions qui permettent de relancer ou de réorienter un débat sans s’impliquer lorsque les enfants ne sont plus dans le sujet ou n’arrivent plus à avancer dans une idée.

Il peut s’agir de questions de type :

– Comment expliques-tu… ?

– Est-ce que l’on est… parce que l’on est… ?

– D’après toi, doit-on… ? faut-il ?…

– Penses-tu… ? Pourquoi ?

– …

 

Aussi vais-je revoir ma position pour mes prochains débats.

 

En tous cas, je pense avoir réussi à introduire la philo en classe !

 

Mais qu’est-ce que RÉUSSIR ?

Une chronique de Claire Maurage

4 réponses

  1. Bonjour du Québec,

    J’enseigne la philosophie au secondaire depuis plus de vingt ans. Ma pédagogie repose sur le modèle de la « Philosophie pour les enfants » de l’américain Mathew Lipman. Je vous recommande la lecture de sa méthode qui propose plutôt que ce soit l’enseignant qui dirige les discussions, sans intervenir, assurant ainsi une excellent démarche intellectuelle.

    Luc Woodbury
    École de la Magdeleine
    La Prairie
    Québec

    1. Bonjour,

      Désolée pour ma réponse tardive, j’ai pris connaissance de votre commentaire qu’il y a peu.
      Oui au cours de ma formation nous avons découvert la méthode de Lipman. Je compte bien utiliser cette méthode car la « non intervention » totale dans un groupe d’enfants de 7 à 8 ans est difficile. Je pense utiliser un plan de discussion et profiter pleinement de ces instants « gratuits » pour enrichir tout le monde !
      Merci pour votre Post.

      Claire

  2. Tres beau sujet.
    J aurais adore etre en classe avec vous.
    Selon vous a quel rythme faut il mener ces debats ?
    Est ce que vous avez constate: 1 un changement dans la qualite et la quantite de participations de vos eleves dans vos autres cours.
    2 y a t il des trainards, des opposants tacites ?
    3 est ce que ca implique bien  » les mauvais eleves « ,  » les mauvais parleurs  »

    4 avez vous constate une augmentation des capacites d attention individuel?

    5 pensez vous continuer dans cette forme participative de la pratique ?
    Et cette forme participative occupe suel portion de votre temps ?

    Merci pour ce beau billet.
    Eric
    FCPE 71

    1. Bonjour,

      Pardon pour cette réponse tardive, je n’ai pris connaissance de votre commentaire il y a peu.
      Je n’ai pour le moment exercé cette pratique qu’à deux reprises. Mes réponses ne peuvent donc pas être très fondées. Mais je vais tenter d’être la plus précise possible.
      1) je ne peux mesurer l’impact sur mes autres cours pour le moment mais certains élèves se sont montrés beaucoup plus à l’aise dans cet exercice « libre » de l’oral qu’en participation cadrée en classe.
      2) il n’y a pas spécialement de trainards ou d’opposants… certains ont l’air de s’ennuyer un peu et essaie d’amuser les copains mais je pense que c’est plus une gêne parce qu’ils n’ont pas l’habitude d’être justement « libres de parler sans ME demander la permission »… et ça déstabilise !
      3) Les enfants qui ne parlent pas écoutent activement et ont dit avoir aimé malgré leur silence. Les « mauvais parleurs » ? Il n’y a pas de mauvais parleurs… des enfants s’expriment plus ou moins bien mais donnent nourriture au débat.
      4) Pas assez exercé cet exercice pour déterminer les répercutions sur les capacités d’attention individuel.
      5) OUi je pense continuer mais cette fin d’année s’annonce très courte, nous reprenons la classe le 14 mai et… direction fin d’année. Habituellement j’utilise 20 à 30 minutes pour la préparation du débat et le même temps pour le débat en lui même la semaine suivante. Les prochaines fois je participerai pour réorienter le débat lorsque nécessaire.

      Merci pour votre compliment.

      Claire

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