1°STG: La Vie devant soi, la mort de Mme Rosa

Chapitre 30: La mort de Madame Rosa

De « Quand on y est arrivé… » à « on a pu descendre dans son état »

Introduction:

Situation du passage:

L’état de santé de Madame Rosa est de plus en plus mauvais, à tel point que le docteur Katz n’a laissé à Momo que quelques jours avant de demander le transfert de la vieille femme à l’hôpital où elle ne veut pas aller. Momo a alors l’idée de la cacher dans la cave, dans la cachette qu’elle s’est aménagée, et de faire croire que des cousins sont venus la chercher pour la conduire en Israël. C’est donc sans que personne ne s’end oute que l’enfant et la vieille dame se retrouvent dans la cave, qui va devenir le tombeau de madame Rosa.

Comment l’amour que Momo porte à madame Rosa permet-il de transfigurer une mort aussi sordide?

Plan:

I La catabase de Momo

II Le refus du pathétique

III L’amour et la beauté

I La catabase de Momo

Le terme de « catabase » signifie descente aux Enfers. On emploie ce terme en parlant de ma mythologie gréco-romaine et de ces héros qui sont descendus sous terre, jusqu’aux Enfers pour y chercher quelqu’un ou quelque chose (Orphée, Héraclès, Ulysse).

Momo, lui aussi, accomplit sa cabase: il accompagne Madame Rosa jusqu’à la cave, qui sera son tombeau. La descente de l’escalier avec elle a été lente et difficile, et Momo n’hésite pas à parler de miracle: « C’était u miracle qu’on a pu descendre dans son état ».

1) Un lieu terrifiant

La cave de madame Rosa a été décrite dès le début de l’oeuvre: ce qu’elle appelle son « trou juif » est une cachette qu’elle s’est aménagée, dans la crainte d’être à nouveau recherchée et arrêtée. (p.38: un fauteuil rouge et crasseux, une commode, un chandelier à sept branches, des provisions, des pommes de terre et des sardines en boîte, un réchaud et des bougies). Mais l’ensemble est très abîmé, et peu accueillant.

Dans ce passage du chapitre 30, la caractéristique principale de la cave semble être l’obscurité, qui nécessite le recours aux bougies:

« J’ai allumé les bougies« 

« Il y avait beaucoup de bougies et j’en ai allumé un tas pour avoir moins noir« 

« Quand je me suis réveillé il n’y avait presque plus de bougies allumées« .

La mention de ces bougies joue également de manière symbolique: la bougie qui s’éteint est parfois considéré comme le symbole de la vie qui disparaît, une fois la vie consumée. On peut également penser à une veillée funéraire.

Le second élément terrifiant, c’est la présence éventuelle de rats, qui fait peur à Momo: « J’avais peur des rats qui ont une réputation dans les caves« . Cela renvoie plutôt à l’image d’un cachot d’une prison.

Vanité (nature morte): le titre reprend une parole de la Bible: « Vanité des vanités, tout est vanité », parole qui dénonce le caractère illusoire des activités humaines (Vanité: ce qui est vain, ce qui est inutile, qui n’a pas de sens)
Au XVII ème siècle, la vanité devient une allégorie du destin humain, discrète mise en garde contre la séduction des sens et l’attachement aux biens terrestres.
Celle de Pieter van Steenwijck, peintre de Leyde (Hollande) reprend les symboles traditionnels : bougie et almanach (fuite du temps), flûte, pipe et vin (brièveté des plaisirs), livre (illusion des sciences), crâne (destinée humaine).

Source: Musée d’art et d’histoire de Belfort

2) La mort de Madame Rosa

L’agonie de Mme Rosa est évoquée en des termes assez crus: à l’amélioration première succède bien vite la détérioration (les deux termes sont antithétiques:

« Ca l’a améliorée un peu« 

« Elle a encore eu une bonne heure, mais après elle s’est encore détériorée ».

Ses paroles deviennent de plus en plus indistinctes: « elle marmonnait« , « elle s’est mise à répéter« , « elle a encore murmuré« , et l’image que Momo donne d’elle est terrible: « Elle est restée là avec un air vide à regarder le mur en face et à chier et à pisser sous elle« .

