J’ai 37 ans, je suis un vieil instituteur grincheux et réactionnaire. La mairie propose d’équiper les classes de cycle 3 de tablettes tactiles. Il y en aurait une pour deux élèves. Je ne sais pas trop quoi en penser. Un sondage effectué au sein de l’équipe enseignante a révélé que l’ensemble de mes collègues sont favorables à cette modernisation des outils d’apprentissage.

Je suis le seul sceptique. Parce que je suis assez réactionnaire et parce que j’aime bien faire l’intéressant, j’ai voté contre. On m’a montré du doigt avec tendresse mais enfin je me suis senti tout seul.

tablettes

Je vous en parle aujourd’hui, j’aimerais comprendre.

Je ne suis pas hostile à la tablette ni à aucun outil de communication moderne. Nous en avons une à la maison, je m’en sers peu mais reconnaît son utilité pour chercher une adresse, une recette, communiquer et, pour les enfants, jouer (avec modération). La tablette tactile est entrée dans la plupart des foyers modernes et c’est très bien.

Toutefois l’école n’est pas la maison, c’est ce que nous nous efforçons de faire comprendre à nos jeunes élèves. J’enseigne en ZEP qui je crois que ça s’appelle maintenant REP. Malgré le pouvoir d’achat très modeste de la plupart des familles d’élèves, beaucoup d’entre eux ont accès à des tablettes et à Internet chez eux. Je ne suis pas convaincu que la mise en place d’un parc de tablettes dans nos classes ait une plus-value quelconque en matière d’éducation. En effet, je crois que le livre est en danger et que l’école est un de ses derniers sanctuaires. A mes élèves parfois agités, je lis des histoires et je prête des livres. Je les encourage à prendre un abonnement à la médiathèque. Nous lisons et écrivons le plus possible.

Le niveau de lecture de la plupart de mes élèves me préoccupe et je sais que l’école n’y est pour rien : si les petits élèves de mon école lisent dans l’ensemble mal et souvent sans comprendre, ce n’est pas qu’on leur a mal appris, c’est qu’ils n’en ont pas l’utilité car, au risque de passer pour le vieux con de la bande, ce qui m’indiffère du reste, la curiosité et le sens critique qu’éveille la lecture est annihilée par l’immédiateté et l’aliénation des écrans. Mon argumentaire ne s’appuie sur aucune donnée scientifique : c’est un simple constat clinique et quotidien. Je suis enseignant à l’école élémentaire et j’affirme que l’utilisation excessive et déviante des outils technologiques au détriment de la lecture déforme l’intelligence de beaucoup d’enfants et tire par ailleurs doucement le poil qu’ils ont dans la main.

Alors on me vend des cartes de géographie qu’on colorie par une pression des doigts, cela ferait gagner du temps. On veut me séduire avec des exercices de grammaire enfin ludiques, on essaie de me convaincre avec des livres électroniques. Je réponds que colorier une carte au crayon de couleur est une pratique d’apprentissage qui a toujours fait ses preuves et qu’adulent 99,99 % des élèves. Je rétorque que les exercices de grammaire n’ont pas vocation à être ludique, pas plus que l’école en général. Je maintiens enfin que les livres dans les bacs ou la BCD au fond de la classe constituent la meilleure des récompenses pour les élèves qui ont fini leur travail avant les autres.

J’ai 37 ans, je suis un vieil instituteur grincheux et réactionnaire. Il n’empêche : mes élèves adorent que je leur lise des histoires.

Une chronique de Papalion

11 réponses

  1. Sans doute connaissez-vous l’historiette drôle qui circule sur la toile mais dont j’ignore l’auteur :

    « Un grand père a enfin acheté une tablette informatique et se débrouille déjà avec sa messagerie. Justement, il vient de recevoir un courriel de Nathan, son petit-fils de douze ans :
    —  Bonjour Pépé, J’espère que tu vas bien, c’est top qu’on puisse échanger par messagerie maintenant ! Je n’aurai plus besoin de venir chez toi pour avoir de tes nouvelles ! Pour mon argent de poche, si tu veux, tu peux le virer sur mon compte « jeune » (Le numéro suit). Facile non ? Tim qui t’aime »
    Pépé répond :
    —  Cher Nathan, Tout va bien. Je ne sais pas utiliser le Web bancaire, mais avec mon imprimante tout-en-un connectée, je t’envoie la copie d’un billet de cinquante euros. Le Pépé virtuel. »

