1°S: Scènes de bal: La Princesse de Clèves

Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678)

De « Madame de Clèves avait ouï parler de ce prince » à « Je ne devine pas si bien que vous pensez« .

L’explication a été faite par Pauline, avec comme question initiale: « Pourquoi cette scène est-elle si célèbre? »

(J’ai ajouté des titres pour faciliter la lecture)

Le roman La princesse de Clèves est écrit en 1678 par Madame de La Fayette, cependant il est d’abord publié anonymement, ce qui entraine de nombreux questionnements sur l’identité de l’auteur.
Ce roman est considéré comme le premier roman moderne. En effet l’auteur explore la psychologie de ses protagonistes et s’attache à décrire l’environnement social à l’époque du règne d’ Henri II, notamment celui de la cour et de ses intrigues. En outre l’auteur de par son milieu put fréquenter les intimes du Palais Royal et pu ainsi observer les intrigues de la cour.
La princesse de Clèves dès sa publication suscite donc déjà beaucoup de débats et bouscule les codes, ce qui contribuera dans un sens à sa renommée.


Le roi Henri II (1519-1559)

Le roman met en scène mademoiselle de Chartres qui se marie par raison avec le prince de Clèves qui, contrairement à elle, ébloui par sa beauté, en est tombé amoureux. Ce mariage de raison peut s’apparenter au propre mariage de raison de l’auteur avec un noble nommé de La Fayette.
Un troisième personnage, le Duc de Nemours doit entrer en scène. S’il a déjà été mentionné auparavant, Madame de Clèves ne l’a toujours pas rencontré.
C’est cette rencontre que nous allons étudier. Elle se déroule au cours d’un bal, ce qui est un cadre idéal pour déclencher la rencontre amoureuse puisqu’il favorise le rapprochement et la formation de couples.
Nous nous demanderons donc en quoi cette rencontre est si célèbre. Tout d’abord, nous décrirons l’attente du prince charmant qui s’installe, au début du texte .Ensuite, nous analyserons l’émoi que suscite le réel coup de foudre chez chacun des deux personnages.Enfin, nous montrerons que sous les aspects de ce véritable conte de fée, certains éléments dévoilent une fin plus tragique.


I L’attente du prince charmant

Tout au long de l’extrait l’auteur utilise le point de vue omniscient afin de sonder ses personnages.
Dans un premier temps, l’auteur analyse les pensées de Madame de Clèves. En effet la romancière se concentre essentiellement sur les émotions qu’elle éprouve, lorsque plusieurs personnes lui décrivent le duc de Nemours .

1) un portrait rapporté

Tout d’abord, la description du Duc s’effectue uniquement par la parole, par les mots. En effet, l’utilisation du sens de l’ouïe est largement spécifiée par «Mme de Clèves avait ouï» ainsi que le verbe « parler » utilisé 2 fois dans une même phrase.
Madame de Clèves ne se forge donc une image du Duc de Nemours qu’à partir de descriptions orales (« le lui avait dépeint », le terme renvoie à la peinture), sans illustrations réelles, qui lui laissent alors une grande marge pour faire marcher son imagination et idéaliser ce Duc.

Catherine de Médicis, femme d’Henri II, la reine.

2) Un portrait idéalisé

Ensuite, un portrait mélioratif du Duc est mis en place, et ce à partir de deux sources: « tout le monde », mais « surtout madame la Dauphine », au service de laquelle la princesse de Clèves est attachée.  Il est défini «  comme ce qu’il y avait de mieux fait » et « de plus agréable à la cour ». L’auteur utilise dans ces phrases des superlatifs ( « de mieux » et « de plus ») qui placent le Duc au dessus de tout le monde, comme un être à part. On remarque ici que le portrait est essentiellement centré sur l’aspect physique ainsi que sur le comportement du Duc pour dépeindre un véritable prince charmant. Mme de La Fayette insiste en effet sur les propos de la Dauphine, qui vantent les qualités du Duc de manière répétitive: « et surtout madame la dauphine le lui avait dépeint d’une sorte, et lui en avait parlé tant de fois, qu’elle lui avait donné de la curiosité, et même de l’impatience de le voir » (la qualité et la quantité).
Cependant la description reste très vague.
Les adjectifs qui définissent le duc se limitent à « mieux fait » , « agréable » et un « air brillant ». Lorsque l’auteur utilise « d’une sorte » pour qualifier la manière dont le Duc est décrit par la dauphine, on comprend que « d’une sorte » sous-entend quelque chose d’exceptionnel à propos du Duc mais sans pour autant entrer dans les détails.

Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, maîtresse d’Henri II

3) Un personnage presque irréel

De plus, le Duc n’est pas nommé. En effet, avant que Madame de Clèves ne le reconnaisse, il n’est désigné que par des démonstratifs comme « ce » ainsi que par des pronoms définis comme « lui » ou encore par la périphrase « celui qui arrivait ». On observe ainsi une gradation dans la désignation du Duc qui tout en restant floue ménage un certain suspens.
On attend donc avec Madame de Clèves, l’arrivée de ce prince charmant assez mystérieux, plus proche du rêve que de la réalité, que l’on ne peut donc qu’idéaliser, ne sachant pas à quoi il ressemble précisément. Cette attente engendre une certaine curiosité ainsi qu’une impatience, que ressent naturellement Madame de Clèves ( « lui avait donné de la curiosité, et même de l’impatience de le voir »).

François II, (1544-1560), fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, le dauphin dans le roman de Mme de la Fayette. Il deviendra roi de France à la mort de son père en 1559. Il meurt lui-même un an plus tard, à l’âge de 16 ans.

II Un coup de foudre réciproque

Dans un deuxième temps, l’auteur met fin à cette attente par l’arrivée de l’élément déclencheur. On assiste donc à un coup de foudre mutuel avec un paroxysme de l’émoi amoureux puisque l’auteur se détache du point de vue de Madame de Clèves pour se concentrer aussi sur celui du Duc de Nemours.

1) Mise en scène de la rencontre

On assiste tout d’abord à l’arrivée fracassante du Duc qui est décrite du point de vue de madame de Clèves.
L’arrivée du Duc se fait de manière assez théâtrale, tout en action. Elle ménage aussi un certain suspense:  Elle est d’abord auditive puisqu’on peut lire « il se fit un assez grand bruit » et que Madame de Clèves refuse de se retourner «  comme elle dansait avec M. de Guise ». La structure grammaticale de la phrase, proposition temporelle avec imparfait, proposition principale avec l’emploi d’un passé simple, met en scène l’événement, mais il est à noter que c’est une fausse alerte, la rencontre n’a pas encore lieu. Il faut attendre la phrase suivante et la reprise de la même structure grammaticale pour que les deux personnages de trouvent enfin:  » pendant qu’elle cherchait des yeux quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait ». De plus, en utilisant le verbe «  crier » l’auteur insuffle un certain rythme à la narration.
On a donc un enchaînement rapide d’actions menant à la rencontre entre le duc et Madame de Clèves, ce qui favorise un certain emportement dans les émotions.
En outre, l’effet théâtral est accentué par le comportement du Duc. En effet, il paraît très conquérant lorsqu’il passe « par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait » , ce qui vient compléter la description très flatteuse du début du texte. On ne peut donc être qu’ébloui, comme l’est Madame de Clèves, par cette arrivée triomphante.

Mary Stuart, reine d’Ecosse (1542-1587), épouse de François II, La Dauphine. Après la mort de son mari, elle retourne en Ecosse où elle épouse Henry Stuart.

2) Le coup de foudre

Le coup de foudre est ensuite centré exclusivement sur un jeu de regard.
En effet, aucune parole n’est échangée entre eux. De plus, on relève un champ lexical du regard avec l’utilisation du mot « yeux », du verbe « admirer » ainsi qu’une forte répétition du verbe « voir » qui est employé 5 fois.
L’auteur se détache du point de vue de Madame de Clèves en passant à la forme impersonnelle ( il) pour exprimer la surprise qu’éprouve l’héroïne en voyant le duc ( « il était difficile de n’être pas surprise »). L’accord de l’adjectif qualificatif « surprise » au féminin et au singulier suppose que c’est Madame de Clèves qui l’est.
L’auteur utilise ensuite le point de vue du Duc pour sonder les émotions de ce dernier. On remarque alors que lui aussi éprouve de la surprise (« M. de Nemours fut tellement surpris »), une surprise qui est portée à son comble par l’utilisation de l’adverbe « tellement » .
On remarque donc un parallélisme de l’émoi ressenti par les deux protagonistes mais aussi un parallélisme dans leur attitude ainsi que dans l’admiration qu’ils suscitent.
En effet, on note que tous deux se sont attachés à revêtir leurs plus beaux atours pour ce bal. Le duc « avait pris soin de se parer », de même pour Madame de Clèves qui « passa tout le jour des fiançailles à se parer ». L’auteur utilise deux fois le verbe parer pour décrire leurs actions.
De fait l’écriture elle-même multiplie les formules qui marquent l’impossibilité que les choses se passent autrement, essentiellement par l’usage des propositions consécutives et des négations:
« Elle se tourna, et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que monsieur de Nemours ».
« il était difficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu ».
« il était difficile aussi de voir madame de Clèves pour la première fois, sans avoir un grand étonnement ».
« Monsieur de Nemours fut tellement surpris de sa beauté, que, lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit la révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration ».

