Sènèque, de tranquillitate animi, II, 11, traduction

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Traduction

Sénèque, Entretiens, Lettres à Lucilius, édition établie par Paul Veyne, Collection Bouquin, Robert Laffont, 1993.

L’âme humaine est, en effet, par instinct active et portée au mouvement. Toute occasion de s’exciter et de sortir de soi lui est agréable, d’autant plus agréable que le caractère est mal en point et aime à se frotter à quelque chose qui l’occupe. Certains ulcères provoquent la main qui les envenimera et se font gratter avec délice; le galeux aime ce qui irrite la gale: on peut dire qu’il en est de même de ces âmes où les passions bourgeonnent comme de mauvais ulcères et qui trouvent une volupté à se tourmenter et à souffrir. N’y a-t-il pas pareillement des jouissances corporelles qui se doublent d’une sensation douloureuse, comme lorsqu’on se retourne sur le côté qui n’est pas encore fatigué et qu’on se remue sans cesse en cherchant une meilleure position? tel l’Achille d’Homère se couchant tantôt sur le ventre, tantôt sur le dos, et essayant successivement toutes les postures possibles. Et n’est-ce pas le propre de la maladie que de ne rien supporter très longtemps et de prendre le changement pour un remède? De là ces voyages que l’on entreprend sans but , ces allées et venues de rivage en rivage et cette mobilité toujours ennemie de l’état présent, qui tour à tour essaie de la terre et de la mer: « Vite! partons pour la Campanie ». Bientôt on en a assez des douceurs de la civilisation: « Visitons une région sauvage, explorons le Bruttium et les forêts de la Lucanie ». Mais dans ces solitudes, on soupire après quelque site riant, qui délasse un peu les yeux ravis du rude aspect de tant de lieux sans grâce: « En route pour Tarente, son port si vanté, son climat si doux l’hiver, et pour cette opulente contrée qui serait capable de nourrir sa population d’autrefois! Mais non, retournons à Rome: il y a trop longtemps que mes oreilles sont sevrées des applaudissements et du fracas de l’arène, et j’ai envie à présent de voir couler du sang humain ». Les déplacements succèdent aux déplacements, un spectacle en remplace un autre. Comme dit Lucrèce,

Ainsi chacun se fuit toujours

Mais à quoi bon, si on ne s’évite pas? On se suit soi-même, on ne se débarrasse pas de cette intolérable compagnie. Ainsi persuadons-nous bien que le mal dont nous souffrons ne vient pas des lieux, mais de nous, qui n’avons la force de rien supporter: travail, plaisir, nous-mêmes, toute chose au monde nous est à charge. Il y a des gens que cela mène au suicide: comme leurs perpétuelles variations les font tourner indéfiniment dans la même cercle et qu’ils se sont rendu toute nouveauté impossible, ils prennent en dégoût la vie et l’univers et sentent monter en eux le cri des coeurs que pourrit la jouissance: Eh quoi! toujours la même chose! ».

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