Latin: L’enlèvement des Sabines, Ovide, L’art d’aimer

Livre I, vers 101 à 134

L’enlèvement des Sabines 1626-1629 (Pietro da Cortona, 1596-1669) Musée du Capitole, Rome

Introduction

Après le préambule dans lequel Ovide présente son projet et annonce le plan de son ouvrage, le poète pose d’emblée la question pratique qui se pose au jeune homme désireux de trouver l’amour: où rencontrer les belles, quels lieux sont propices, quelles occasions possibles? Ovide mentionne alors quelques lieux publics, les portiques, le forum, le temple d’Isis et certains moments particuliers, les fêtes d’Adonis, ou les cérémonies hebdomadaires des Juifs de Syrie. Mais surtout il évoque le théâtre et les jeux scéniques qui y sont donnés. C’est ainsi que le poète en vient à mentionner l’enlèvement des Sabines, qui selon la tradition a eu lieu  lors de jeux organisés en l’honneur de Neptune. De quelle manière Ovide présente-t-il cet épisode fondateur de l’histoire romaine, que d’autres auteurs comme Tite-Live et ensuite Plutarque ont envisagé dans leurs ouvrages à portée plus historique et édificatrice?

L’enlèvement des Sabines, vers 1637-1638, Nicolas Poussin (1594-1665), Musée du Louvre, Paris

I La Rome primitive: une évocation nostalgique?

1) Un épisode fondateur.

La nostalgie du passé est fréquente dans la littérature romaine (l’âge d’or, par exemple,  a été largement célébré par les poètes élégiaques, Tibulle, Properce et Ovide lui-même, dans les Métamorphoses). Ici, le texte est encadré par deux adresses directes à Romulus, vers 101 et 130: « Romule » . Il s’agit bien pour le poète d’évoquer un moment essentiel de la fondation de Rome, ainsi que l’indique l’adjectif « primus » qui ouvre le texte.   Les adverbes de temps « Tunc » (vers 103)et vers 113), « illic » (vers 105) renvoient à ce passé lointain.

En même temps, il s’agit bien pour Rome d’un moment décisif: le vocabulaire employé pour désigner les Romains: « populus » (v. 107 et v.114), » militibus » (v.131), « miles » (usage ironique qu’Ovide reprend à son compte au vers 132) est celui des valeurs fortes de la romanité: un peuple de soldats, la valeur guerrière fondant aussi la citoyenneté. De plus, derrière la violence de l’enlèvement, se révèle l’institution du mariage: les paroles rapportées au style direct montrent bien que cet enlèvement a pour but la fondation d’une famille, dans la continuité de ce qui a été: « Quod matri pater est, hoc tibi, dixit, ero » : l’emploi du futur apparaît comme une promesse solennelle. Dans les récits faits par Tite-Live et Plutarque, il est bien souligné que les rites du mariage romain sont des souvenirs des événements advenus (le cri « talasius », le franchissement du seuil).

2) La simplicité primitive

En même temps, Ovide insiste bien sur la simplicité qui caractérisait ces premiers jeux: le texte s’ouvre sur une série de négations par rapport à la situation actuelle: « neque vela » (103), « neque pulpita rubra » (104). Le marbre et le safran liquide évoquent à l’inverse le luxe excessif qui est désormais d’usage au théâtre. Ce même usage des négations se retrouve au vers 106: « scena sine arte fuit » , ainsi qu’au vers 113: « plausus tunc arte carebant » . Le terme ars, art, technique est ici connoté négativement au sens d’artifice. (A rapprocher des textes sur l’âge d’or, qui tous, se fondent sur la négation de l’époque présente).

La simplicité est valorisée par l’importance accordée au cadre naturel, dans lequel s’organisent ces premiers jeux: le terme de « frons, frondis » (feuillage, branche) est utilisé deux fois (105 et 108), la colline du Palatin, qui à l’époque impériale abrite les demeures princières, est alors « nemorosa » , couverte de forêts. Les gradins sont faits de gazon (« de caespite factis » , 107). L’adverbe « simpliciter » , placé au début du vers 106 caractérise ainsi l’ensemble de la description.

