Questions autour du bilinguisme

Je vous propose aujourd’hui l’interview dense et passionnante que j’ai réalisée pour le blog du Lycée Français de New York auprès de l’universitaire Christine Hélot, sur la question du bilinguisme. Cette problématique touche les élèves dont les parents parlent une autre langue que le français, mais aussi et évidemment… leurs professeurs.

Il existe différents degrés de maîtrise d’une seconde langue, selon qu’on l’ait apprise à la naissance par exemple, ou bien plus tard à l’école : à partir de quel niveau peut-on se déclarer bilingue ?

Votre question fait référence à trois points distincts : 1) comment définir le bilinguisme, 2) comment mesurer le bilinguisme, et 3) la question de l’âge. Concernant la dimension définitoire du bilinguisme, il faut savoir qu’il existe de très nombreuses définitions qui donnent rarement entière satisfaction parce qu’elles reflètent souvent des représentations du bilinguisme qui ne correspondent pas à la réalité des pratiques des individus bilingues ou plurilingues. J’insiste toujours en premier sur le fait qu’il n’y a pas de bilinguisme “parfait”, tout comme il n’y a pas de monolinguisme parfait. Personne ne parle une langue parfaitement, on ne peut donc pas définir un bilingue par ce critère de perfection, ni d’ailleurs par un critère d’équivalence de compétences dans les deux langues. Selon l’environnement dans lequel vit le bilingue, selon son âge et de nombreux autres critères les compétences dans ses deux langues vont évoluer et parfois changer.

Il n’y a pas de bilinguisme “parfait”, tout comme il n’y a pas de monolinguisme parfait.

Ceci m’amène donc à la deuxième partie de votre question : comment mesurer les compétences d’un individu qui parle plusieurs langues pour décider si il/elle est bilingue ? Le problème ici c’est que pendant longtemps on a mesuré les compétences des bilingues à l’aune de celles des monolingues sans comprendre que les individus bilingues ont une compétence spécifique qui n’est pas la somme de deux compétences monolingues, mais bien une compétence intégrée complexe qui permet non seulement de s’exprimer dans deux codes mais également de savoir quand passer de l’un à l’autre. Il ne faut pas oublier non plus les compétences interculturelles des bilingues qui savent négocier des mondes culturels différents et qui très souvent doivent gérer ces différences pour les monolingues.

Concernant l’âge d’acquisition d’une seconde langue, cette question a beaucoup été débattue par les chercheurs qui ont montré que différents chemins mènent au bilinguisme. En effet, de nombreuses personnes dans le monde sont bi ou plurilingues mais n’ont pas nécessairement acquis leur deuxième langue dès la naissance ou très tôt en famille. Et d’autres grandissent avec plusieurs langues dès le berceau mais perdent une de leur langue au cours de leur scolarisation par exemple parce cette langue est stigmatisée. On peut donc devenir bilingue  dans sa famille, à l’école ou en allant vivre et travailler dans un autre pays. La personne qui fonctionne dans deux langues de façon satisfaisante dans sa vie de tous les jours peut donc être considérée bilingue.

Le problème avec les définitions trop strictes c’est qu’elles excluent bon nombre de personnes bilingues qui sous-évaluent leurs compétences, qui n’osent pas s’assumer en tant qu’individus bilingues et qui parfois se sentent en insécurité linguistique sous le regard de monolingues qui érigent le monolinguisme en norme ou qui voient dans le bilinguisme quelque chose d’exceptionnel. Rappelons qu’il existe dans le monde beaucoup plus d’individus bi-plurilingues que d’individus monolingues et que c’est donc le monolinguisme qui fait figure d’exception, mais que c’est une exception dont on peut guérir facilement !

Quelles sont les conditions favorables pour que des enfants et / ou des adolescents scolarisés dans un nouveau pays deviennent bilingues ?

Je répondrais à cette question en disant que les enfants scolarisés dans une langue autre que leur langue familiale sont déjà bilingues, et qu’il est très important de les dénommer ainsi parce que cela permet d’avoir un regard positif sur leurs compétences. Ofelia Garcia (participant a la Conférence – Vivre avec Deux Langues) utilise le terme de bilingues « émergents » ou débutants, ce qui veut dire qu’à partir du moment où ces enfants sont en situation d’apprentissage dans deux langues, ils fonctionnent dans deux systèmes linguistiques, ils sont donc bilingues.

