Tentative : définir les attentes légitimes envers une plateforme de cours en ligne.

« Les attentes envers l’ENT varient en fonction des pratiques de chaque enseignant ». Cette remarque venant d’un collaborateur de plateforme de cours en ligne est parfaitement audible. Mais tous y gagneraient en posant le problème d’une autre manière. A savoir : quelles sont les attentes pédagogiques légitimes que l’on peut adresser à ce type de support ?

D’abord, il y a la question de la confidentialité. Est-elle nécessaire en pédagogie ? Si oui, dans quelle mesure et jusqu’à quel point ? Dans le modèle basique d’Openclassroom par exemple, tout est ouvert après inscription rapide sur la plateforme. La confidentialité n’apparaît que dans la version premium. En usage scolaire, tout doit-il être secret ? Il me semble que non, même pour une question de droits d’auteur. Quand je fais travailler mes élèves sur des bandes annonces de film diffusées sur Youtube et qu’à partir de ce support, nous constituons une fiche de vocabulaire, il n’y a rien de mystérieux à cela. Par contre, les productions d’élèves annotées ne doivent pas nécessairement être publiées et visibles de tous.

Vient ensuite la question du stockage. Fondamentalement, il n’y a pas de cours sans ressources. Sauf que les enseignants ne prennent conscience du problème que quand ils sont confrontés… aux limites de l’espace qui leur est dédié. Là une réflexion doit être menée conjointement entre les fournisseurs de services informatiques, les enseignants, mais aussi les institutions pédagogiques.

Un troisième élément pédagogique fondamental, c’est la notion de progression. Ce n’est pas parce que je viens de m’inscrire sur un cours en ligne pour apprendre à coder que je vais savoir aussitôt créer l’exerciseur dont je rêve en tant que professeure de langue en matière de son. Tout cours comporte donc une progression. Dans ce domaine, le numérique ouvre des possibles mais suscite aussi des attentes. Autrefois (mais ça, c’était avant), seul l’enseignant concepteur du cours décidait à quel moment déclencher une nouvelle étape d’apprentissage. Aujourd’hui, avec certaines plateformes, mais pas toutes, l’aboutissement du travail de l’apprenant permet de lancer le niveau suivant. Le numérique ouvre donc la possibilité d’un travail d’apprentissage autonome grâce à l’automatisation des étapes de progression.

Autre point fondamental. Les élèves ont besoin d’un cours clair. Deux conditions à cela. La première est une condition pédagogique. L’enseignant qui conçoit le cours doit savoir ce qu’il veut faire, où il veut aller et par quel chemin il entend passer. La seconde est une condition technique : la plateforme doit aller dans le sens de cette clarté pédagogique. Qu’est-ce qui doit, prioritairement, apparaître dans l’arborescence de fichiers que constitue un cours sur plateforme ? La tâche que doit effectuer l’élève (cours, exercice, devoir…) ou la nature du fichier déposé (page, remarque, fichier, lien, image ou autre) ? De cette exigence de clarté découlent deux points à travailler. Le premier concerne la formation des enseignants. Pour l’instant, elle est obnubilée par la manipulation des fonctionnalités. Elle doit absolument inclure la réflexion sur la structuration des cours et la prise en compte de l’expérience de l’élève. Ce champ ne relève pas entièrement des compétences de fournisseurs de plateforme. L’autre point à travailler concerne le dialogue entre le champ pédagogique et le champ informatique. Les enseignants ne sont pas des développeurs. Les développeurs ne sont pas des enseignants. Une plateforme amène les deux à travailler ensemble. Sachant que les donneurs d’ordre sont institutionnels, il y a là un cercle vertueux à créer. Les autorités éducatives ont pour tâche de définir avec pragmatisme et sens des réalités les principes d’enseignement qui permettent aux apprenants de devenir efficaces dans leurs apprentissages. Elles doivent donc apprendre, pour les concepteurs de plateformes, à rédiger des cahiers des charges structurés qui dégagent des priorités et des champs de force. Pour ce faire, elles peuvent s’appuyer sur des recherches en éducation sérieusement menées. Ou bien rechercher les forces vraiment vives qui ne demandent qu’à sourdre dans les salles de professeurs.

Il y a un point que je n’ai pas encore abordé car il me paraît difficile. Il touche le travail collaboratif. A mon sens, les contours en sont encore flous pour deux raisons. La première, c’est le manque de définition pédagogique de ce qu’on entend par là. Relire l’article de ce blog intitulé « Distinguer l’apprentissage collaboratif de l’apprentissage participatif »  vous permettra de voir où je veux en venir. L’autre raison, c’est que les usages collaboratifs liés au numérique sont loin d’être fixés chez les usagers au quotidien. Pourquoi les élèves créent-ils des pages sur Facebook pour travailler ensemble ? Pourquoi continuent-ils d’en créer même si les plateformes de cours proposent des forums, des wikis et des blogs ? Parce que ces outils-là ne correspondent sans doute pas à ce qu’ils veulent faire. Par ailleurs, nos jeunes à qui on dit qu’il ferait mieux d’aller voir leurs copains / copines plutôt que de rester devant l’ordinateur, justement jouent sur des jeux en ligne avec leurs ami(e)s de collège ou de lycée. Ils discutent ensemble via Skype et passent de très bons moments. Je ne dis pas qu’il faut concevoir de tels dispositifs sur des plateformes de cours en ligne. Ce que je veux dire, c’est que les outils numériques ayant pour objectif de mettre en place des pratiques collaboratives de nature pédagogique me paraissent difficiles à développer informatiquement dans la mesure où on ne voit pas comment les penser et les scénariser.

J’ai sans doute omis des points que certains jugeront fondamentaux. Cependant, j’ai tenté de sortir de ma petite crèmerie personnelle, de mes manies, de mes lubies et de mes caprices individualistes d’enseignante. Puissé-je avoir donné envie à d’autres d’aller au-delà de leurs pratiques personnelles pour chercher ce qui permet à tous d’apprendre au mieux de ses possibilités et peut-être aussi avec le plaisir de la modernité.