Tout l’été, j’ai rêvé que je n’étais plus prof. Enfin, N’étais-ce pas plutôt un cauchemar ? Un de ces rêves récurrents qui nous envahit à l’approche de la rentrée, lorsque tout s’effondre et que l’on se réveille, hagard et couvert d’une sueur froide. Ce rêve de la cloche qui sonne et de la classe introuvable. Ce rêve du cours qui part en quenouille, le contenu oublié, les notes égarées, voire le tableau disparu.

J’ai rêvé que je pilotais une raboteuse. L’oeil sur l’écran indiquant la profondeur d’action des lames ou des rotors, je ne me souviens pas bien. Un bref regard sur la température de la lame et un coup de klaxon impératif pour faire avancer le semi-remorque devant moi.
Mais, il manque quelque chose. Le bonjour vif et le sourire des élèves qui entrent en classe.

J’ai rêvé que j’étais devant un écran. Un très grand écran. Avec un fichier Excel monstrueux. Et tout clignotait. Impossible de rentrer la variable. J’appelai mon plus proche voisin. Mais dans cet immense openspace, aucun son, aucun bruit, que le dos des opérateurs concentrés sur leur écran. Aucune réponse du voisin.
Mais, il manque quelque chose. Le regard plein d’attention et de gratitude des jeunes sixièmes encore avides d’apprentissages.

J’ai rêvé que j’étais peintre dans une nacelle. Le vent fouettait mon visage. J’avais les doigts gourds. Pourtant, le soleil était bien présent et dardait ses rayons sur mon dos. Il me restait encore un grand nombre d’étages à peindre et mon rouleau me semblait bien désuet. je ne voulais surtout pas me pencher pour compter les niveaux. Un sourd malaise me tordait les intestins. Le vertige.
Mais, il manque quelque chose. Le doux crissement de la craie sur le tableau et le silence palpable de la classe concentrée dans son écriture.

J’ai rêvé que j’étais papetier. Très fier de mon comptoir où s’étalent les cahiers 24×32, surtout pas à spirale. Des cahiers de 96 pages, contrairement à la recommandation des associations de parents d’élèves qui prônent le 48 pages. Et puis, il y avait les crayons. Et les stylos. De toutes les formes, de toutes les couleurs. J’étais fier du panonceau “Ici, pas de Blanco, des gommes et des effaceurs de qualité”. Et les trousses. Des géantes, comme les collégiens en rêvent, qui permettent de ranger une centaine de stylos et de crayons. Et les carnets. Des carnets spéciaux pour concocter des lexiques d’histoire-géographie.
Mais, il manque quelque chose. Le gimmick qui fait rire la classe entière lorsqu’on distribue une photocopie et qu’il demande “c’est une interro ?”.

J’ai rêvé que je pilotais une moissonneuse CX7 TIER 4B. Je plastronnais dernière le pare-brise panoramique. Je ne sais pas pourquoi, mais le système SCR ECOBlue™ me semblait un des plus beaux atouts de cette machine. Une idée loufoque. Tout le monde sait pourtant que l’avantage des New Holland, hormis la couleur, est la grande tablette IntelliView™ IV et son système qui donne instantanément la quantité récoltée à l’hectare, en plus de la cartographie du champ permettant d’adapter le dosage des intrants pour l’année suivante. Je sentais les 400cv de la machine et les vibrations des quatre secoueurs. Les hauts parleurs crachaient du Vangelis et seules quelques vibrations indiquaient que le grain montait sur la rampe, derrière la cabine. Un son de clochette. J’ouvre la trappe de contrôle. Un pain tout chaud. Avec une étiquette. Entre deux épis de blé, une phrase joliement caligraphiée : “avec les compliments de l’Ecole des céréales”. Décidément, il faut que je retourne à l’école. Je me souviens de la visite du salon de l’agriculture et de sa moissonneuse jaune. Ce n’était pas un rêve.

Mais, il manque quelque chose. Cette joie sourde qui vous prend aux tripes lorsque vous vous rendez compte que demain, c’est les vacances la rentrée.

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

Laisser un commentaire

buy windows 11 pro test ediyorum