L’Utopie: Aldous Huxley, Le meilleur des mondes

« Abolir l’amour de la nature »

Cours retranscrit par Alexandra

Aldous Huxley

Introduction

Aldous HUXLEY est issu d’une famille de scientifiques connus[1]. Il écrit Le meilleur des mondes en 1931 (en référence à Shakespeare)[2], qui apparaît comme un modèle de contre-utopie pour alerter les populations contre les dérives d’une société ou le bonheur n’existe qu’au prix de la liberté. Clonage et conditionnement des embryons forment la base d’une société hiérarchisée des ? aux ?. Chacun est satisfait de la place qui lui est attribuée dans la société. Ce monde affiche une société de consommation à outrance, qui n’hésite pas à recourir à l’usage de la drogue (: soma) pour convaincre les individus récalcitrants de leur bonheur.

Comment Aldous HUXLEY nous dresse-t-il ici le portrait d’une société monstrueuse sachant que dans cet extrait c’est le directeur qui fait visiter son usine à des étudiants alpha ? L’histoire se passe en l’an  2 500 (ou en l’an 700 de l’ère « fordienne »).

I.                    le dialogue comme une dénonciation de l’intérieur

1.       L’organisation du dialogue

Au début du texte, le dialogue est au style indirect  incluant tout le premier paragraphe jusqu’à la ligne 11. Il passe ensuite au style direct  ( : de la ligne 15 à la ligne 20) avec les questions de l’étudiant et les réponses de son professeur (le directeur de l’incubateur : D.I.C). Cela va de soi que ces deux individus sont des alphas. Dans le texte on comprend vite la hiérarchie sociale « des gens de caste inférieure » (l.2), « les Gammas, les Deltas, voire les Epsilons » (l.11), « les basses classes » (l.19), « les masses » (l.25).

Les deux privilégiés/favorisés vont parler du reste de la population avec un certain mépris. On observe une nette différence entre ceux qui possèdent le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas.

« On ne pouvait pas tolérer » (l.1), « si l’on faisait en sorte » (l.8) va renvoyer aux décideurs ainsi que « on avait conditionné les Gammas » (l.11) et au style direct « nous conditionnons les masses » (l.25) et « nous faisons le nécessaire » (l27). Par opposition les autres « on » renvoie aux basses classes : « qu’on continuât à aller à la campagne », « si l’on avait cela en horreur » (l.21), « de sorte que l’on consomme des produits manufacturés » (l.28). Le dialogue est fermé, ce ne sont que ceux qui décident qui ont la parole et qui décident à travers un mépris non dissimulé. Le pronom personnel indéfini « on » va désigner tantôt ceux qui ont le pouvoir tantôt ceux qui le subissent.

2.       Le rapport maître/élève

« L’un des étudiants leva la main » (l.1), la question de l’élève est posée de manière très respectueuse au professeur qui donne patiemment des explications. L’adverbe « patiemment » est placé au début ce qui met en valeur le DIC. Chacun tient la place qui lui est attribuée.

En outre, le discours du professeur est extrêmement structuré « fit-il observer » (l.17), « dit le Directeur pour conclure » (l.25) et à l’intérieur la parole se développe selon une réflexion qui se veut parfaitement logique « de sorte que », « d’où ».

 Le rapport entre maître et élève passe par la hiérarchie intellectuelle. L’étudiant a intériorisé le discours (l.1), il a compris son fondement. Il est acquis à la cause mais la compréhension n’est que partielle : « bien qu’il comprît ». Le professeur l’accompagne au bout du raisonnement. Il comprend à la fin du texte, c’est l’aboutissement « il resta silencieux, éperdu d’admiration. ». Le silence ne permet plus de critiques et l’admiration montre que l’élève est totalement acquis au discours du maître.

Aldous Huxley nous montre le résultat du conditionnement. L’élève devient maître par le discours : il n’y plus aucune possibilité de contestation ni de révolte contre le système. Il marche par cycle avec le remplacement du maître par l’élève qui est prêt à reproduire le système à son tour et ainsi continuer à le transmettre.

II.                  Le « pire » des mondes

1.       Un monde mercantile (basé sur la toute-puissance de l’économie)

Le texte dénonce la société de consommation. Il est question à la ligne 9 « raisons de haute politique économique » avec l’adjectif haute qui montre un tel niveau de l’économie qu’il en devient indiscutable. La question de la consommation est au cœur de la discussion : « du transport » est répété par trois fois aux lignes 14, 20 et 29 et toujours lié au nom « consommation » et au verbe « consommer ».

Un vocabulaire économique est mis en place avec tout ce qui relève des produits manufacturés liés à la notion de travail et à la production des usines, « usine » (l.18), « appareils compliqués » (l.28), « articles manufacturés » (l.28). On accentue le vocabulaire par « une raison économiquement mieux fondée » (l.23), qui traduit des paroles répétitives. Ce jeu de répétitions trahit l’obsession du professeur comme un discours mécanique sans aucun sens. Le directeur apparait comme un pantin qui répète ce qu’on lui a appris sans réfléchir.

