Les élèves sont surprenants
En classe de découverte(s), on apprend autre chose, autrement et ailleurs. On manipule, on observe, on se questionne et on raisonne. Tout cela concerne le Savoir. Il y a aussi l’humain, la vie de groupe, la tolérance, le respect des autres et des règles. Enfin il y a l’autonomie, l’entraide, la coopération. Tout cela concerne autant le savoir-être que le savoir-faire.
Avant de partir en classe de découverte(s), on aime prédire l’avenir, penser aux élèves qui profiteront positivement de cette expérience et à ceux insuffisamment armés pour profiter pleinement de ses bienfaits.
J’aime les classes de découvertes car elles nous permettent de découvrir combien on s’est trompé. Les élèves nous surprennent, se révèlent, se dévoilent et les grands sont parfois plus petits qu’on le pensait et les petits se révèlent bien plus grands qu’on ne l’imaginait.
Typologie
Nous avons ainsi découvert quelques catégories sociales étonnantes :
- Celles et ceux qui vivent avec une horloge interne très personnelle, incapables de se caler sur le temps collectif. On a cherché en vain leur fuseau horaire… Faute de l’avoir trouvé, ils vivent en décalage sans aucune contrariété, même pas celle de contrarier les autres et les maîtresses.
- Celles et ceux qui sont là tout en étant ailleurs. Un véritable don d’ubiquité ! On voit leur corps, on pense qu’ils sont présents mais leur esprit vadrouille dans un no man’s land connu d’eux seuls. Aucune carte terrestre ou céleste n’est en mesure de donner leur position.
- Celles et ceux dont l’ouïe pourtant correctement développée, n’est pas réceptive à certaines injonctions. Ils filtrent soigneusement les ordres superflus : « Range ta chambre ! Aide à débarrasser ! Il est temps de dormir… ».
- Celles et ceux pour qui parler est aussi indispensable que respirer. Ils ne s’aperçoivent même plus des logorrhées dont ils sont capables et l’auditoire finit aussi par ne plus entendre le ronronnement perpétuel de leur débit parolier. On assiste ainsi à des dialogues parallèles, plus communément appelés « dialogue de sourds » (peut-être parce qu’ils finissent par n’entendre qu’eux-mêmes).
- Celles et ceux qui disposent d’une vision hors du commun. Ils balaient latéralement et rapidement leur regard et grâce à leur infaillible détecteur de maîtresse, un dixième de seconde leur suffit pour pressentir si le champ est libre ou non (ils en profitent en général pour contourner l’incontournable : « les règles »). Mais face au sixième sens du corps enseignant, ils doivent rivaliser de finesse et d’ingéniosité. Ils sont très joueurs mais ne gagnent pas à tous les coups !
- Celles et ceux qui ne savent pas que les autres peuvent aussi savoir. Ils détiennent la Vérité (la seule) et ne sont pas encore équipés pour accepter que d’autres peuvent éventuellement savoir aussi ! Ils ne supportent pas qu’on mette en doute leurs connaissances et peuvent passer des heures à prouver qu’ils ont raison avec des arguments parfois si maigrichons (« c’est maman qui l’a dit ») qu’ils en deviennent touchants. On les appelle aussi les huîtres parce qu’ils se ferment quasi instantanément dès qu’ils sont contrariés.
- Celles et ceux qui rêveraient d’avoir le pouvoir d’invisibilité. Ils s’excusent presque d’être là, s’effacent dès qu’ils le peuvent, évitent les croisements de regards avec l’adulte et se forgent une cuirasse aussi épaisse que leur timidité. Mais on sait qu’ils ont un talon d’Achille (encore faut-il le trouver). Quand il est localisé, ils finissent souvent par s’ouvrir et s’étonnent encore de la pertinence de leurs propos.
- Celles et ceux qui bougonnent toute la journée. Ils sont aigris avant l’âge, critiquent tout, n’apprécient rien. Ils se focalisent sur ce qu’ils n’ont pas, incapables d’apprécier ce qu’ils ont. Ceux-là même qu’on retrouvera peut-être à rendre la vie infernale au corps médical dans les maisons de retraite.
- Celles et ceux qui se lèvent heureux et se couchent de belle humeur. Un sourire éternel collé sur leur visage. Ils sont capables de positiver sur les situations les plus critiques : « Il pleut ? Alors on peut aller se baigner puisqu’on est déjà mouillé ! Il fait beau ? Alors on peut aller se baigner parce qu’il fait chaud ! »
- Les bouées de sauvetage, celles et ceux qui n’ont de cesse d’aider ceux qui en ont besoin. Ils n’apprécient ce qu’ils ont appris qu’à la condition que tout le monde ait appris. Pour eux, le savoir est bien meilleur quand il est partagé.
- Celles et ceux qui stressent pour un rien, les perfectionnistes. Ils dépensent une énergie incommensurable à vouloir tout maitriser. Le challenge est leur moteur, répondre avant la question est leur credo (et c’est parfois dommage).
- Celles et ceux à qui il ne manque qu’un nez rouge. Ils dégainent les vannes plus vite que leurs ombres. On les voit venir de loin et on lève les yeux au ciel dès qu’ils ouvrent la bouche. Pourtant, il leur arrive parfois de sortir des perles amusantes, voire mémorables. Elles sont rares mais quand on tombe dessus, tous les collègues en profitent.
- Celles et ceux dont le niveau de langage est d’une richesse insondable. La monoculture du vocabulaire (« putain, j’fais c’que veux ! »).
En classe de découverte(s), on fait bouger les frontières. Les heureux s’interrogent sur leur bonheur, les anxieux s’autorisent davantage d’optimisme, les savants apprennent de leurs erreurs, les timides se font plus visibles, un sourire fugace peut même éclairer le visage des plus grincheux…
Une classe de découverte, c’est un tableau de maître : un beau mélange de couleurs, une joyeuse mixité, un ensemble de savantes différences.
Les enfants sont des adultes en devenir que l’entourage modèle, que l’éducation forme, que l’instruction façonne, que la famille pétrit.
En classe de découverte, on s’emploie à mouiller la terre afin que les enfants ne deviennent jamais de sèches sculptures.