Archive for décembre 2nd, 2012

Latin (secondes): la proposition infinitive

dimanche, décembre 2nd, 2012

Explication et fonctionnement:

http://missiontice.ac-besancon.fr/gt-lettres-tice/IMG/pdf/Propositioninfinitivelatin2.pdf

Des exercices:

https://charente-maritime.fr/colleges17/jc-tonnay/evaweb/IMG/html/ex8p80.html

http://www.rar-wallon-garges.ac-versailles.fr/spip.php?article182

Latin (terminales): Sérénité poétique, Horace, Odes II, 3

dimanche, décembre 2nd, 2012

Horace, Odes, livre II, 3

Introduction

Cette ode est adressée à Quintus Dellius, que ses revirements successifs ont rendu célèbre lors des guerres civiles. Surnommé « le voltigeur des guerres civiles » (« desultor bellorum civilium »), il a pris parti pour Cassius, puis pour Marc-Antoine, puis pour Octave. Cette réputation de légèreté donne plus de sens aux conseils donnés par Horace : quelle que soit la réussite dont puisse s’enorgueillir Quintus Dellius, elle ne résistera ni au temps, ni à la mort, et la moquerie du poète se révèle dans le choix d’un tel destinataire : quelle leçon de sagesse veut-il ici transmettre ?

Détail d’une fresque romaine

I La mort toute-puissante

1 La mort inéluctable

Le caractère inéluctable de la mort se ressent ici par les très nombreuses allusions qui y sont faites. Dans un premier temps, Horace prend directement à partie Dellius avec le participe futur : « Moriture Delli». Cette adresse se retrouve à la fin du texte avec la reprise par deux fois du futur « cedes » (tu quitteras »), mais cet emploi de la deuxième personne peut aussi s’interpréter comme destinée au lecteur lui-même.

Horace élargit clairement son propos, quand il évoque la diversité des conditions humaines : tout homme n’est rien d’autre que « victima nil miserantis Orci » (victime d’Orcus qui n’éprouve aucune pitié).

La dernière strophe emploie la première personne du pluriel « cogimur », et répète par deux fois au début et à la fin du même vers le pronom indéfini « omnes » / « omnium ».

De plus, le poème suit une progression chronologique inquiétante : il commence avec l’évocation du passé (« vixeris »), évoque un présent qu’il s’agit de rendre agréable (« huc ferre jube »), avant de mentionner un futur voué à la mort et à la perte (« cedes » ; emploi de deux nouveaux participes futurs «exitura », « impositura »). La précision temporelle « tôt ou tard » « ocius serius » rend assez vain toute prétention à vivre plus longtemps.

2 Images de la mort

Empruntées à une imagerie assez traditionnelle, elles insistent sur l’aspect terrifiant de la mort :

? « fila atra trium sororum » : le fil noir des trois sœurs : évocation des Parques (Clotho, Lachésis et Atropos). On note ici l’emploi de l’adjectif ater pour qualifier la vie même de la vie.

? « victima nil miserantis Orci » : le dieu Orcus est souvent associé à ce caractère impitoyable.

? » Cumbae in aeternum exilium » : dans la barque pour un exil éternel (il s’agit ici de la barque de Charon, le nocher des enfers, voir par exemple la description qu’en donne Virgile).

La mort apparaît bien dès lors comme l’issue tragique à laquelle conduit toute vie, rendant ainsi dérisoire tout orgueil, lié à la naissance ou à la richesse.

II L’égalité des conditions

1 Nil interest

A plusieurs reprises, Horace évoque des alternatives dont il nie aussitôt la valeur : peu importe. La première est présentée dans la deuxième strophe et envisage deux destinées pourtant radicalement opposées : l’une vouée au malheur (« seu maestus omni tempore vixeris » : on note l’allitération en m, qui appuie la durée même du malheur), l’autre au bonheur lié à l’aisance matérielle, avec la mention du Falerne, un vin très apprécié des Romains, qui connote le luxe et la richesse.

