(option « de lycée pro »)
Ça fait quelques mois que je me retrouve sur l’épineux marché du célibat, et je me rends de plus en plus compte qu’être un valeureux enseignant n’aide vraiment pas à trouver l’âme sœur. De ce fait, entre deux chroniques pédagogiques de ma vie trépidante de professeur, je vous présente quelques éléments de réponses qui expliquent ma vie trépidante… de prof seul et abandonné.
POURQUOI ?
- Car un prof ne rentre jamais seul le soir : il revient souvent, fourbu, avec des kilos de copies à corriger. Et, même si en lycée pro les dissertations ne sont pas légion vous aurez toujours à surmonter la difficile épreuve du « chéri, tu sais ce que j’ai préparé pour nous…. » (flûtes de champagne, bain moussant, Love actually dans le lecteur DVD avec fraises Tagada) en ayant pour réponse lui, balbutiant qu’il risque de passer la soirée avec Voltaire et sa clique de philosophes des Lumières. Moins Glamour.
Vous devrez donc siroter votre nectar comme une alcoolique en l’entendant jurer après Khalil qui ne sait toujours pas que ce siècle n’est pas appelé ainsi en fonction de la naissance de l’électricité.
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- Car vous allez vous retrouver à table avec votre tendre amant, mais également la petite Maeva qui est arrivée dans la classe en crachant voluptueusement sur le sol (« ben quoi Monsieur j’allais pas garder la Ranouna ?) ; Mike qui démarre sa troisième Terminale et qui se demande toujours quelle matière vous enseignez et Cyndie, le prof de COM ORGA dont vous êtes certain qu’elle dit de vous que vous n’assurez pas en classe. Vous finirez sans doute le dessert à le consoler une fois de plus, en lui disant de laisser les problèmes au boulot ; et là, entre deux hoquets larmoyants au tiramisu, il vous dira qu’il est fatigué et qu’il doit aller dormir (alors qu’on est en Septembre. Et qu’il est 20h00).
Non un prof ne se couche pas tôt.
Il commence à réfléchir à ses séquences du lendemain de bonne heure.
- Car vous allez subir les regards libidineux des uns, envieux des autres lorsque vous l’accompagnerez au bal du lycée, souriant tout de même alors que vous entendez au loin chuchoter : « C’est la meuf du prof ça ? Elle est tarpin moche t’as vu sa figure d’angoisse, elle doit s’habiller chez Lidll la meskina. » Sans oublier votre crise de jalousie lorsque vous mettrez enfin un visage sur Jasmine, sa chouchou de terminale. 18 ans et elle semble plus femme que vous. Putain de génération Z.
- Car durant les deux mois d’été vous vous lèverez seule pour aller travailler alors que lui restera sur le dos, le sourire béat après une soirée arrosée (la cinquième de la semaine et on est mercredi) ; soirée passée avec ses copains du bahut qui, avec leur private joke sur le lycée, vous font sentir comme Wilson dans seul au monde : « allez tu lui as pas raconté la fois où la photocopieuse a avalé ton devoir, vas y raconte lui c’est éééééééééénorme !!!
- Car il est possible qu’à force de côtoyer des adolescents en plein apprentissage, il en prenne les codes vestimentaires et linguistiques : « hé meuf tu sais pas où j’ai rangé mes TN suis en train de tarpin serrer là tu crois j’suis une victime à chercher comme un fatigué tu vois pas ce soir suis léwé complet ?? »
- Car vous ne pourrez plus regarder un film ou un reportage qui a trait de près ou de loin à l’Education Nationale sans l’entendre soupirer et maugréer dans son coin de l’ineptie de ces mises en scène fallacieuses. Soirée qui finira selon la période de l’année par le jet de la télécommande vers l’écran plasma ou un départ anticipé vers la chambre sous une chanson de Kaaris, les pectoraux en moins.
- Car quand vous allez vous disputer, il risque de vous regarder fixement, avant de vous lancer une phrase comme « mais peux-tu reformuler plus clairement ton argument ? » ou bien pire encore « tu dis ça mais tu n’insultes pas l’Homme, mais la fonction… » . Phrase qui finira sans doute par un départ chez vos parents, départ qu’il refusera tout net avant de les avoir eu préalablement au téléphone pour vérification.
- Car il aura tendance à penser que son métier est le plus difficile du monde tout en vous apostrophant sur sa semaine chargée de 22 heures, et quand vous lui parlerez de votre semaine de 35h, il balayera votre argument en disant qu’il bosse le double en préparation de séances, soit 50 heures au moins (il n’est pas prof de maths ! Il a aussi tendance à l’exagération !)
- Car pour finir, sa tendance à l’évaluation est pénible ; que vous soufflerez à son « tu peux mieux faire en t’appliquant davantage » pour des pennes arrabiata ; son sempiternel « des lacunes dans la littérature française » lors d’une partie de Trivial Poursuit jusqu’ à l’ultime « des efforts, mais n’arrive pas à décoller » lors de vos ébats amoureux.
Voilà donc quelques raisons qui pourraient vous faire choisir un autre corps de métier, malgré notre bonne humeur, notre vivacité et notre inventivité quotidienne. Reste les relations consanguines entre enseignants mais qui pourraient faire l’objet d’une autre étude tant les problèmes ne sont pas moindres, mais souvent exponentiels.
Sur ce je vous laisse, on m’attend sur Tinder.
Une chronique de Frédéric Lapraz