Selon Maupassant ( Au soleil, 1884), « le voyage est une espèce de porte par où l’on sort de la réalité connue pour pénétrer dans une réalité inexplorée qui semble un rêve ». Il est évident qu’il ne parlait pas alors des voyages scolaires, sans quoi il n’aurait pas parlé de rêve. Ni de cauchemar bien sûr, mais tout du moins d’un songe bien agité ! Quant à la « réalité inexplorée », c’est en explorateur frileux que l’on s’y engage…

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Après tant d’années d’enseignement entre 4 murs, mes propres enfants presque autonomes, j’accepte enfin l’expérience et je pars en voyage scolaire : 1 semaine en Allemagne avec des élèves de 16-17 ans. J’ai eu la chance de n’être qu’accompagnatrice. Ma collègue s’est chargée de tout l’administratif et cela lui a coûté des heures nombreuses et épuisantes, non rémunérées bien sûr. Les élèves étaient en échange dans des familles : je pensais que cela serait moins fatigant… Quelle erreur !

Au moment de quitter les parents sur le quai de la gare, quelques-uns, dans un élan de sympathie, nous ont souhaité « bonnes vacances » ! D’autres au retour, dans le même élan, nous demandent « vous vous êtes bien reposés ? ». Qu’imaginent-ils donc ?!!! Car loin d’un retour de vacances, je suis revenue épuisée, malade évidemment : on lutte stoïquement, bravant courageusement le froid de février pour faire face à nos obligations, mais à peine le dernier élève rendu à ses parents et disparu de notre regard, le prof rend les armes et s’écroule, terrassé par les microbes que ses élèves ont amenés avec eux…

Pendant le séjour, on ne compte pas nos heures… Impossible, on est de garde tout le temps ! Même dans les instants où les jeunes gens sont chez leur correspondant, nous on travaille avec l’établissement et les enseignants partenaires, on gère les problèmes, on fait de la représentation, on vérifie la journée du lendemain… En visite toute la journée (on a prévu un emploi du temps très intense), on passe son temps à compter et recompter les élèves. Dans les transports en commun, on tremble pour n’oublier personne lors de la montée, lors de la descente, et on recompte ! Dans le magasin de souvenirs, on a les yeux qui partent de tous les côtés.

Et parlons des quartiers libres ! Avec des ados, ils se sentent déjà tellement surveillés que ne pas en faire serait leur faire offense. Alors on organise des rallyes : en groupe de 4, avec une carte, dans un lieu connu. Un centre piétonnier et surtout commerçant (sinon, cela perd à leur yeux tout intérêt) est l’idéal. Et pendant ce temps-là, ils nous imaginent riant de bon cœur au café ! Hélas non : en fait, on sillonne le même espace qu’eux pour les surveiller mais surtout  sans trop se montrer : on se prendrait facilement pour l’agent 007…

Pendant qu’ils sont avec nous, on les accompagne à la pharmacie (n’oubliez pas, ils ont amené leurs microbes !), on écoute leurs doléances, leurs plaintes. On les rassure : « ça va s’arranger,  nous allons faire quelque-chose ». Parfois effectivement, il faut vraiment régler des problèmes avec leur famille d’accueil. Mais la plupart du temps heureusement, ils sont contents et alors vivent leur bonhomme de chemin comme les ados qu’ils sont, sans se préoccuper de nous. On a alors alors l’impression d’être inutiles… Inutiles, certes, mais toujours là sur le pied de guerre, heure après heure…Et quand on se rappelle à leur bon souvenir : « non tu ne mets pas les pieds sur les sièges du train, tu ne fumes pas ici, non tu ne vas pas acheter de l’alcool… », ils sont presque surpris qu’ici on remplace leurs parents…

C’est comme si ils ne savaient plus vraiment qui nous sommes : plus des profs, on ne leur enseigne plus rien, ce sont les guides lors des visites qui remplissent ce rôle ; pas des parents , ils savent bien qu’ils ont toujours les leurs… qui parfois d’ailleurs nous téléphonent, inquiets (« tout va bien, je n’ai pas de nouvelle de mon rejeton » !). Alors qui sommes-nous ? Des Gentils Organisateurs ?

Ceci dit, nous aussi, nous les regardons sous un jour nouveau : nous les coucounons, nous les disputons au besoin, mais ce ne sont pas nos enfants. Nous les observons, nous les guidons, mais nous ne faisons aucun cours : ce ne sont plus vraiment nos élèves! En fait, ce sont surtout des ados que nous regardons vivre sous nos yeux, rire de blagues, jouer à des jeux, chanter des chansons que nous pensions réservées à nos enfants, pourtant plus petits. Jouant aussi les adultes-débutants puisque l’absence de regard parental leur permet l’expression d’une certaine indépendance, nouant des amours parfois improbables… Bref, des jeunes avec qui nous avons des discussions nouvelles, quelquefois surprenantes, teintées de respect sans autorité, de proximité sans intimité… Une découverte !

Et quand on revient dans les murs de notre lycée, rien n’est plus comme avant. Leur regard, notre regard a changé et les sourires que l’on s’adresse sont beaucoup plus sincères.

La « réalité inexplorée » dont parlait Maupassant est devenue réalité connue !

Une chronique de Rachelle

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