Si la salle des profs était une histoire, elle serait un chapitre dans le livre à la mode Divergent de Veronica Roth. Entrons dans cet univers clos et particulier où les enseignants se répartissent selon  la faction à laquelle ils appartiennent.

salle des profs

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D’abord, lisons le panneau qui indique que les élèves sont personæ non grata dans ce sacro-saint lieu ! Selon les établissements, on peut lire sur la porte  « Défense d’entrer », « Passez votre chemin » ou « Attention pièges » à l’instar de ce panneau vu en Irlande:

Moutons et chiens ne font pas bon ménage.

Parfois, un courageux, un brave, frappe à la porte pendant la récré. Selon les gens présents, le moment de l’année, ça peut bien ou mal se passer.

L’impudent, qui pose son pied sans dire bonjour, passe la tête pour voir M. Bidule, et continue à le chercher des yeux insolemment alors que vous venez de lui indiquer qu’il n’était pas là, en profite du coup pour vous coller dans les mains son DM vieux de 15 jours,  va comprendre sa solitude.

Vous vous enquérez au passage de l’état dudit DM et de la présence de tâches peu ragoutantes. Réponse déroutante de l’élève « Ah ça? C’est mon chat… »

Il arrive souvent que ledit DM disparaisse, aspiré, volatilisé, pulvérisé dans le vortex de nos casiers. « Mais j’vous jure je l’ai donné à la prof d’Italien qui l’a mis dans vot’ casier… »

Entrer dans la salle des profs, c’est franchir la ligne rouge, pénétrer dans notre sas de sécurité, notre donjon, notre moment de tranquillité, notre oasis de 15 minutes sans élèves top chronos (sauf si on compte la deuxième sonnerie signal que certains d’entre nous attendent avant de se lever des canapés « woooh, y a pas le feu au lac, urgence dans le couloir, péril en le lycée »).

Une fois, agacée d’entendre des coups répétés, j’ouvris la porte violemment et me retrouvai face à une jeune-fille qui me criait le nom d’un prof que je ne connaissais pas.

Je lui répondis rudement et me rendis soudain compte au regard de mes collègues que quelque chose clochait. J’avais devant moi une jeune élève autiste qui repartit sans avoir trouvé son professeur en répétant « surmenage »

Toujours réfléchir, tourner sa langue, rester calme…

Alors étudions notre salle des profs.

Comment savoir qui est qui ? On a commencé à se poser la question le jour de la pré-rentrée, début septembre, arborant fièrement notre bronzage pas trop passé, jaugeant goguenards, les nouveaux qui doivent se lever et se présenter. On essaie de les classer, de les faire entrer dans des cases pour savoir entre autres avec qui on va manger à la cantine.

Ça ressemble à la cérémonie du choix, les groupes se forment…

La catégorie la plus fastoche.

Regarde dans ta salle des profs et cherche celui qui lit, imperturbable, son pavé de 500 pages sur la décoration japonaise zen ou encore cet essai velu de Bernard Lahire, Ceci n’est pas qu’un tableau. Bien entendu, il n’a pas de Télé chez lui, il feint d’ignorer l’existence même de la chaîne TF1 ou il se signe à sa seule mention en mode vade retro Satanas, il écoute France Inter ou mieux France Culture et il ne connaît d’abonnement que celle de la carte du Furet.

Il est  intarissable sur les derniers prix littéraires, suggère des listes de lecture pour bronzer mais intello, et refuse toute liseuse, iPad et autres livres électroniques. Son regard, vague, voyage vers d’autres rivages. Un bon plan comme pote de cantine quand même, ça vous change de la conversation sur les dernières vacances.

Le pur parmi les purs. Celui qui pense à toi avant lui. Qui te prête ses DVD, ses livres du maître, qui t’accueille, te conseille quand tu viens d’arriver dans l’établissement. Qui te prend dans tes bras la première fois qu’il te voit (si si) et qui te dit bienvenue !

Qui te propose un coup de main quand tu as des élèves difficiles, laisse la porte de sa salle contiguë ouverte au cas où, te fait rire quand ta journée a été difficile. Celui qui reste ton ami en dehors des cours et que tu invites pour dîner chez toi en famille le Week-End. Souvent c’est un TZR (un remplaçant) qui sait ce que c’est d’être le nouveau dans la salle des profs. Lui aussi, il porte des vêtements passe-partout et a toujours de la monnaie pour un café à la machine qui distribue un liquide vaguement chaud et sans goût pour 40 petits centimes. Pas cher, mais pas bon.