Le bal dans  « La Princesse de Clèves »,  film réalisé en 1961, par Jean Delannoy

3) Un couple admiré

Les deux personnages sont aussi respectés et admirés puisque les gens s’écartent pour laisser passer le Duc (« quelqu’un à qui on faisait place ») tandis que l’on « admira la beauté » de Madame de Clèves.
S’il existe un jeu de regard entre les deux protagonistes, il y a aussi un regard extérieur porté sur le couple par la foule qui admire, qui approuve ( « un murmure de louanges ») et ainsi valide cette union.
En somme, que ce soit une découverte par l’ouïe ou par le regard, cette dernière se fait intérieurement, puisque même la réaction de la foule est au discours rapporté (« il s’éleva »). Lorsque les deux protagonistes sont présentés, seul moment dans le passage où le discours est direct ( présence de tirets ), ils ne se parlent que par personnages interposés. L’auteur met donc à chaque fois un obstacle pour empêcher un réel échange de parole. Ce procédé favorise alors l’expression des sentiments.

III Les failles du conte de fées

Dans un troisième temps, on voit apparaître une petite faille dans ce décor parfait.

1) Une rencontre organisée

Comme on a pu l’observer, la rencontre apparaît pour l’instant comme ce qu’il y a de plus romanesque. En effet, en plus de la présence de protagonistes parfaits, elle se déroule au départ dans un bal ce qui lui donne un côté féerique. En outre, ce bal est caractérisé par la richesse, le pouvoir et l’abondance (« festin royal »), puisqu’il se déroule présence de rois et de reines dans un emplacement emblématique (« au Louvre »). Tout concorde donc pour faire de ce passage, le stéréotype même de la rencontre amoureuse. La rencontre se fait par l’intermédiaire de la danse, seul moment où les deux protagonistes auront la possibilité d’un contact physique (même si la danse au XVI ème siècle est strictement codifiée, et si les partenaires restent à distance). Cependant, certains éléments vont venir noircir ce tableau.
D’une part, s’il y a un véritable coup de foudre, on peut se poser la question d’une rencontre qui n’est peut être pas exclusivement due au hasard.
En effet, on ressent une forte action exercée de la part des puissants sur cette rencontre.
On voit que la Dauphine s’est chargée de faire l’hommage du Duc ( « le lui avait dépeint »). Le verbe dépeindre est ici utilisé au plus que parfait, indiquant bien que l’action est passée.
Et c’est par l’intervention du roi que Madame de Clèves est poussée à danser avec M. de Nemours (« le roi lui cria ») .
Si les puissants peuvent ici prendre une figure de bonnes fées provoquant une rencontre, certains éléments permettent de nuancer cette image.
L’intervention du roi et de la reine pour les présenter (« ils leur demandèrent s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient ») peut prendre l’apparence d’un test. Le roi et les reines prennent les deux protagonistes au dépourvu « sans leur donner le loisir de parler à personne » pour évaluer si oui ou non, ils se sont reconnus. Ce test s’apparente ainsi à une manipulation. Si les puissants dirigent la rencontre, ils organisent aussi la société.

2) Le triomphe des apparences

L’auteur décrit donc une certaine société, notamment par le lieu de la rencontre qui correspond au cadre de vie de la noblesse de cette époque. Elle décrit aussi une certain comportement. En effet, ce n’est que « beauté » et « parure », soit l’apparence, qui comptent, puisqu’à aucun moment on ne parle de l’intelligence des protagonistes.
Les personnages suivent des codes et parlent de manière détournée, notamment lorsque le Duc sous entend que s’il a reconnu Madame de Clèves, c’est parce qu’elle est très belle comparée à lui (« n’a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j’ai pour la reconnaitre »)
Cette société qui paraît si lisse cache donc un ensemble de machinations, comme cette rencontre entre les deux protagonistes. On peut se demander si ces machinations auront une action positive pour la suite de l’histoire.