  2. Cher Lucien,
    Comme je l’affirmais dans mon PREMIER commentaire, je préfère le grand écran à la tablette. Et même si je lis depuis plus d’un an des romans sur liseuse, il m’a fallu un effort d’adaptation, que je ne regrette pas.
    Je concède volontiers par ailleurs que rechercher des occurrences ou de mener des analyses statistiques sur un texte, fût-il complexe, ce n’est pas en faire l’étude littéraire, que l’étude esthétique et psychologique d’un texte suppose une conscience humaine, que là est précisément l’intérêt de la littérature.
    Ce n’est pas parce qu’on utilise une torche à piles quand l’électricité du secteur tombe en panne ou qu’elle fait simplement défaut, que l’on s’y cantonne…
    Quant au processus mental et moteur de l’écriture, je pourrais retourner votre argument, à savoir que les zones cérébrales sont différemment sollicitées selon un travail manuscrit ou sur clavier. Mais il s’agit d’équiper le CYCLE 3, donc il ne s’agit pas d’apprendre à lire sur écran ni à écrire au clavier. Là, je serais réticent, et nous serions d’accord.

  3. M. Backeljau,

    je ne cherche pas à vous convaincre, et je sais que je défends une cause désespérée. A la limite je vous envie de pouvoir lire un roman ou analyser un texte complexe sur un écran : mes organes sensoriels ne suivent pas ni mon pauvre cerveau avec tous ces liens hyper texte …
    . Tout ce que je sais c’est que de nombreuses études scientifiques montrent que l’écriture sur le clavier et l’écriture manuscrite ne sollicitent pas les mêmes zones cérébrales, qu’on retient beaucoup moins bien, chez les adultes comme chez les enfants, ce qu’on a écrit au clavier. Ce que je déplore, c’est le manque de cette belle vertu qu’on appelait jadis la prudence, surtout quand il s’agit de l’éducation des enfants .

  4. Bonjour Lucien,
    Non, Lucien, c’est moi qui ai parlé de discernement, reconnaissant en être peu doté adolescent.
    Quant aux tablettes, l’écriture passe par elles aussi. Contrairement à la télévision, qui était en effet image (même quand y apparaissait du texte, comme pour les sous-titres, par exemple), l’ordinateur a redonné au texte, et même à l’hypertexte, une place de choix.
    Quant à l’accumulation d’informations ni vérifiées, ni triées, ni mises en perspective par un travail personnel, du chef de l’élève, c’était déjà le cas sous l’ère de la photocopie quand l’enseignant n’y prenait garde.
    Disons-le tout net : on n’achète pas la formation. Le papa qui offre une tablette au fiston ou à la fillette ne lui garantit nullement l’acquisition du savoir ni de l’art de penser, pas plus que l’achat d’un roman ne garantissait sa lecture, ni d’ailleurs sa compréhension…
    Notre société en effet n’ouvre pas les yeux des jeunes sur cette problématique. La notion de mérite n’est plus très en vogue, tablette ou non. Et l’enseignant est souvent bien seul quand il s’agit de mener les élèves un peu plus loin en sortant de la classe qu’ils n’y sont entrés.

  5. Bonjour M. Backeleljau,

    j’ai parlé de discernement : il y a des techniques qui libèrent: l’invention del’écriture pour fixer et objectiver sa pensée fait partie de celle-là, et des techniques qui asservissent, notamment les enfants, qui s’imaginent savoir alors qu’ils n’ont fait qu’accumuler des informations plus ou moins vérifiées .
    L’une de mes inquiétudes, c’est que les écrans favorisent les images; le problème c’est que saisir des rapports, cela passe par la lecture des textes, donc par une technique plus archaïque et, accessoirement, beaucoup moins couteuse.

  6. Élisabeth Marguerite cite Rousseau dans son commentaire (commentaire copié-collé par Lucien).
    Si l’on suit le raisonnement de Rousseau, le porte-plume, le crayon noir, le bâton de bois brûlé avec lequel les premiers dessins furent tracés, ces outils-là corrompent déjà les ressources humaines. Or, si l’on accepte la plume d’oie pour écrire, mettons le parchemin pour se relire, pourquoi refuser le stencil, la photocopieuse et la tablette ?
    Certes l’on comprend aussi l’idée, la « civilisation » corrompt, trop de facilité amollit, partant : la consommation en tant que finalité avilit.
    L’éducation ne suppose pas l’effort pour la souffrance induite. Mais l’effort quand il est le fait de la volonté de celui qui y consent (et non de celui qui contraint) est une force dont il sera détenteur.