La seconde se développe dans la strophe six et oppose terme à terme richesse /pauvreté (dives/pauper) , naissance noble /roturière. L’utilisation de la périphrase « natus ab prisco Inacho» résonne de manière assez ironique, et marque un total contraste avec « infirma de gente ». Quant à l’image développée dans la dernière strophe, celle de l’urne, dans laquelle se trouvent mêlés les sorts de tous les hommes, elle égalise aussi les conditions. Il faut se souvenir qu’Horace lui-même est d’origine très modeste (son père est un affranchi). Nul doute qu’il n’éprouve un certain plaisir à s’adresser en ces termes au très aristocrate Quintus Dellius.

2 Vanité des richesses

De manière plus marquée, Horace se moque des richesses amassées par Quintus Dellius, et prend un malin plaisir à lui rappeler qu’il va tout abandonner : les deux verbes « cedes » sont complétés par l’énumération des biens perdus : « coemptis saltibus », « domo », « villa », et la précision « quam flavos Tiberis lavit » (« villa que baigne le Tibre blond ») ajoute au regret en nous présentant un lieu d’exception.

Horace va même jusqu’à représenter l’héritier, « heres » (à la toute fin de la strophe), suggérant ainsi qu’un autre viendra prendre la place de Quintus Dellius. La précision « divitiis extructis in altum » : « richesses élevées sur la hauteur » suggère que tous ses efforts ont été vains et que l’orgueil dont ils font preuve est ridicule.

3 Une leçon de modération

Dès lors, les conseils donnés dans la première strophe, avec l’emploi de l’impératif futur « memento », prennent tous leur sens : le premier mot est « aequam », et dans l’époque troublée qu’a vécue Horace, il tend à fonder une manière de vivre digne. Si le poète oppose « rebus in arduis » et « in bonis », ce qui lui semble intolérable, c’est surtout cette « insolenti laetitia » (la disjonction de l’adjectif et du nom met en valeur celui-ci, qui éclate au début du vers), qui renvoie très clairement à Dellius, qu’il s’agit bien ici de renvoyer à son insignifiance.

Peuplier blanc

III La sagesse horatienne: goûter le présent

1) La vie éphèmère

Si la mort atteint chacun et égalise les conditions dans une triste éternité, la vie est liée à la fuite rapide du temps. On note dans le texte de nombreuses images, qui expriment symboliquement à la fois les plaisirs de la vie et sa fugacité: “lympha fugax” (l’eau fugace), “ flores amoenae rosa” (les fleurs de l’agréable rose), voire même “unguenta “ (les parfums). Cette brièveté est soulignée par l’expression “nimium brevis” (trop brève) qu’Horace emploie pour parler des fleurs.

2) Les plaisirs des sens

Goûter les plaisirs de la vie, c’est finalement le conseil que donne Horace, autant à Quintus Dellius qu’au lecteur (noter l’impératif: “ huc jube ferre”, ordonne d’apporter ici: le texte s’inscrit dans un “ici et maintenant” qui laisse de côté tout avenir possible). Le poète évoque ainsi le goût avec la mention du vin (“interiore nota Falerni”, un Falerne dont l’étiquette est au fond”, ou “vina”), la vue (“flores rosae”), ou l’odorat (toujours les roses que l’on associe bien sûr aux parfums; “unguenta”).

3) L’importance de la nature

De manière plus globale, le bonheur de vivre est lié pour Horace à un environnement champêtre: comme image d’une vie heureuse, il est question dans la seconde strophe d’une solitude au sein de la nature (“reclinatum in remoto gramine”, allongé à l’écart dans le gazon) . Né dans le sud de l’Italie, Horace apprécie l’ombre et la fraîcheur: il évoque les arbres “pinus ingens”, “alba populus” (le blanc peuplier), coemptis saltibus (les bois achetés) ainsi que l’eau (“lympha fugax”; “flavus Tiberis”: le Tibre blond). La nature apparaît ainsi comme douce et accueillante (“amant consociare umbram hospitalem”: personnification des arbres, désireux d’offrir aux hommes leur ombre hospitalière.

Le Tibre, le château Saint- Ange et la basilique Saint-Pierre

Tableau de David Roberts (milieu du XIXe siècle).

