A la découverte de Danah Boyd.

Merci à Place de la Toile pour le grand entretien avec Danah Boyd diffusé le 16 mars 2013. Danah Boyd est une ethnographe américaine qui consacre ses travaux aux nouvelles technologies et à la manière dont les gens les utilisent, en particulier les adolescents.

D’elle même, elle raconte qu’ « elle a grandi en ligne » et que cela fut pour elle une riche expérience de socialisation . Cependant, elle reconnaît que cette expérience présentait des aspects contradictoires. D’une part, elle n’éprouvait ni le désir ni la volonté consciente de prendre des risques. D’autre part, ce qu’elle faisait n’était quand même pas sans danger.

Toutefois, cela l’a amenée à beaucoup réfléchir à l’usage des technologies, en particulier chez les jeunes. Pour cela, elle part d’un double questionnement :

  1. Qu’est-ce que les jeunes font réellement sur le web ?
  2. Qu’est-ce qu’on imagine qu’ils font sur le web ?

Elle confronte donc la réalité avec nos représentations de cette même réalité (où l’on trouve beaucoup d’anxiété et de mythes) pour tenter de définir les risques et les enjeux réels.

Ses premiers travaux de recherche ont porté sur l’usage que les jeunes faisaient de my space. La problématique en était : comment les jeunes construisent-ils leur identité (expression, socialisation et rapport aux pouvoirs) sur le web. La méthode consistait à se connecter régulièrement au hasard sur des profils inconnus et à rencontrer des jeunes en vrai. Pour en arriver à la conclusion que sur le net, les jeunes trainent comme autrefois les générations précédentes trainaient devant le supermarché du coin. Internet est donc un espace public où les jeunes se rencontrent sans rien faire de plus. On peut dès-lors se demander pourquoi ils ont quitté l’espace physique du supermarché pour rejoindre l’espace virtuel du web. Les raisons en sont diverses, mais les principales sont l’interdiction parentale de sortir, l’accroissement du nombre d’activités en dehors de l’école et donc de temps disponible et enfin l’absence de voiture. Cependant, il y a des différences notoires entre l’espace public et l’espace web. Dans ce dernier, le contenu est durable, reproductible , traçable, il peut aussi être amplifié ce qui peut conduire à un brouillage entre vie publique et vie privée.

Doit-on en conclure que les jeunes se désintéressent de ce qui relève de la vie privée ? D’après la chercheuse, non. Mais les jeunes rencontrent de nombreuses difficultés à défendre leur espace privé. D’abord parce qu’il est particulièrement compliqué de se retrouver dans les paramètres de confidentialité des sites dans la mesure où ils changent tout le temps. Ensuite parce que le contrôle exercé par les mères devient plus serré. Enfin, elle pose la question de l’idéologie de la transparence mais ce point mérite approfondissement.

Par la suite, Danah Boyd développe son point de vue sur le big data. Elle estime qu’une idéologie sous-tend l’évocation de ce nouvel univers de données. On imagine qu’en collectant beaucoup de données, on comprendra enfin l’humanité et qu’on en résoudra les problèmes. Mais pour l’instant, ce sont les entreprises qui le font et elles le monnayent . A ce sujet, Danah Boyd délaisse le registre du quantitatif pour poser la question en terme de pouvoirs et constate une différence entre l’Europe et les Etats-Unis. Si les Européens craignent l’intrusion des entreprises dans leur vie, les Américains redoutent celle de l’Etat. Mais pour elle, le danger est ailleurs. Quant on parle de liberté, on raisonne à l’échelle de l’individu. Or le changement introduit par le net, c’est la dimension réticulaire. Elle clarifie son propos en citant deux exemples. Celui du génome : quand je diffuse mon génome sur la toile, je le fais à titre individuel certes. Mais j’engage aussi toute ma famille, les enfants que je n’ai pas encore aussi. Quant à Facebook, quand un ami m’annonce l’ouverture de son compte, même si moi je n’en possède pas, je suis déjà quelque part sur le site comme ami (e) de, donc comme celui ou celle qui ressemble à. Danah Boyd estime donc qu’à partir de tous ces éléments, nous nous trouvons dans une situation tendue entre l’évolution du marché, les normes sociales, la loi et l’architecture sociale.

C’est alors dans ce cadre qu’elle définit son positionnement. Beaucoup lui reprochent de travailler pour Microsoft. Mais elle se considère comme une activiste dont la mission est de mettre en relief les complexités, les tensions et les peurs suscitées par un monde nouveau afin de faire de nous un public éclairé capable d’exercer son sens critique.

Pour ce qui me concerne, deux points ont particulièrement attiré mon attention :

  1. ses tentatives pour faire la distinction entre les changements réels liés aux nouvelles technologies et ce que nous en fantasmons
  2. ses interrogations sur les pouvoirs qui émergent de ces technologies et sur notre liberté vraie qui est une question qu’on ne se pose sans doute pas assez aujourd’hui.