Un objet insolite : une vraie-fausse sirène

Le British Museum, fameux musée situé à Londres, renferme dans sa magnifique et prestigieuse King’s Library un « objet » peu banal et bien étrange : la momie d’une prétendue sirène. Du moins l’objet est-il présenté comme tel…

Répertorié sous le numéro 112, cet objet de curiosité montre un torse surmonté d’une tête quelque peu monstrueuse (certains y voient un singe) et présente la moitié inférieure du corps sous la forme d’une queue de poisson. Ce serait donc un « merman », une créature mythologique mi-homme mi-poisson (une sirène mâle ou un triton en quelque sorte).

L’objet aurait été donné au musée par la veuve de son altesse royale le prince Arthur de Connaught (1883–1938), petit-fils de la reine Victoria ; lequel prince l’aurait lui-même reçu d’un personnage nommé Seijirô Arisuye. La légende veut que cette « sirène » aurait été capturée au large du Japon au XVIIIe siècle ; mais il n’en est rien…

Selon des spécialistes, la sirène-momie japonaise du British Museum appartient à la catégorie des sirènes « horizontales » (par opposition aux sirènes dites « verticales ») : fabriquées par des artisans, elles sont plus élaborées et moins rustiques que les autres produites par des pêcheurs. Ce sont donc des objets créés de toutes pièces !

Au XVIIIe siècle, ils prolifèrent littéralement dans les temples, jouant le rôle d’ex-voto et d’objets de culte. On les trouve également en grand nombre dans les baraques de foire, à l’époque véritable lieu de divertissement ou d’attraction.

Pourquoi une telle mystification ?

Il faut savoir qu’au Japon comme en Europe et en Amérique, les foires avec des exhibitions de monstres et de curiosités connaissent alors une immense popularité. Il suffit de citer Elephant Man (film de David Lynch sorti en 1980) : l’histoire (vraie) d’un homme éléphant (Joseph Merrick) exposé comme une bête de foire en 1884 dans une baraque foraine du Londres victorien. Affligé de multiples difformités, l’homme est exhibé aux yeux de tous, contre quelques pièces de monnaies.

La « Vénus hottentote » (connue sous le nom de Saartjie ou Sarah Baartman) est un autre exemple célèbre. Née en 1789 et appartenant à un ancien peuple d’Afrique du Sud, elle est réduite en esclavage dès son plus jeune âge. Elle est finalement amenée à Londres pour être exhibée (le plus souvent nue) comme un animal dans les foires et musées ; mais aussi livrée à la prostitution dans les salons privés entre 1810 et 1814. Dotée d’une morphologie hors norme selon les critères de beauté européens (un fessier proéminent), elle arrive à Paris où elle meurt en 1815.

Un film, réalisé en 2010 par Abdellatif Kechiche, retrace l’histoire de cette Venus noire :

A l’image des métropoles européennes aux XVIIIe et XIXe siècles, les grandes villes du Japon avaient également leurs baraques foraines (appelées misemono). Et les exhibitions de momies de sirènes y étaient très prisées. En effet, ces sirènes étaient prétendument investies d’un pouvoir magique de protection contre les maladies contagieuses, en particulier la variole dont les épidémies sévissaient régulièrement.

Ces sirènes de carnaval sont donc devenues, avec le temps, une forme d’art…

A noter qu’il existe une maladie fœtale rare appelée la sirénomélie (ou syndrome de la sirène) : caractérisée par la fusion des membres inférieurs comparable à une queue de poisson (en plus d’autres lésions observées sur des organes abdominaux), elle touche un fœtus sur 100 000. Ces bébés sirènes sont rarement viables, même si une jeune fille (Tiffany Yorks) a pu vivre 27 ans (c’est le record de longévité pour une personne atteinte de cette maladie).