Conclusion

La sagesse d’Horace qui enjoint de profiter agréablement de la vie se fonde malgré tout sur une conscience aigüe du caractère éphémère de l’existence humaine, sans cesse menacée, autant par les vicissitudes du temps présent que par l’imminence de la vieillesse et de la mort. On a souvent voulu voir le poète comme un épicurien “en action”, mais on ne peut qu’être surpris de la place qu’il accorde à la mort, alors même que la doctrine voudrait qu’à jamais impossible à rencontrer, elle n’obsède plus du tout les adeptes d’Epicure.

Textes complémentaires

Aurea mediocritas

La bonne direction dans la vie, Licinius*, c’est de ne pas pousser toujours vers la haute mer, c’est aussi de n’aller point, dans une horreur prudente des tempêtes, serrer de trop près le rivage peu sûr.

Quiconque élit la médiocrité toute d’or a la sécurité, qui le garde des laideurs sordides d’un toit délabré, la modération, qui le garde d’un palais sujet à l’envie.

Les vents agitent plus fréquemment le pin immense, les tours élevées croulent d’une chute plus pesante, les éclairs frappent le sommet des monts.

Il espère dans l’adversité, dans la prospérité il redoute le sort contraire, le cœur bien préparé. Jupiter ramène les difformes hiver», c’est lui aussi qui les chasse. Si le présent est mauvais, il n’est pas dit que l’avenir le sera. Parfois Apollon réveille sur la cithare sa Muse silencieuse, et il ne tend pas toujours son arc.

Dans les moments difficiles, montre-toi courageux et fort : mais tu auras aussi la sagesse de réduire tes voiles trop gonflées par un vent favorable.

Horace, Odes, II, X

Postume, Postume, hélas ! à flots rapides s’écoulent nos ans, et notre piété ne saurait nous préserver des rides, des cheveux gris, du trépas indompté:

Non, quand chaque jour, courtisan des plus tendres, Ami, tu vouerais trois cents bœufs à Pluton, dieu sans pleurs, qui de sombres méandre ceint Tityus, le triple Géryon, dans ces tristes eaux que nous fendrons de même,

Nous tous relevant des terrestres produits, aussi bien porteurs de diadème que laboureurs aux indigents réduits.

En vain fuirons-nous la sanglante Bellone et l’Adriatique avec ses ouragans; pour nos corps en vain, pendant l’automne, aurons-nous craint le poison des autans:

Il faudra bien voir l’onde noire et languissante du Cocyte errant, les criminelles sœurs d’Hypermnestre, et Sisyphe Éolide qui va soumis à d’éternels labeurs.

Adieu donc villas, palais, épouse aimable ! De tant d’arbres verts cultivés par ta main, nul, hormis le cyprès détestable nul ne suivra son maître temporaire

Un prompt héritier, certainement plus sage, boira ton Cécube à tous les yeux soustrait; il teindra ton superbe dallage de ce nectar qu’un pontife envierait.

Horace, Odes II, 14

Latin (terminales): Le sacrifice d’Iphigénie

dimanche, décembre 2nd, 2012

Lucrèce, De Rerum Narura

Livre I , vers 80 à 101 Le sacrifice d’Iphigénie.

Iphigénie à Aulis, mise en scène Ariane Mnouchkine, Théâtre du Soleil, 1990

 Introduction :

Le passage qui suit directement l’éloge d’Epicure est un passage célèbre qui évoque le sacrifice d’Iphigénie, comme exemple même de la violence qu’entraînent les fausses croyances religieuses. L’évocation du sacrifice dans sa réalité concrète permet à Lucrèce de nous présenter un tableau dans lequel la faiblesse de la jeune fille opposée à la barbarie des guerriers suscite chez le lecteur pitié et terreur.

I La dénonciation de la religion :

 1) Le texte se présente tout d’abord comme la réponse à une objection possible de la part du destinataire du poème, Memnius (homme politique peu scrupuleux, d’abord partisan de Pompée, puis de César, condamné pour brigue électorale et condamné à l’exil à Athènes. Par ailleurs cultivé, protecteur des nouveaux poètes romains, amateur de littérature grecque : de fait, le choix de Memnius comme destinataire de son œuvre par Lucrèce continue de poser de nombreuses questions).

Mais utilisation de la première personne : « vereor ne » et de la seconde : « tu forte rearis » : inscription du texte dans une volonté pédagogique forte : balayer les préjugés qui peuvent s’attacher à l’épicurisme, et empêcher Memnius de continuer son étude de la doctrine (vocabulaire du chemin : « inire »,  « indugredi viam »).