  7. «Le corps de l’homme sauvage étant le seul instrument qu’il connaisse, il l’emploie à divers usages, dont, par défaut d’exercice, les nôtres sont incapables ; et c’est notre industrie qui nous ôte la force et l’agilité, que la nécessité l’oblige d’acquérir. S’il avait eu une hache, son poignet romprait-il de si fortes branches ? S’il avait eu une fronde, lancerait-il de la main une pierre avec tant de raideur ? S’il avait eu une échelle, grimperait-il si légèrement sur un arbre ? S’il avait eu un cheval, serait-il si vite à la course ? Laissez à l’homme civilisé le temps de rassembler toutes ces machines autour de lui ; on ne peut douter qu’il ne surmonte facilement l’homme sauvage. Mais, si vous voulez voir un combat plus inégal encore, mettez les nus et désarmés vis-à-vis l’un de l’autre ; et vous reconnaîtrez bientôt quel est l’avantage d’avoir sans cesse toutes ses forces à sa disposition, d’être toujours prêt à tout évènement, et de se porter, pour ainsi dire, toujours tout entier avec soi.»
    J.-J. Rousseau

    Cher collègue,

    Rousseau est accusé de tous les maux mais en matière de reflexion critique sur le prétendu progrès , il reste bien utile : un équipement qui nous dispense de cultiver nos aptitudes naturelles, l’habileté acquise par le soin du corps et de l’esprit constitue -t-il un moyen d’émancipation ou de servitude ?
    « S’il avait eu un ordinateur serait-il capable de… »
    il ne faut pas
    être systématiquement technophobe, mais avant d’utiliser, d’acheter une « machine » et de la consommer, je me demande toujours si cela permet de déléguer des tâches objectivement ennuyeuses ou si cela externalise à ce point mes capacités cognitives que cela m’en dépossède . Ce n’est pas toujours facile, mais je sais bien pourquoi les ingénieurs du GAFA (qui ont d û lire Rousseau ) mettent leurs enfants dans des écoles déconnectées .
    Je passe aussi pour une réactionnaire, moi je prèfère dire résistante : être libre c’est plus souvent dire « non » que « oui » .
    Courage !

  8. Comme le montre le commentaire de Jacques, l’important n’est pas la théorie mais la pratique, je dirais la réalité. Il ne faut pas que l’élève fasse « semblant de » mais qu’il agisse vraiment. Encore que mimer la scène, c’est commencer à la jouer…
    Moi aussi, je suis passionné par l’imprimerie. Et je le dois à mon instituteur de mes premières années, Monsieur Adriaensens, qui publiait avec ses élèves un journal d’école : composteurs, casse à caractères, rouleau encreur, presse, etc. Les lignes du texte étaient numérotées et chacun avait pour mission d’en encoder une. Je me souviens que l’effet miroir des lettres à introduire dans le composteur m’avait perturbé quelque temps !
    C’est cela l’important : l’élève doit avoir une mission et un outil. Je ne dirais pas une tâche, une besogne, une charge. Non : une mission. Et il faut le suivre dans sa réalisation, par encouragements, conseils, mises en garde…
    Quand l’élève colorie la carte, il le fait finalement à bon escient, même s’il joue un moment. Pour la tablette, ce devrait être pareil. Le prof ira boire un café seulement après la classe.

  9. On suppose la tablette connectée à la toile. Au tarif des fournisseurs d’accès, disposer de ce trésor en classe est un cadeau en soi… Certes, à la disposition des élèves, le bidule est une fameuse publicité : ceux qui n’auraient pas accès à ce « service » à domicile solliciteront sans doute leurs parents ou trouveront d’autres méthodes pour l’obtenir.
    Quant à la tablette connectée, en soi, je la comparerais à une grande-surface. On peut y perdre beaucoup de temps à se balader entre les rayons et ne pas remplir le panier avec le meilleur choix. Mais c’est un peu comme feuilleter un dictionnaire : tous les mots ne sont pas éducatifs. Enfant déjà, je lisais les bandes dessinées assis au pied d’un rayon de l’espace aménagé en librairie au lieu d’étudier mes leçons chez moi, on voit des ados y lire Nothomb ou Bakounine plutôt que de s’imposer la séance de natation optionnelle (si ! si !).
    Dans la classe, l’offre en matière de livres est sélectionnée, un peu comme dans une librairie de manuels scolaires.
    Je me souviens cependant de mon adolescence. Un exposé oral, un travail de recherche en histoire ou en science ou même en littérature (il ne suffit pas de parler, il faut savoir) était une affaire pour qui ne disposait pas d’une documentation familiale encyclopédique. Il fallait aller en bibliothèque, dans le créneau horaire, qu’il y eût une photocopieuse (aux tarifs exorbitants à l’époque : 1960/70) et que la file y fût raisonnable ! Bref, l’accès au savoir n’était pas élémentaire et le résultat pour le moins fragmentaire et peu critique, par manque de discernement mais aussi par manque de repères.
    La tablette, de ce point de vue, est un progrès. La question est d’en exploiter toutes les ressources. Comme colorier une carte jadis, rechercher une information, comparer des informations, prendre note de leurs sources, est une occupation, et elle ouvre l’esprit.
    Je préfère sans doute un grand écran, un clavier et une imprimante. Mais je n’ai jamais autant écrit à la main que depuis que j’utilise un ordi, et surtout depuis qu’il est branché sur la toile. Et, au bout du compte, je me focalise sur un objet que j’approfondis bien plus que je ne me disperse sans trouver un nouveau sujet à approfondir.
    Un livre sert parfois de cale sous la table bancale ou de contrepoint à un vieux bibelot sur l’étagère, la tablette n’échappe pas à ces contre-emplois. Mais ni le livre ni la tablette ne se réduisent à ces contre-emplois.