Ensuite pour développer au mieux leurs compétences dans les deux langues, il faudra bien évidemment mettre en place des stratégies pédagogiques appropriées, mais encore une fois, la recherche sur l’éducation bilingue a apporté des réponses intéressantes. En effet, s’il existe de nombreux modèles d’éducation bilingue dans différentes régions du monde il faut se souvenir qu’il n’y a pas un modèle idéal qui répondrait à toutes les questions que les enseignants se posent. Chaque modèle correspond à une réalité éducative spécifique et doit être pensé dans son contexte éducatif, social et politique.

Le deuxième aspect concerne la relation entre les deux langues d’enseignement dans l’apprentissage bilingue. Pendant longtemps on a cherché à séparer strictement les deux langues pour s’assurer que les élèves ne mélangeraient pas les deux systèmes linguistiques. Or on sait aujourd’hui que l’apprentissage d’une deuxième langue se construit sur les savoirs dans la première et que l’utilisation des deux langues dans un cours bilingue peut être une stratégie pédagogique efficace. On peut par exemple demander à des élèves de réfléchir sur un texte dans leur L1 même si ce texte est présenté dans la L2, ou d’écouter une leçon de mathématiques dans une langue et de faire les exercices dans l’autre langue. L’apprenant bilingue va ainsi construire ses compétences dans les deux langues sans devoir toujours s’interdire d’en parler l’une ou l’autre, mais en utilisant les ressources de son répertoire plurilingue pour effectuer toutes sortes de tâches cognitives.

Un enseignement bilingue veut dire que l’élève apprend à l’école dans deux langues et apprend à gérer les relations entre ses deux langues et pas seulement à les garder strictement séparées l’une de l’autre. Car c’est aussi son identité de bilingue que l’enfant construit en découvrant le monde au travers de deux systèmes linguistiques et de deux ou plusieurs cultures.

Les parents doivent-ils craindre que l’apprentissage d’une nouvelle langue s’opère au détriment de la première, et leur enfant pourra-t-il exceller dans les deux langues ?

Si les deux langues sont présentes dans la salle de classe, la première ne va pas disparaître au profit de la seconde. Souvent lorsque la langue familiale n’est pas présente à l’école, la langue de scolarisation tend à dominer et petit à petit à prendre la place de la première langue qui peut disparaître du répertoire de l’enfant. C’est le cas de nombreux enfants issus de l’immigration en France dont la langue familiale est stigmatisée : ces enfants arrivent bilingues à l’école mais vont devenir monolingues dans un système éducatif qui valorisent les langues étrangères mais pas les langues des élèves migrants. J’ai expliqué ce paradoxe dans mes travaux sur le caractère inégalitaire du bilinguisme en contexte scolaire français.

Les anglicismes dans les copies des élèves du LFNY ne sont pas du tout un signe de confusion mais la trace du contact de leurs deux langues dans leur fonctionnement cognitif.

L’apprentissage d’une nouvelle langue ne devrait jamais se faire au détriment de la première qui participe à la construction identitaire de l’enfant. Et les nombreux travaux sur l’enseignement bilingue aux USA en Europe ou ailleurs ont montré qu’un très haut niveau de compétences peut être acquis non seulement dans deux mais aussi dans trois langues chez les individus dont les langues sont respectées et valorisées par les systèmes éducatifs. Aucun enfant ne devrait avoir honte de la langue de sa famille et toutes les langues des élèves devraient être légitimées par les acteurs éducatifs.

Les professeurs du LFNY constatent souvent des anglicismes dans les copies d’élèves de langue maternelle française. Quel mécanisme cette confusion révèle-t-elle et faut-il s’en inquiéter ?

Les anglicismes dans les copies des élèves du LFNY ne sont pas du tout un signe de confusion mais la trace du contact de leurs deux langues dans leur fonctionnement cognitif. Ces « mélanges » de langues sont un phénomène tout à fait normal et courant chez tout individu bilingue et, contrairement à ce que l’on pense généralement, régis par des règles que les linguistes ont mises à jour. Les élèves du LFNY vivent dans un environnement anglophone où la langue anglaise domine dans leur vie de tous les jours même s’ils parlent français à la maison et sont scolarisés en français. Quand on a deux codes linguistiques à sa disposition il est tout à fait normal que l’un influence l’autre et inversement. Ceci dit, il est aussi légitime que les enseignants s’attendent à ce que les élèves produisent un français normé, puisque c’est le rôle de l’école d’assurer l’enseignement de la langue nationale.