Ces préjugés contre l’épicurisme mettent en jeu « impia rationis elementa » et « viam sceleris ».

2) Mais il est clair que Lucrèce ne choisit pas de réfuter, mais d’attaquer : sa volonté est celle d’un retournement absolu :la religion est accusée à son tour :

*Valeur forte de l’opposition : « Quod contra ».

*Utilisation de termes qui accentuent et appuient les horreurs commises par la religion : « saepius » plus souvent ; « tantum malorum » : tant de maux (vers 22)

*Emploi de verbes au parfait : « peperit » (vers 6) ; « potuit » (vers 22) :ces crimes sont présentés comme historiques (il en est de même pour le sacrifice d’Iphigénie : le choix du parfait tout au long du passage ( Premier emploi : « turparunt »)permet d’inscrire l’événement dans un passé irréfutable, et non dans une légende mythologique dont l’interprétation devrait rester symbolique.

*L’utilisation du chiasme permet de mettre en valeur ce retournement :

Attaques contre l’épicurisme : « impia élémenta…viam sceleris »(vers 2 et 3)

Crimes de la religion : « scelerosa atque impia facta » (vers 6).

 3) Cependant Lucrèce établit clairement la distinction religion/ dieux eux-mêmes : c’est la responsabilité des hommes qu’il met en cause, dès lors que ceux-ci prétendent interpréter les volontés divines : ainsi la responsabilité du sacrifice est attribué « Ductores Danaum delecti » et ce sacrifice est considéré comme un sacrilège même : « turparunt aram Triviai », « foede » : le verbe et l’adverbe insistent sur la souillure infligée. En aucun cas, la déesse Artémis n’est mise en cause.

De même, le verbe 21 « ut classi daretur felix faustusque exitus » utilise deux adjectifs dont la connotation religieuse est évidente (et soulignée par l’allitération en f), mais la formulation passive « daretur », sans complément d’agent exprimé présente ce souhait comme pure superstition, sans fondement.

 

Fresque retrouvée à Pompei dans la maison du poète tragique. Inspirée par un tableau du peintre Timanthe.

 Cette fresque met en évidence la violence de la scène: Ulysse et Diomède entraînent Iphigénie de force vers le sacrifice. Agamemnon se cache la tête sous un voile et n’ose regarder la scène. Calchas (le vieillard barbu sur la droite) lui-même semble hésiter. Cependant l’apparition dans le ciel accompagnée de la biche présage l’intervention de la déesse et la substitution de l’animal à la jeune fille. Ainsi la divinité est finalement dégagée de toute responsabilité sanglante vis à vis d’Iphigénie

II L’évocation du sacrifice

 1)Dès l’antiquité, le sacrifice d’Iphigénie a été ressenti comme scandaleux. Si certains comme Eschyle dans Agamemnon ont choisi une description des plus violentes, d’autres auteurs ont cherché à atténuer cette horreur, et pour ce faire ont proposé diverses solutions, comme la substitution au dernier moment d’une biche à Iphigénie par une intervention surnaturelle d’ Artémis (C’est la tradition d’Iphigénie transportée en Tauride, comme prêtresse d’un temple consacré à la déesse), ou comme le sacrifice volontaire de la jeune fille décidée à offrir sa vie pour sauver la Grèce (c’est par exemple la version d’Euripide dans sa dernière tragédie, Iphigénie à Aulis).

Lucrèce ici choisit la version la plus violente : la jeune fille immolée contre son gré, amenée à Aulis sous le prétexte d’un mariage avec Achille, et finalement abandonnée aux mains des sacrificateurs, seule et sans défense.

2) De fait, Lucrèce évoque ici un tableau, qui isole la jeune fille au centre de l’image, en insistant tout d’abord sur les détails précis qui l’identifie en tant que victime : les bandelettes « infusa circumdata comptus virgineos profusa est », et en donnent une image très pathétique « virgineos comptus », « ex utraque malarum » (évocation d’un visage virginal et enfantin).