Cependant on peut se demander si cette simplicité n’apparaît pas aussi à Ovide comme primitive: ainsi certains adjectifs « hirsutas » au vers 108 ou « rudem modum » au vers 111 évoquent  un monde peu civilisé, et les « viros viduos » de sombres brutes prêtes à tout.

Première version du tableau de Poussin, vers 1635 (New York, Metropolitan Museum of Art)

II La violence du rapt

Si l’on confronte la version d’Ovide avec celle de Tite-Live et de Plutarque, on constate que elle insiste le plus sur la violence faite aux Sabines.

1) L’organisation du récit

Ovide construit son récit sur une forte opposition entre avant et après le déclenchement de l’action: l’atmosphère d’attente est rendue par l’importance des regards (« Respiciunt » , au présent de narration, placé en tête de phrase, et appuyé ensuite par « oculisque notant » , et le silence qui règne (« tacito pectore » ). Ce silence est rompu par le signal, qui se confond presque ici avec la musique du spectacle (« tibicine tusco praebente rudem modum » ), l’emploi de « dum » permettant la confusion.

Ce moment est accentué par Ovide qui prend soin de développer sur quatre vers le déclenchement de l’action: trois vers explicitent les circonstances, tandis que le dernier pentamètre accélère le rythme, et met en évidence le rôle joué par Romulus: « rex populo praedae signa petita dedit » (on peut noter les allitérations en p et en d).  L’importance accordée au roi se retrouve fréquemment dans les représentations picturales, voir par exemple les deux tableaux de Poussin).

A partir de là, la violence masculine se lit dans les verbes de mouvements: « exiliunt » (115), « cupidas manus injiciunt » (116), « viros sine more ruentes » , et les cris lancés: « fatentes animum clamore » (115).

Sculpture de Giambologna (1529-1608) Loggia dei Lanzi (Florence)

2) La description des Sabines

Ovide consacre dix vers à la description des jeunes filles, et met en évidence leur peur: le verbe « timuere » ouvre le passage au vers 119, et le nom « timor » est employé trois fois (121 et 126). Il décrit les différentes manières dont se manifeste cette peur, en jouant sur les oppositions: gestes désordonnés/immobilité; cris/silence; lamentation/stupéfaction; fuite/ maintien sur place.

Son évocation part de la multitude: « illae » (119) pour aller vers l’unicité: « pars/pars » , « altera/altera » , »Haec/haec » (avec un chiasme au vers 124), « haec/ illa » . Cette manière d’isoler les jeunes filles accentue le pathétique de la scène, d’autant que cette évocation s’achève par le vers 125: « Ducuntur raptae, genialis praeda, puellae » . Les jeunes filles sont ainsi rassemblées sous le terme de « praeda » , butin et proie,le terme relevant aussi bien du vocabulaire de la guerre que de celui de la chasse,  et les deux verbes au passif « ducuntur » et « raptae » rendent bien compte de la violence subie.

Reste cependant le commentaire  du vers 126: « Et potuit multas ipse decere timor » , qui amène le soupçon: faut-il voir dans cette description la dénonciation de cette violence faite aux Sabines, ou leur fragilité et leur impuissance ne viendraient-elles que renforcer une fascination érotique malsaine?

Les Sabines (1796-1799) de Jacques Louis David

Le tableau ici ne représente pas l’enlèvement des Sabines mais le moment où les Sabines s’interposent pour arrêter la guerre entre Latins et Sabins.

III Un texte ambigu

De fait le rapprochement établi entre la situation d’autrefois et le moment présent n’apparaît pas si clair qu’il n’y paraît.

1) La question du théâtre

Il n’est pas sûr que la simplicité primitive soit véritablement du goût d’Ovide: pendant longtemps il a été interdit de construire des théâtres à Rome, et le premier théâtre, celui de Pompée, n’a été édifié en 55 avant J.C. Cependant sous le règne d’Auguste, deux nouveaux théâtres ont vu le jour, celui de Balbus, et celui de Marcellus, qui pouvait accueillir 14 000 spectateurs, et dont il reste aujourd’hui d’importants vestiges. Le luxe déployé dans la décoration et dans les raffinements de la représentation (velum de soie, eau safranée) peuvent ainsi apparaître comme les progrès d’une société plus policée, de la même manière que la séduction à l’oeuvre dans les théâtres impériaux n’a plus rien à voir avec le viol des Sabines.