Ce que j’aimerais suggérer aux enseignants c’est de travailler avec les élèves sur ces mélanges de langues, de les faire réfléchir aux raisons de ces mélanges c’est-à-dire de faire un travail linguistique sur les ressemblances et les différences entre l’anglais et le français. Ce travail de réflexion métalinguistique pourrait s’avérer porteur de sens pour les élèves qui verraient moins leurs pratiques linguistiques stigmatisées et qui comprendraient mieux peut-être le bien fondé de produire un texte en français normé pour réussir aux examens par exemple. Ceci dit il ne faut pas oublier non plus la créativité linguistique qui nait du contact de langues et de cultures dans le monde actuel et que l’on voit dans les écrits d’auteurs multilingues contemporains, chez de nombreux artistes et dans les espaces urbains où les langues se jouent des règles expliquées dans nos livres de grammaire.

Outre la capacité de communiquer avec autrui, quels sont les avantages du bilinguisme ?

Les avantages du bilinguisme ou du plurilinguisme résident principalement dans cette capacité qu’ont les bilingues de voir le monde au travers de deux systèmes linguistiques et donc d’avoir une meilleure compréhension du monde qui nous entoure. Très tôt leurs deux langues leur permettent  un certain relativisme par rapport aux catégories de pensée des monolingues. Le bilingue sait qu’il existe deux mots différents pour signifier le même objet par exemple. Mais surtout le bilingue va savoir négocier très tôt aussi deux systèmes culturels différents, passer de l’un à l’autre et comprendre les règles de chacun.

Apprendre dans deux langues à l’école ou à l’université, penser, écrire dans deux langues ou entre deux langues peut faire naître une créativité qui repoussent les frontières des langues et des cultures du monde et donc de notre imaginaire.

Ainsi les chercheurs ont montré que les bilingues ont une sensibilité de communication plus fine que les monolingues, ils prennent davantage en compte leurs interlocuteurs puisque dès leur plus jeune âge ils ont dû apprendre à repérer la langue adéquate dans un échange avec un monolingue. Les bilingues seraient aussi de meilleurs apprenants de langues étrangères parce que le fait d’avoir deux langues à leur disposition leur permet d’être moins inhibés pour en apprendre d’autres. De plus, les compétences déjà acquises dans deux langues servent de base pour les apprentissages ultérieurs. Enfin les psycholinguistes ont aussi montré certains avantages cognitifs tels que l’effet du bilinguisme sur la pensée divergente : les enfants bilingues donneraient plus de solutions que les monolingues à une question telle que « que peut on faire avec trois briques ? »

Peut-être plus importante que la question des avantages instrumentaux du bilinguisme devrait-on se poser la question des avantages affectifs du bilinguisme. Ne pas parler la langue d’un de ses parents ou de ses grands-parents peut être une source de souffrance pour tout individu dont l’histoire familiale inclut plusieurs langues et plusieurs cultures. Apprendre à l’école une nouvelle langue peut offrir des espaces de liberté insoupçonnés qui libèrent de l’enfermement ressenti lorsque l’on vit dans un seul système linguistique. Apprendre dans deux langues à l’école ou à l’université, penser, écrire dans deux langues ou entre deux langues peut faire naître une créativité qui repoussent les frontières  des langues et des cultures du monde et donc de notre imaginaire.

Christine Hélot est professeur des Universités en anglais à l’Université de Strasbourg (France) dans la composante de l’Institut Universitaire des Maîtres d’Alsace (IUFM future ESPE École Supérieure du Professorat et de l’Éducation)) depuis 1991. En 1988, elle a obtenu un PhD de Trinity College (Dublin, Irlande), pour une thèse intitulée «Child Bilingualism : a linguistic and sociolinguistic study » sous la direction de Dr David Singleton.

Ses publications récentes incluent les ouvrages suivants: Linguistic Landscape, Multilingualism and Social Change (2012) avec M. Barni, R. Jannsens, & C. Bagna, chez Peter Lang, Language Policy for the Multilingual Classroom: Pedagogy of the Possible (2011) avec M. O’ Laoire chez Multilingual Matters,Empowering Teachers Across Cultures, Enfoques criticos (2011) avec A. M. de Mejia chez. Peter Lang.

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