Il évoque ensuite le regard d’Iphigénie qui découvre ce qui se passe et comprend ce qui l’attend : son regard s’élargit progressivement : elle, son père « maestum parentem », « propter hunc ministros », « cives » la foule ; les verbes lui apprennent la vérité : « adstare », se tenir debout,  « celare ferrum » (noter le choix de la métonymie qui met en valeur l’éclat et la dureté du métal), « effundere lacrimas ».

La mise en valeur du verbe « sensit » au début du vers 11 restitue la rapidité avec laquelle Iphigénie voit tous ces éléments et comprend d’instinct ce qui l’attend : c’est cette prise de conscience que Lucrèce donne à voir au lecteur, et toute l’horreur du sacrifice se lit dans ce moment.

3) Mais le poète déploie aussi largement la gamme du pathétique, d’abord en jouant de l’opposition entre le sort promis à Iphigénie (la joie du mariage), et la réalité de ce qui l’attend (la mise à mort) :

 Virgineos

Solemni more sacrorum perfecto  comitari claro hymemaeo

Casta

Nubendi tempore in ipso

 Inceste

Hostia maesta

Mactatu parentis (noter les allitérations et les assonances)

Ensuite, en accentuant le contraste entre la fragilité et la solitude d’Iphigénie entourée de la foule des guerriers décidés à la tuer.

 Sa faiblesse est traduite par son attitude : l’impossibilité même de parler :« Muta metu » (paronomase), le glissement au sol, à la fois attitude de peur et de prière : « petebat terram », « submissa genibus ». (noter l’imparfait qui fait durer la chute elle-même)

Les adjectifs « tremibunda » et « miserae » insistent sur son impuissance, et les verbes au passif achèvent de la représenter comme une pure victime : « sublata », « deducta est ».

 En face, sont présentés : « ductores danaum delecti » : l’allitération en d appuie la notion de force, tout autant que l’utilisation d’un génitif archaïque : « Danaum ». L’évocation des « virum manibus » image de manière très précise toute la violence infligée à Iphigénie.

Agamemnon n’est pas épargné non plus ; Si Lucrèce lui concède l’adjectif « maestum », la précision des vers 14 et 15 , sans doute un souvenir de la prière d’Iphigénie dans la tragédie d’Euripide, montre à quel point il a renié tout souvenir paternel (et ce, malgré l’allitération qui l’associait à sa fille : « patrio princeps ») pour la livrer à la mort. Ce vers se termine de fait par le terme de « rex », dont on connaît la valeur péjorative en latin.

 Après une telle évocation, Lucrèce conclut en une brève vérité générale présentée sous une forme exclamative : « tantum religio potuit suadere malorum ».

 Conclusion :

 Un très beau texte qui propose une évocation à la fois émouvante et forte du sacrifice sans doute le plus célèbre de l’Antiquité. En même temps, une dénonciation incontestable du fanatisme et des superstitions parmi les plus répandues (la mise à mort d’un individu pour obtenir le succès d’une entreprise difficile).

A mettre en relation avec une fresque célèbre de Pompei, où l’on voit effectivement Iphigénie soulevée de terre et conduite à la mort malgré elle, mais où l’apparition d’Artémis dans le ciel laisse présager une meilleure issue que celle livrée par Lucrèce.

Dans cette représentation (un vase en provenance d’Apulie conservé au British Museum), le sacrificateur est ici Agamemnon, reconnaissable au sceptre qu’il porte. Apollon et Artémis sont figurés au dessus de la scène, comme figures protectrices. Le peintre de ce vase a choisi ici une représentation clairement inspirée d’Euripide, représentation qui s’oppose absolument à la version précédente: Ici Iphigénie, debout, va d’elle-même vers l’autel, prête au sacrifice, ainsi que le fait l’héroïne d’Euripide qui affirme accepter la mort au nom de la lutte nécessaire des Grecs contre les Barbares (l’expédition vers Troie). La biche figurée derrière elle comme une sorte de double annonce le miracle du dénouement.

 (Image extraite de l’ouvrage de Louis Séchan, Etude sur la tragédie grecque dans ses rapports avec la céramique, Honoré Champion, 1926)

Textes complémentaires

I Eschyle, Agamemnon

 Le Chœur : Alors, le Chef, l’aîné des Atréides, parla ainsi : il y a un danger terrible à ne point obéir, mais il est terrible aussi de tuer cette enfant, ornement de mes demeures, de souiller mes mains paternelles du sang de la vierge égorgée devant l’autel. Malheurs des deux côtés! Comment pourrais-je abandonner la flotte et mes alliés? Il leur est permis de désirer que ce sacrifice, le sang d’une vierge, apaise les vents et la colère de la Déesse, car tout serait pour le mieux.