2) La métaphore de la chasse

Cette métaphore dominante dans l’oeuvre (voir les vers 44 à 50) assimile l’amant à un chasseur qui cherche le terrain propice et les théâtres sont qualifiés de « insidiosa formosis » . Néanmoins la chasse dont il est question ici ne requiert que peu d’habileté: c’est la seule domination de la force. Ainsi les Romains sont assimilés à des aigles (« aquilas » ) attaquant des colombes « columbae » , qualifiées par le superlatif de « timidissima turba » , ou apparaissent comme des loups (« lupos invisos » ), attaquant des agnelles « agna novella » . On peut noter de plus dans ce vers la différence de nombre: l’agnelle est seule (emploi du singulier), tandis que les loups sont plusieurs (emploi du pluriel).

Si chasse il y a, elle n’est que déchaînement de force et de brutalité, nulle noblesse à cela.

Pablo Picasso (1962, Centre Pompidou)

Pour une analyse plus complète de ces différentes oeuvres, on peut se reporter aux travaux proposés par le lycée Romain Rolland dans l’académie de Dijon: page d’accueil

3) L’ironie du soldat

La distance qu’Ovide prend avec cette évocation apparemment glorieuse peut également se lire avec l’ironie dont il fait preuve, au sujet des soldats de Romulus.  Les avantages donnés par Romulus à ses soldats, ce sont les Sabines, et Ovide se déclare prêt lui-même à devenir soldat pour de tels avantages! « Haec mihi si dederis commoda, miles ero » .  La description de l’enlèvement des sabines se clôt ici sur une pirouette humoristique, lancée à Romulus lui-même, héros fondateur de Rome. Il est aussi intéressant de voir qu’Ovide élude totalement la suite de l’histoire, c’est-à-dire la guerre qui oppose Latins et Sabins pendant plusieurs années. L’épisode mythique n’est mentionné ici que pour parler des théâtres comme lieux de « drague »! Sérieuse démythification…

Conclusion

Un texte complexe, d’autant plus que derrière la figure de Romulus, on peut songer à l’empereur Auguste lui-même, qui prône un retour aux valeurs anciennes. particulièrement en ce qui concerne la morale publique. On sait qu’il a voulu réprimer l’adultère et encourager les mariages. Que penser dès lors de ce passage, qui derrière une apparence glorification d’un épisode majeur de l’histoire romaine, ne décrit finalement que des comportements de brutes, dans une cité inexistante?

L’enlèvement des Sabines vu par Tite-Live et Plutarque:

(1) Déjà Rome était assez puissante pour ne redouter aucune des cités voisines; mais elle manquait de femmes, et une génération devait emporter avec elle toute cette grandeur : sans espoir de postérité au sein de la ville, les Romains étaient aussi sans alliances avec leurs voisins. (2) C’est alors que, d’après l’avis du sénat, Romulus leur envoya des députés, avec mission de leur offrir l’alliance du nouveau peuple par le sang et par les traités. (3) « Les villes, disaient-ils, comme toutes les choses d’ici-bas, sont chétives à leur naissance; mais ensuite, si leur courage et les dieux leur viennent en aide, elles se font une grande puissance et un grand nom. (4) Vous ne l’ignorez pas, les dieux ont présidé à la naissance de Rome, et la valeur romaine ne fera pas défaut à cette céleste origine; vous ne devez donc pas dédaigner de mêler avec des hommes comme eux votre sang et votre race. » (5) Nulle part la députation ne fut bien accueillie, tant ces peuples méprisaient et redoutaient à la fois pour eux et leurs descendants cette puissance qui s’élevait menaçante au milieu d’eux. La plupart demandèrent aux députés en les congédiant : « Pourquoi ils n’avaient pas ouvert aussi un asile pour les femmes ? Qu’au fond c’était le seul moyen d’avoir des mariages sortables. »