Les bobio, dont je fais partie, ont un jardin potager, plantent des patidous, partagent leurs trucs pour que les tomates soient rouges (un morceau de sucre dans l’eau d’arrosage) les patates sans mildiou, « la Bouillie Bordelaise ma p’tite dame, »  vont le dimanche sur le marché de Wazemmes pour profiter des circuits courts (parce que les MIN de Lomme c’est moins loin que Rungis), connaissent le magasin  Le compagnon des saisons et préfèrent la variété de fraises remontantes la Mara des bois, la Queen des fraise, à la gariguette. Ils font aussi pousser des aromates sur le balcon, font sécher des graines de courgettes et n’aiment pas les supermarchés.

Dans la rue, tu les reconnais: ils moulinent sur leur Vlille, car le déplacement, faut pas rigoler c’est empreinte Carbone zéro; quoiqu’avec la fumée, l’ évaporation de la sueur  qu’on génère à force de pédaler dans le vide, on se demande si on réchauffe pas la planète quand même: 3 vitesses seulement c’est pas sérieux.

Du coup on a aussi la fameuse carte PassPass, sésame du prof_bio sans redéposition OGM.

Les kings chez les profs.

Les premiers sur la ligne des manifestants; ils se battent contre la Matrix de l’éducation nationale qui change notre métier à coup de Bulletins Officiels,ils  ont des brassards, ils connaissent par cœur la procédure pour demander sa mutation dans le sud, le nombre d’heures dans chaque matière, car depuis peu, on met toutes les heures dans un pot commun et on les répartit selon leur « importance ».

(Spéciale dédicace à un collègue de Maths qui me dit que lui il enseigne « du contenu » à l’inverse de ce que je fais en Anglais.)

Les Sans Peur vous accompagnent chez le proviseur quand vous faites votre entretien d’évaluation annuel et que ça barde.

Ce sont eux qui prennent la parole pendant le CA et qui posent les questions qui fâchent, qui chantent et inventent des chansons du genre « Fillon, si tu savais, ta réforme, ta réforme… » Personnalisable pour chaque nouveau ministre de l’éducation bien sûr.

Sur le papier, ça a l’air pas mal le Sincère. C’est celui qui dit ce qu’il pense.

« Oh mais t’as l’air fatiguée » quand vous vous sentez super bien. Ou de retour de congé maternité « Dis donc t’as mis en route le suivant ? »…

« Oui mais en Anglais, vous faites beaucoup de BD non ? C’est plus facile ? »

« Vous trouvez que ça sent le hareng fumé ici ?» (date de ce matin 🙂

« Non mais toi t’as l’habitude des élèves difficiles, t’as qu’à la prendre la TSTMG »

C’est ceux que vous fuyez en fait, ceux qui vous bousillent la journée à coup de phrases innocentes.

Ceux qui ne rentrent dans aucune catégorie et qui vous surprennent. Ceux qui ne ressemblent à personne et qui plaisent aux élèves. Portent des Doc Martens et des vêtements de marque aiment les célébrités, la culture et partager un café. Ceux qui nous rappellent que nos différences ont parfois du mal à cohabiter dans ce métier où l’on se sent souvent seul même entourés de collègues et d’élèves.

Certains pensent que nous c’est « Faction before blood » et que le corporatisme est plus fort que tout ; mais dans la salle des profs comme dans la vie, on rencontre de belles personnes et on en évite d’autres.

Il ne faut pas se voiler la face, chacun d’entre nous passe d’une faction à l’autre, mais sans prévenir… Il faut reconnaître les signes…

Le pire serait, quoiqu’il arrive, de se retrouver vraiment seul, sans tribu (factionless).

Une chronique d’Amélie Silvert

 

 

 

 

 

4 réponses

  1. Bonjour Madame Silvert,

    C’est Corentin, d’il y a quelques années. Je n’ai pas été très surpris de voir votre nom s’afficher en bas de cette chronique. J’ai beaucoup rit.
    Mais je suis venu vous dire que je ne peux que vous remercier pour vos cours qui se voulaient novateurs et auxquels je n’ai malheureusement offert qu’un respect très minime. Je crois que c’est seulement cette année que j’ai compris qu’un prof n’est pas un ennemi… Je regrette de n’en avoir pas plus profité, meme si mon anglais s’est amélioré depuis. Je vous présente mes excuses sincères.

    1. Bonjour Corentin,
      quelle belle surprise!
      J’espère que vous allez bien.
      Les cours avec vous avaient le goût de l’imprévu mais je ne crois pas que vous ayiez été si odieux.
      Vous aviez juste besoin d’attention.
      Je suis contente d’avoir de vos nouvelles; c’est amusant qu’un article nous rapproche.
      Votre Anglais n’était d’ailleurs pas si mal à l’époque.
      Je vous souhaite beaucoup de succès en tous cas et vous remercie pour ce clin d’oeil.
      Vous souvez où me trouver, je n’ai pas bougé 🙂

    1. Bonjour Laurent,

      Nous avons en effet fait une mise à jour, avec les soubressauts qui viennent avec ! Tout est rentré dans l’ordre !

      Vincent

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