  10. Bonjour Vincent,

    Je suis un jeune instituteur de 71 ans, ( à la retraite ) pas grincheux et pas trop réactionnaire et je suis entièrement d’accord avec votre article.
    Je ne fais pas partie de la génération informatique.
    Je galère avec mon ordinateur. Mais je reconnais qu’écrire tous les jours sur mon clavier me simplifie la vie.
    Mon ordinateur me souligne en rouge les erreurs d’étourderie et comme je suis paresseux et que je n’aime pas me relire, je reconnais que je fais des progrès en orthograffe.
    Par principe, je n’aime pas les « machins » qui fonctionnent avec des piles ou des batteries.
    Je refuse le téléphone portable , qui pour moi est une « diablerie » inutile et dangereuse pour la santé

    Mes jeunes collègues me parlent de T.B.I ou Tableau Blanc Interactif. Ils se régalent, c’est formidable.
    Avec ça, tous tes élèves deviendront premier ministre…. ( comme dans la pub )
    Je suis un vieux con et je suis très, très sceptique.
    Pendant 39 ans, mon outil principal a été le tableau noir et le bâton de craie.
    Et je m’en suis bien sorti. Un peu de poussière de craie, mais bon, c’est moins dangereux que la cigarette.

    Souvent, je projetais des diapositives que je réalisais.
    Mes élèves adoraient.
    Mais ce qui les passionnait c’était les séances de « travail manuel »
    J’ai essayé de leur apprendre à fabriquer du papier recyclé. Et à l’époque, on ne parlait pas encore de recyclage, énergie renouvelable et de réchauffement climatique.
    J’ai fait découvrir à mes chers bambins la passion de la gravure grâce à la linogravure . Et comme le pratiquait Célestin Freinet( qui pour moi a été un visionnaire génial ) nous pratiquions les échanges avec nos correspondants.
    Au début de ma longue carrière, la photocopieuse n’existait pas et je dupliquais mes document avec une machine à alcool.
    La photocopieuse est apparue et là, ça a été une frénésie. Une débauche de ramettes.
    J’ai beaucoup utilisé cet outil pour fournir à mes élèves des dessins à colorier.

    Ah ! le coloriage avec les crayons de couleurs.
    Je passe pour un réactionnaire ou un vieux con ringard ( ce qui est un pléonasme ) quand je fais l’apologie du crayon de couleur et des coloriages. Et pourtant, observer un élève agité qui colorie un mandala et qui se calme en s’appliquant et qui est fier de me montrer son travail et qui reprend confiance en lui….
    Quelle machine électronique, quelle tablette numérique pourrait me donner une telle joie?

    Quand je regarde, à la télé, les reportages sur l’Afrique et les pays en voie de développement, j’ai honte.

    Pays civilisés, sociétés fondées non pas sur la consommation, ce qui est normal, mais sur le gaspillage.
    Quand le cendrier de ma voiture est plein, je change de voiture…

    J’ai honte et je pleure quand je vais à la déchetterie et que je vois ce que les gens jettent.

    Papier recyclé, linogravure, poterie, émaillage sur cuivre et sur biscuit, pochoirs, pyrogravure, jeux à fabriquer en bois, petite menuiserie, inventer et construire des instruments de musique verte, pliages, origami, fabriquer des marionnettes et jouer avec, théâtre…

    Faire travailler la main avec le cerveau.
    Moins de théorie, plus de pratique.
    Moins de gadgets avec des piles qui se détraquent, tombent en panne et qui ne se réparent plus ( ça revient moins cher d’acheter du neuf )

    Vincent, tu es un vieil instituteur réactionnaire qui ne bêle pas avec l’ensemble du troupeau et pour moi, tu as cent mille fois raison. Résiste et défends tes convictions. Tu n’es pas dans la norme . Tant mieux. Tant que tu peux tenir, continue.
    Seul contre tous les autres, ce n’est pas évident, c’est fatigant mais en étant persuadé que tu suis le bon cap et en sachant que d’autres pensent comme toi et t’encouragent et te soutiennent moralement, je te dis:
    Accroche toi et continue à m’apporter du BONHEUR dans tes chroniques.

    Un fidèle lecteur.

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