(6) La jeunesse romaine ressentit cette injure, et tout sembla dès lors faire présager la violence. Mais, dans la pensée de ménager une circonstance et un lieu favorables, Romulus dissimule son ressentiment et prépare, en l’honneur de Neptune Équestre, des jeux solennels, sous le nom de Consualia. (7) Il fait annoncer ce spectacle dans les cantons voisins, et toute la pompe que comportaient l’état des arts et la puissance romaine se déploie dans les préparatifs de la fête, afin de lui donner de l’éclat et d’éveiller la curiosité. (8) Les spectateurs y accourent en foule, attirés aussi par le désir de voir la nouvelle ville, surtout les peuples les plus voisins : les Céniniens, les Crustuminiens, les Antemnates. (9) La nation entière des Sabins vint aussi avec les femmes et les enfants. L’hospitalité leur ouvrit les demeures des Romains, et à la vue de la ville, de son heureuse situation, de ses remparts, du grand nombre de maisons qu’elle renfermait, déjà ils s’émerveillaient de son rapide accroissement. (10) Arrive le jour de la célébration des jeux. Comme ils captivaient les yeux et les esprits, le projet concerté s’exécute : au signal donné, la jeunesse romaine s’élance de toutes parts pour enlever les jeunes filles. (11) Le plus grand nombre devient la proie du premier ravisseur. Quelques-unes des plus belles, réservées aux principaux sénateurs, étaient portées dans leurs maisons par des plébéiens chargés de ce soin. (12) Une entre autres, bien supérieure à ses compagnes par sa taille et sa beauté, était, dit-on, entraînée par la troupe d’un sénateur nommé Talassius; comme on ne cessait de leur demander à qui ils la conduisaient, pour la préserver de toute insulte, ils criaient en marchant : ‘à Talassius’. C’est là l’origine de ce mot consacré dans la cérémonie des noces.

(13) La terreur jette le trouble dans la fête, les parents des jeunes filles s’enfuient frappés de douleur; et, se récriant contre cette violation des droits de l’hospitalité, invoquent le dieu dont le nom, en les attirant à la solennité de ces jeux, a couvert un perfide et sacrilège guet-apens. (14) Les victimes du rapt partagent ce désespoir et cette indignation; mais Romulus lui-même, les visitant l’une après l’autre, leur représente « que cette violence ne doit être imputée qu’à l’orgueil de leurs pères, et à leur refus de s’allier, par des mariages, à un peuple voisin; que cependant c’est à titre d’épouses qu’elles vont partager avec les Romains leur fortune, leur patrie, et s’unir à eux par le plus doux noeud qui puisse attacher les mortels, en devenant mères. (15) Elles doivent donc adoucir leur ressentiments, et donner leurs coeurs à ceux que le sort a rendus maîtres de leurs personnes. Souvent le sentiment de l’injure fait place à de tendres affections. Les gages de leur bonheur domestique sont d’autant plus assurés, que leurs époux, non contents de satisfaire aux devoirs qu’impose ce titre, s’efforceront encore de remplacer auprès d’elles la famille et la patrie qu’elles regrettent. » (16) À ces paroles se joignaient les caresses des ravisseurs, qui rejetaient la violence de leur action sur celle de leur amour, excuse toute puissante sur l’esprit des femmes.

(Tite Live, Histoire Romaine, I, 9; Tite Live est né en 59 avant J.C et mort en 17).