Marina Vlady (La princesse de Clèves) et Jean François Poron (Le duc de Nemours)

3) Une situation inégale

D’autre part, certains éléments viennent installer une situation « singulière »
On assiste à une reconnaissance mutuelle malgré le fait qu’ils dansent « ensemble sans se connaitre ». Cependant on voit une différence dans le comportement des deux partenaires.
Le duc est le plus démonstratif . C’est lui qui s’avance vers Madame de Clèves et c’est lui qui donne « des marques de son admiration ». Le mot « des marques » écrit au pluriel sous entend plusieurs marques et indique donc un enthousiasme de la part du Duc. Là encore, l’auteur reste vague sur la nature de ces marques et nous laisse l’imaginer seul.
De plus, le duc annonce clairement « je n’ai pas d’incertitude » (noter la litote!) au sujet de l’identité de Madame de Clèves. L’attitude qu’il prend ici se retrouve dans la suite du roman. Lui-même célibataire, renonçant à un éventuel mariage avec la reine Elisabeth d’Angleterre, il ne va pas hésiter à exprimer sa passion, et à demander à la princesse de Clèves d’y répondre.
Cette dernière contrairement au duc est passive puisque ses sentiments lorsqu’elle le voit, sont évoqués à la forme impersonnelle (« il était difficile de n’être pas surprise »). De plus, Madame de Clèves paraît plus gênée (« paraissait un peu embarrassée ») et elle n’affirme pas clairement, comme le Duc, qu’elle a reconnu ce dernier (« je ne devine pas si bien que vous pensez »)
Cette réaction qui est la première depuis le début du texte, puisque l’héroïne ne laissait pas paraître les émotions qu’elle ressentait, découvre une partie de sa personnalité. En effet, elle dit un mensonge lorsqu’elle affirme ne pas être sûre de l’identité de son partenaire, alors qu’on a pu voir qu’elle l’avait bel et bien reconnu «  d’abord » sous entendant « aussitôt ».
Madame de Clèves apparaît donc comme une femme vertueuse, déjà tiraillée entre sa position de femme mariée et les sentiments qu’elle éprouve pour le Duc de Nemours. Le fait que les deux personnages ne se parlent pas directement lors de la présentation (moment qui ressort du texte puisqu’il bascule davantage dans le moment présent grâce au discours direct) peut laisser supposer que par la suite il y aura toujours un élément qui les empêchera de véritablement s’unir.

Conclusion

L’auteur s’attache à décrire les émotions ressenties par ses personnages. Elle insiste au départ sur l’intérêt et la curiosité qu’éprouve Madame de Clèves pour le personnage du Duc de Nemours. Puis, elle passe à l’éblouissement et l’émoi commun éprouvés par les deux personnages. Enfin, elle décrit l’intérêt que suscite cette union singulière auprès des personnes extérieures ainsi que le sentiment de gêne et de refoulement qu’éprouve Madame de Clèves.
La rencontre est donc centrée exclusivement sur le ressenti des personnages, ce qui en fait une scène tout en finesse et complexité. En effet, si au premier abord cette scène peut paraître d’une extrême simplicité, si on y regarde de plus près, il en est tout autrement. Sous un vernis de conte de fée, la complexité des sentiments de Madame de Clèves commence déjà à apparaître. De plus, dans cet extrait l’auteur a recours au genre du roman historique (même si la psychologie des sentiments reste le premier objectif ) ainsi qu’au genre théâtral.
On assiste donc à un mélange des genres.
En outre, la rencontre n’est pas exclusivement le fruit du hasard puisqu’il s’agit d’une rencontre préparée en amont et dirigée, mais compte tenu de la singularité et de l’extrême beauté de ces deux personnage ont est en droit de se demander s’ils ne seraient pas tombés amoureux sans interventions extérieures.
Ce sont peut être tous ces non-dits, ce langage sobre mettant à nu les sentiments et ce mélange des genres qui ont suscité des débats et ainsi contribué à la célébrité de l’extrait .

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