Quant à la mort de Madame Rosa, le récit de Momo la fait comprendre au lecteur, alors que lui-même ne semble pas en avoir conscience: « Madame Rosa avaient les yeux ouverts mais lorsque je lui ai mis le portrait de Monsieur Hitler, ça ne l’a pas intéressée« . Il ne s’agit pas ici d’un euphémisme, mais bien du déni, dans lequel s’enferme très vite Momo, refusant d’être séparée de celle qu’il aime.

3) La solitude et la peur

Tout cet environnement est bien sûr très éprouvant pour un garçon de 14 ans. Et si la peur et la solitude qu’il éprouve ne sont pas dites explicitement, elles sont suggérées par ses comportements:

« J’en ai allumé un tas pour avoir moins noir« : l’expression employée ici « avoir moins noir » suggère à la fois l’obscurité, mais aussi la tristesse et le chagrin (« avoir » suggère un état ressenti: avoir peur, avoir froid, avoir mal).

« Je suis remonté chercher mon parapluie Arthur parce que j’étais habitué« : La raison invoquée « parce que j’étais habitué » est, bien sûr, une fausse raison, témoignant de la pudeur de Momo, qui ne veut pas avouer sa peur. Arthur est le seul objet que Momo garde à la fin du roman.

« j’ai pas pu fermer l’oeil« : la encore, la raison donnée essaie d’être crédible (la peur des rats), mais on peut penser que le contexte global est lui-même effrayant et justifie cette difficulté à dormir. Il est clair que c’est la fatigue qui a raison de Momo au final: « Je me suis endormi je ne sais pas quand », ce qui nous confirme la fragilité de son état d’enfant.

II Le refus du pathétique: colère et révolte

Dans ce passage, le narrateur ne se laisse pas aller à l’émotion facile, au pathétique, qui pourrait faire pleurer. Bien au contraire, ses réactions se veulent une manière de lutter contre ce chagrin trop présent:

1) La colère

Elle se manifeste dans les termes et les intonations prises par Momo:

Ainsi de la répétition par deux fois de « j’en ai marre« , dans un mouvement d’énervement dirigé contre Madame Rosa:

« Je commençais à en avoir marre, j’aurais bien voulu voir son Blumentag se donner autant de mal que moi pour elle« ; « Même que j’en avais marre, elle était vraiment exigeante, Madame Rosa« .

De la même manière, Momo se lance dans un grand discours, à chaque fois ponctué par « Moi »:

« Moi, il y a une chose que je vais vous dire« ; « Moi je trouve que le type en Amérique« ; « Moi je trouve qu’il n’y a pas plus dégueulasse« .

La violence de son discours se voit également dans la manière dont il prend à partie le lecteur: « je vais vous dire« , ainsi que dans la familiarité des expressions employés (« dégueulasse« ) et la multiplication des formules hyperboliques: « C’est encore pire« , « il n’y a pas plus…« .

2) La révolte

Cette colère est aussi une révolte contre les lois établies, en particulièrement contre les lois qui interdisent l’euthanasie, que Momo confond ici avec « l’avortement ». Le rapprochement est bien sûr volontaire de la part de Romain Gary, qui défend ici le droit à disposer de soi, jusque dans les derniers moments de sa vie.

D’autres erreurs de langage sont également signifiantes: ainsi de « ceux qui ne peuvent plus se défendre et qui ne veulent plus servir« . Le terme de « servir » renvoie à l’idée d’objets usagés qui n’ont plus d’utilité, mais il renvoie aussi à l’idée d’esclavage (servir, être esclave). A quoi bon continuer à être esclave de la vie, quand on ne peut plus s’en défendre?

On retrouve dans ce développement le terme de « légume » et la référence donnée par le docteur Katz à cet homme qui a vécu 17 ans à l’hôpital maintenu artificiellement en vie. (cf p.182).

3) La religion

A cet égard, le passage est quelque peu ambigu. Les trois religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam sont mentionnées dans l’extrait:

« Inch Allah »: si Dieu le veut, formule évoquée lorsqu’on envisage le futur.

« Shma israêl adenoï…..loeïlem boët« : prière juive qui se récite quotidiennement.

« Jésus…sur sa croix« : crucifixion et rédemption des hommes.

Madame Rosa récite sa prière aidée par Momo, et semble apaisée: « elle a paru contente« .

