1°STG: La Vie devant soi, explication n°2, Youssef Kadir

Romain Gary -Emile Ajar La vie devant soi
Le retour du père
De « Mais Madame Rosa avait toute sa tête… » à « Momo fait voir les papiers »

Introduction:
Situation du passage:
Le passage se situe au chapitre 22, et marque une étape très importante dans le parcours de Momo, puisque c’est le moment ou se révèle la vérité sur ses origines, alors que Madame Rosa est de plus en plus malade. L’événement est lui-même présenté par le narrateur comme une « catastrophe nationale », qui lui a donné « une grande joie ». Tous les repères de Momo sont en effet bouleversés, et surtout celui de l’âge, puisqu’alors qu’il croyait avoir dix ans, il apprend qu’il en a désormais quatorze.
Problématique:
De quelle manière Gary met-il en oeuvre l’ambiguïté des révélations qui sont faites au narrateur?
Plan:
•    I Une scène de comédie
•    II  Un père dénaturé

I Une scène de comédie

1) La ruse de Madame Rosa

« Madame Rosa avait toute sa tête et même davantage« : l’humour de la formulation  annonce clairement que madame Rosa a une idée en tête. Le lecteur devine bien qu’elle n’a pas envie de laisser partir Momo, avec un homme comme Youssef Kadir.  Son attitude est clairement théâtrale:

Gestes:
* « Elle s’est ventilée en regardant M. Youssef Kadir ».
* « Elle s’est ventilée encore en silence et puis elle s’est tournée vers Moïse »
* »Elle s’est ventilée ».

Mimiques:

* » Madame Rosa parut étonnée. Ensuite elle a paru plus étonnée encore ».
* »Tss, tss, fit Madame Rosa, avec sa langue, en hochant la tête ».

  Fausses questions:
 * « Oui, j’ai dit Moïse, et alors? ».
* « Vous êtes sûr? »
* » Mais alors, vous êtes sûr que vous n’êtes pas juif ».

Cette ruse est appuyée par les deux enfants qui sont totalement complices avec madame Rosa: ils lui obéissent tous les deux: Moïse dit bonjour à Youssef Kadir (Impératif, ordre de Madame Rosa: « dis bonjour à ton papa« , et Momo sort la valise où se trouvent les papiers (même formule impérative: « Momo, fais-moi voir les papiers« ).

Les trois personnages s’amusent donc de cette ruse:
« Comme si elle savourait d’avance« : verbe emprunté au registre de la nourriture et de la gourmandise.
« Moïse et moi, on s’est regardé, on a réussi à ne pas nous marrer« : la formule accentue l’identité des deux enfants, malgré leurs différences de religion: emploi de « on » et de « nous ».

2) L’humour noir du passage

Madame Rosa en confondant Moïse et Mohamed (les deux enfants qui tous les deux portent le nom d’un prophète dans la religion juive ou musulmane)  s’attaque à l’intolérance, en proposant justement ce qui est intolérable à Youssef Kadir et à ceux qui sont comme lui: être confondu avec l’autre.
Gary n’hésite pas, lui, à accentuer l’humour noir du passage, en évoquant par le langage les clichés qui s’attachent aux Arabes ou aux Juifs:
•    « Car il savait bien qu’il n’était pas arabe et qu’il n’avait rien à se reprocher »
Etre arabe devient avoir « quelque chose à se reprocher »: Gary se moque des préjugés racistes qui font des Arabes des menteurs, des voleurs ou des délinquants.
•    « Il y a d’autres gens que les Juifs qui ont le droit d’être persécutés »
L’humour du propos provient de l’emploi du terme de « droit » pour évoquer la persécution. Youssef Kadir reprend ici les paroles de Madame Rosa: alors qu’il affirme être persécuté, la question qu’elle lui pose: « Mais alors, vous êtes sûr que vous n’êtes pas juif » sous entend que les seuls à être persécutés sont les Juifs. Ce que Madame Rosa dit avec humour (la précision « avec espoir » est bien sûr ironique), Youssef Kadir le reprend très sérieusement, avec un jeu de mots sur le terme « monopole« : « c’est fini, le monopole juif », qui est en lui-même un préjugé raciste (l’idée que les Juifs « monopolisent » le monde).