XIV. Ce fut quatre mois après la fondation de Rome que Romulus, selon Fabius Pictor, exécuta l’entreprise hardie de l’enlèvement des Sabines. On croit que, porté naturellement à la guerre, persuadé d’ailleurs, sur la foi de certains oracles que les destins promettaient à Rome la plus grande puissance, si elle était nourrie et élevée dans les armes, ce prince fit cet acte de violence, pour avoir un prétexte d’attaquer les Sabins. Aussi n’enleva-t-il qu’un petit nombre de femmes, trente seulement, parce qu’il avait plus besoin de guerre que de mariages. Mais il est plus vraisemblable que, voyant sa ville remplie d’étrangers, dont très peu avaient des femmes, et dont le reste n’était qu’un mélange confus de gens pauvres et obscurs qui, méprisés par les autres, ne paraissaient pas devoir lui être longtemps attachés, il espéra que l’enlèvement de ces femmes pourrait être pour eux un commencement d’alliance avec des Sabins, lorsqu’ils seraient parvenus à apaiser leurs femmes. Voici comment il exécuta ce projet. Il fit d’abord répandre le bruit qu’il avait découvert sous terre l’autel d’un dieu nommé Consus, c’était le dieu du conseil : car les Romains donnent le nom de conseil à leurs assemblées publiques ; et à leurs premiers magistrats celui de consuls, ou conseillers. D’autres veulent que ce dieu soit Neptune Équestre. Cet autel, placé dans le grand cirque, reste toujours couvert, excepté dans les temps des jeux où l’on fait des courses de chevaux. On dit aussi que les conseils devant être toujours secrets, c’est avec raison qu’ils tiennent couvert l’autel du dieu qui les donne. Lorsque cette découverte fut assez connue, il fit publier qu’à certain jour il ferait un sacrifice solennel, suivi de spectacles et de jeux. On s’y rendit en foule de toutes parts. Romulus, vêtu de pourpre et entouré des principaux citoyens, était assis dans le lieu le plus élevé. Il avait donné pour signal le geste, qu’il ferait en se levant, de prendre les pans de sa robe et de s’en envelopper. Ses soldats armés tenaient les yeux fixés sur lui. Le signal est à peine donné, que, tirant leurs épées, ils s’élancent au milieu de la foule en jetant de grands cris, enlèvent les filles des Sabins, et laissent ceux-ci s’enfuir sans les poursuivre.

XV. Une troupe de ces ravisseurs, d’entre les plébéiens, emmenait une jeune Sabine qui surpassait toutes les autres par sa taille et par sa beauté. Ils furent rencontrés par des citoyens d’un rang distingué qui voulurent la leur enlever : mais s’étant écriés qu’ils la menaient à Talasius, jeune homme d’un grand mérite et généralement estimé, à ce nom, tous les autres marquèrent leur satisfaction par des applaudissements et des louanges. Quelques-uns même d’entre eux les suivirent pour témoigner leur bienveillance envers Talasius, dont ils répétaient le nom à grands cris. Comme ce mariage fut très heureux, les Romains ont toujours depuis célébré, dans leurs noces, le nom de Talasius, comme les Grecs celui d’Hyménée. Sextius Sylla de Carthage, écrivain non moins favorisé des Grâces que des Muses, m’a dit que Romulus avait donné ce nom à ses soldats pour signal de l’enlèvement des Sabines ; que ceux qui les emmenaient criaient tous Talasius : et que l’usage s’en était depuis conservé dans les noces : mais le plus grand nombre des auteurs, et entre autres Juba, croient que c’est pour les femmes mariées une exhortation et un encouragement à travailler, et en particulier à filer de la laine, ce que les Grecs appellent Talasia ; car, dans ce temps-là, les mots latins n’étaient pas encore répandus dans la langue grecque. S’il est vrai que les Romains se servissent alors de ce terme comme nous, on pourrait rapporter cette coutume à une origine plus vraisemblable. Dans le traité de paix qui termina la guerre des Sabins et des Romains, les premiers stipulèrent que leurs filles ne seraient assujetties à d’autre travail qu’à filer de la laine. De là sans doute l’usage qui subsiste encore dans toutes les noces, que le père et la mère de la mariée, ceux qui l’accompagnent, et, en général, tous ceux qui assistent à la cérémonie, crient ensemble Talasius, pour s’amuser, et pour rappeler au mari qu’il ne doit exiger de la femme qu’on lui mène d’autre ouvrage que de filer de la laine. C’est aussi de cet enlèvement que vient la coutume qui s’observe encore, que la nouvelle mariée ne passe pas d’elle-même le seuil de la maison de son mari, et qu’on la porte pour le lui faire franchir, parce qu’alors les Sabines qu’on avait enlevées y entrèrent par force. Quelques auteurs veulent que l’usage où l’on est à Rome de séparer avec la pointe d’un javelot les cheveux de la nouvelle épouse, signifie que les premiers mariages des Romains furent faits par violence et à la pointe de l’épée. Cet enlèvement se fit le 18 du mois qui s’appelait alors Sextilis, et maintenant Août, jour auquel on célèbre les fêtes Consuales.

(Plutarque, Vie de Romulus, Vies parallèles. Né en 46 et mort en 125, Plutarque rédigea les Vies parallèles à partir de 100).

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