 Ayant ainsi soumis son esprit au joug de la nécessité, changeant de dessein, sans pitié, furieux, impie, il prit la résolution d’agir jusqu’au bout. Ainsi, la démence, misérable conseillère, source de la discorde, rend les mortels plus audacieux. Et il osa égorger sa fille afin de dégager ses nefs et de poursuivre une guerre entreprise pour une femme.

 Et les chefs, avides de combats, n’écoutèrent ni les prières de la vierge, ni ses tendres supplications à son père, et ils ne furent point touchés de sa jeunesse. Et le père ordonna aux sacrificateurs, après l’invocation, d’étendre la jeune fille sur l’autel, comme une chèvre, enveloppée de ses vêtements et la tête pendante, et de comprimer sa belle bouche, afin d’étouffer ses imprécations funestes contre sa famille.

 Mais, tandis qu’elle versait sur la terre son sang couleur de safran, d’un trait de ses yeux elle saisit de pitié les sacrificateurs, belle comme dans les peintures, et voulant leur parler, ainsi qu’elle avait souvent charme de ses douces paroles les riches festins paternels, quand, chaste et vierge, elle honorait de sa voix la vie trois fois heureuse de son cher père.

II Euripide, Iphigénie à Aulis

Prière d’Iphigénie

 Si j’avais, ô mon père, la voix d’Orphée, pour gagner les coeurs en chantant, pour me faire suivre des rochers et attendrir par mes paroles qui je voudrais, c’est à ce moyen que j’aurais recours. Mais, pour toute science, je t’apporte mes larmes : c’est tout ce que je puis. Le rameau de suppliante que je dépose à tes pieds, c’est moi-même, c’est le faible corps que celle-ci a mis au monde pour toi. Ne me fais pas mourir avant le temps : la lumière est si douce! ne me force pas de voir les ténèbres souterraines. Je suis la première qui t’aie appelé père, que tu aies appelée ta fille; la première, assise avec abandon sur tes genoux, je t’ai donné et j’ai reçu de toi de tendres caresses. Et tu me disais alors : “Te verrai-je, ma fille, heureuse au foyer d’un époux, vivre et briller dans un rang digne de moi?” Et je te répondais, suspendue à ton cou, pressant ta barbe, que ma main touche encore : « Et moi, que ferai-je pour toi? pourrai-je offrir à ta vieillesse, ô mon père, la douce hospitalité de ma maison, et te rendre les peines, les tendres soins que t’a coûtés mon enfance? » J’ai gardé le souvenir de ces paroles; mais toi, tu les as oubliées, et tu veux me faire mourir. Oh! non, par Pélops, par Atrée, ton père, par cette mère qui m’a jadis enfantée dans la douleur, et qui pour la deuxième fois aujourd’hui souffre pour moi la même torture! Suis-je pour quelque chose dans les amours de Pâris et d’Hélène? et parce que ce Pâris est venu en Grèce, faut-il donc que je meure, ô mon père? Tourne les yeux vers moi : donne-moi un regard et un baiser, pour que j’emporte au moins ce souvenir de toi en mourant, si tu ne te laisses pas fléchir par mes prières. Et toi, mon frère, tu n’es encore qu’un faible soutien pour ceux qui t’aiment; pleure cependant avec moi, et supplie notre père de ne pas faire mourir ta soeur : les petits enfants eux-mêmes ont quelque sentiment de nos misères. Vois comme, sans parler, il t’implore, ô mon père. Eh bien! épargne-moi : pitié pour ma vie ! Oui, par ce menton que je touche, nous t’en supplions, nous deux que tu aimes, lui, petit oiseau encore, et moi déjà grande. Je résume ma prière en ce seul mot, plus fort que tout ce qu’on pourrait dire : la lumière est bien douce à voir, la nuit souterraine ne l’est pas. Insensé qui souhaite de mourir! Mieux vaut une misérable vie qu’une mort glorieuse.

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