C’est un monde où les Hommes sont parfaitement soumis à l’économie. La notion d’amour ou de désir « aimer les fleurs » (l.11), « le désir d’aller à la campagne » (l.13) est toujours évoquée en fonction de ses conséquences économiques. L’expression « L’amour de la nature » (l.18, 19 et 20) qui est répétée plusieurs fois dans le texte est obligatoirement associée à la consommation du « transport ». Les Hommes n’apparaissent  dans ce texte que comme des machines à consommer par le biais du désir imposé.

La nature elle-même n’est envisagée que dans sa valeur économique. Quand le DIC commence à dire (l17) « Les primevères et les paysages (…) ont un défaut grave : ils sont gratuits » et « l’amour de la nature ne fournit du travail à nul usine » il envisage la nature sous une vision exclusivement économique. Il n’est accessible à aucune notion esthétique ni à la beauté de la nature. De fait l’expression elle-même « primevères et paysages », répétée aux lignes 17 et 24 joue sur l’allitération en « p », et a une connotation assez méprisante.

2.       Un monde totalitaire

Un monde totalitaire est un régime à parti unique organisé n’admettant aucune opposition. Le pouvoir politique dirige souverainement et tend à confisquer la totalité des activités de la société qu’il domine. Ce monde s’organise autour de trois axes :

-le conditionnement

Pavlov Ivan Petrovitch (1849-1936) est un chercheur russe qui s’est intéressé à la notion de réflexe conditionné chez les animaux. C’est à ses travaux que le texte fait référence en évoquant l’association d’éléments a priori agréables comme les fleurs à des éléments désagréables comme les secousses électriques dans le texte.. Le verbe conditionner est utilisé à la ligne 11 « avait conditionné », à la ligne 24 « Nous conditionnons » et à la ligne 26 « nous les conditionnons ». on trouve aussi le verbe « déconditionner » (l4).

L’auteur met en scène un monde qui nie totalement la liberté, y compris dans ce qui nous apparaît inaliénable, comme la notion de goût. Aimer, détester sont toujours employés dans des connotations hyperboliques « détester la campagne » (l.25), « raffoler des sports en plein air » (l.26), ce qui souligne la violence du conditionnement. « Hurler à la vue d’une rose » (l10) marque un contraste violent entre hurler et rose. Le verbe renvoie à l’horreur, l’angoisse alors que la rose évoque la beauté, la perfection de la nature.

-l’organisation

L’univers où évoluent les personnages est pensé, réfléchi, la pensée régit absolument tout : « haute politique économique » (l.10), « le but visé » (l.12), « on décida » (l.18), « une raison économiquement mieux fondée » (l.23). La société est rationnelle, elle organise absolument tout. Le système est imparable. Mais qui décide ce monde ? Sur ce point le texte reste flou, car il est clair que le DIC ne fait que répéter un discours venu d’en haut.

-la coercition (obliger quelqu’un à faire quelque chose)

Le vocabulaire « ne pouvait pas tolérer » (l.2), « les obliger » (l.14), « abolir l’amour de la nature » (l.19) connote une sorte de destruction totale d’une très grande violence suivie d’expressions euphémistiques tel que « gaspillassent le temps » (l.2), « indésirablement déconditionner un de leurs réflexes » (l.4) qui veut dire que la lecture des livres pourrait les amener à réfléchir, mais le problème est présenté de manière lointaine « le temps », « quelque chose », « indésirablement », autant de termes qui tendent à atténuer les réalités désagréables. L’utilisation euphémistique de ces mots montre que le sujet abordé est délicat, presque tabou. Cela amène la question du devenir de ceux qui se sont révoltés, et des mesures qui ont été prises pour les réduire au silence.

Conclusion

Un passage important dans la mesure où il explique le conditionnement en en montrant l’efficacité totale grâce aux personnages qui en sont à la fois acteurs et victimes. Un texte écrit en 1931 qui dénonce la société de consommation et ses dérives inhumaines, qui souligne aussi à quel point l’éducation détournée de son but aboutit à l’aliénation de toute une société.


[1] Le grand père d’Aldous Huxley, Thomas Henry Huxley,  était un ami de Darwin.

[2] Le titre anglais « Brave New world », «  merveilleux nouveau monde » est une citation de La Tempête, la dernière pièce de Shakespeare. La jeune Miranda, élevée seule sur l’île où son père, Prospero, a trouvé refuge, découvre avec émerveillement  le « nouveau monde » qui s’offre à elle sous l’apparence d’un groupe de naufragés que la tempête a rejeté sur cette île.  La traduction française joue sur la référence au « meilleur des mondes » dans Candide de Voltaire.

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