II Un père dénaturé

1) « Une limace »

C’est par ce terme que Momo a décrit le personnage. « Il commençait à me faire chier, ce mec, avec ses sentiments paternels et ses exigences. D’abord, il n’avait pas du tout la gueule qu’il fallait pour être mon père, qui devait être un vrai mec, un vrai de vrai, pas une limace« .
De nombreux éléments dans ce passage présentent en effet Youssef Kadir comme exactement l’opposé du père que Momo souhaiterait. A commencer par sa faiblesse physique, réelle mais qu’il ne cesse de mettre en avant pour se protéger.

Paroles: 

 » Ma santé ne me le permet pas ». X2
« J’ai le coeur fragile »
« Je ne peux supporter des émotions pareilles »
 » J’ai été l’objet de persécutions »
« Je suis un persécuté »  

  Attitudes physiques

« devint encore plus pâle que possible »
« comme sous l’effet de quelque chose de très fort »
« il tremblait des pieds à la tête »
« a eu quelques spasmes nerveux sur la figure »
« il dut s’asseoir parce que ses jambes l’exigeaient« .

Le passé du personnage ne plaide pas non plus en sa faveur:
Il a tué la mère de Momo, Aïcha, alors que celle-ci se prostituait pour lui, ainsi que deux autres femmes. C’est un proxénète. Il a été déclaré irresponsable et interné dans un asile psychiatrique dont il vient de sortir. Il dit être devenu très religieux.

2) Un personnage déplaisant

De nombreux autres éléments rendent le personnage très déplaisant. A commencer par son discours à la fois hystérique et obsessionnel.Le vocabulaire et les formules sont répétées en boucle:

Musulman    8
Arabe    5
Juif    8
Je vous ai confié    5
Un fils    8
Mon fils    2
Vous me rendiez    2
Je veux/je ne veux pas    7
Madame    7 emplois

Ses réactions manifestent fermeture d’esprit et racisme: il multiplie les formules qui dénigrent les Juifs et valorisent les Arabes.
« Un bon nom musulman » ; « Un fils arabe en bonne et due forme » ; »Je vous l’ai confié dans un bon état« : répétition de l’adjectif « bon », appliqué au qualificatif d’Arabe ou de musulman.

 « Je n’ai rien contre les Juifs, …Dieu leur pardonne« ; « Je ne veux pas de fils juif sous aucun prétexte, j’ai assez d’ennuis comme ça« : Le fait d’être juif est considéré comme une faute, quelque chose de parfaitement intolérable, et source de problèmes.

Et pourtant, même aussi déplaisant, Madame Rosa a malgré tout pitié:
« Car elle voyait bien que le mec était secoué à l’intérieur et qu’il faisait même pitié, quand on pense à tout ce que les Arabes et les Juifs ont déjà souffert ensemble ».
La formule finale montre aussi à quel point pour Gary les différences de religion sont peu importantes. Elle unit en effet dans la même souffrance Juifs et Arabes.

Conclusion:
La scène avec Youssef Kadir est bien sûr une scènes essentielles dans le roman, car elle met fin au mystère qui entourait la famille de Momo. Mais elle est aussi une liquidation en bonne et dûe forme de la figure paternelle. Sitôt apparu, il est renié, tué et abandonné dans l’escalier. On ne peut bien sûr éviter de songer au père de Romain Gary, lui-même, qui a abandonné sa mère et ne s’est jamais beaucoup préoccupé de son fils. En imaginant le personnage de Youssef Kadir, l’écrivain s’offre la possibilité de ridiculiser l’image paternelle. Seule subsistent les mères, Aïcha ou Madame Rosa, les lionnes qui se battent pour protéger leurs petits.

 

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