Reste tout de même que Momo dénigre le Christ, en considérant que les hommes sont soumis parfois à des souffrances plus grandes que celles qu’il a subies, et il n’hésite pas non plus à dire qu’espérer en Dieu est une idée liée à l’épuisement: « Je pensais que Madame Rosa n’allait pas rester longtemps dans on trou juif et que Dieu aura pitié d’elle, car lorsqu’on est au bout des forces, on a toutes sortes d’idées« .

Ce montage  présente un certain nombre de photos du film Citizen Kane. La deuxième image en partant de la gauche représente la boule de verre que Kane laisse échapper au moment de mourir lorsqu’il prononce l’énigmatique « Rosebud », qui renvoie à son enfance et à la pureté première.

III L’amour et la beauté

Pourtant, au delà de la violence de la situation cette descente aux Enfers est un preuve d’amour extrême que Momo donne à madame Rosa, preuve qui transforme toute la scène elle-même.

1) L’amour de Momo

Il est évidemment sensible dans tout ce qu’il fait pour elle:

« Je lui ai tenu la main« : le geste fait revenir madame Rosa à la vie: « ça l’a améliorée un peu, elle a ouvert les yeux« .

C’est Momo qui récite la prière pour que Madame Rosa puisse répéter. De manière symbolique, on voit dans le passage, madame Rosa, juive, utiliser des formules empruntées à l’islam, et Momo, musulman, récite la prière juive. Les oppositions religieuses sont totalement effacées par l’amour que se vouent ces deux personnages.

Enfin, il n’hésite pas à aller chercher les objets dont madame Rosa a besoin: le portrait d’Hitler, les produits de maquillage (« Je suis remonté encore une fois »; « je suis remonté une troisième fois« .

2) La mort tranquille de madame Rosa

Même si extérieurement son agonie nous semble terrible, Romain Gary nous présente ces derniers moments comme heureux:

Le dialogue avec Momo est un moment de complicité entre les deux personnages: « on a toujours été bien ensemble« , et Madame Rosa est encore capable de sourire et de faire de l’humour: « Je ne vais pas battre le record du monde des légumes ». La prière presque commune est également un moment de partage entre les deux personnages: « Elle a tout répété avec moi« .

Ses derniers moments  semblent un retour à l’enfance « Elle marmonnait en polonais à cause de son enfance là-bas« , ou aux moment heureux de sa vie, son amour pour le dénommé Blumentag, ou le jour des fleurs, le temps que Mme Rosa a peut-être passé à la campagne.

Sa mort elle-même est sans violence et sans souffrance.

3) La transfiguration de madame Rosa

Mais pour Momo lui-même, Madame Rosa reste associée à une image positive. Ainsi le terme même de Blumentag lui confère une part de mystère, et rappelle le « rosebud » de la mort de Kane, dans le film d’Orson Welles, Citizen Kane (Kane, un homme d’affaires richissime et impitoyable meurt en prononçant ce mot sur lequel les journalistes s’interrogent à l’infini. La dernière image du film nous révèle qu’il s’agissait de l’étiquette posée sur la luge avec laquelle il jouait étant enfant).

Ce terme, Momo, l’associe à la féminité: « Ca devait être encore un rêve de femme qu’elle faisait« , « la féminité c’est plus fort que tout », « tout ce qu’elle aimait pour être femme » et cette féminité se décline en deux choses qui vont caractériser Madame Rosa, la nature: « Blumentag, ça veut dire jour des fleurs en juif« .(Son nom même dit la nature, et évoque la plus célèbre des fleurs, la rose), et bien sûr l’amour.

 Momo l’imagine alors jeune et amoureuse: « Elle avait dû aller à la campagne une fois, quand elle était jeune, peut-être avec un mec qu’elle aimait, et ça lui était resté« . Au terme de sa  rêverie sur les derniers mots de Mme Rosa, la transfiguration est complète, et il associe la vieille femme à la beauté même: « Je regardais parfois son beau visage« .

Conclusion

Derrière l’horreur de l’agonie que décrit ici Romain Gary, il évoque surtout un amour immense capable de transfigurer la situation même: Momo permet à Madame Rosa de mourir sereinement, et il l’accompagne jusqu’au bout. En même temps, cette mise au tombeau est une épreuve pour lui, et finalement une mort symbolique également. Avec son départ pour la maison de Nadine et de Ramon, on pourra parler d’une renaissance, qui justifiera alors le titre du recueil « La Vie devant soi ».

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