En faisant passer pour la 7è année consécutive l’oral d’Histoire des arts à nos Troisièmes, il m’est venu à l’esprit que cette épreuve obligatoire du Brevet condensait bien des aspects du projet de réforme. Et comme on déteste, dans l’Education Nationale, évaluer et faire un bilan des initiatives lancées à grand renfort d’injonctions, que l’on préfère supprimer ou laisser tomber sans tambour ni trompette pour re-réformer en donnant le sentiment qu’on ré-invente à chaque fois, eh bien je me dis que pour une fois, on pourrait faire l’inverse.

Venus

Histoire des Arts, saison#7 VS Réforme 2016, saison#0

Très modestement, et à la hauteur de mon expérience et de ma réflexion, je vous propose un bilan partiel de cet enseignement arrivé à l’âge de raison (l’Histoire des arts fut portée sur les fonts baptismaux de l’Education en 2009).

A l’aune de ce qu’est l’enseignement d’Histoire des Arts, peut-on mesurer la pertinence des EPI (Enseignement Pratiques Interdisciplinaires), de l’autonomie des établissements en matière pédagogique, du renforcement des pratiques numériques, des pédagogies du projet centrées sur les besoins des élèves, ces piliers de l’école de demain si j’en crois le projet de réforme ?

L’Histoire des Arts, une sorte d’EPI :

L’enseignement de l’HiDA, qui n’est pas une discipline en soi, est forcément transdisciplinaire. Pour préparer cette épreuve, les enseignants  définissent ensemble les thèmes retenus, se répartissent le travail, communiquent entre eux sur le travail mené avec chaque classe – comme pour les EPI, dont « le cadre d’organisation sera souple, préparé en conseil pédagogique et voté au conseil d’administration : choix des thèmes par niveau, durée, groupe-classe ou groupes inter-classes, etc. »*
En faisant des liens, en plaçant l’œuvre dans son contexte, en apprenant le langage spécifique pour analyser une œuvre d’art, en préparant un exposé qu’il peut choisir de mener seul ou à deux ou trois, le collégien qui prépare son oral d’HiDA fait déjà ce qu’il fera à travers les EPI : « une réalisation concrète, individuelle et/ou collective, pour conduire les élèves à mieux comprendre et maîtriser les savoirs ».

Autonomie des établissements et liberté pédagogique :

Si les thèmes sont imposés, les formes pédagogiques que prend l’enseignement de l’HiDA, et son organisation, sont laissées à l’appréciation des établissements. Quant à l’évaluation « le jury peut s’appuyer sur la grille nationale des critères d’évaluation proposée en annexe de la circulaire »: « peut », mais n’y est pas obligé : chaque établissement bricole sa grille. On est déjà dans l’autonomie des établissements.

Un parcours personnel adapté :

L’HiDA s’inscrit dans le Parcours Culturel de l’élève, que tous les collèges sont censés mettre en place à la rentrée prochaine. L’école pallie donc les inégalités d’accès à la culture en donnant à tous le même enseignement, en s’appuyant sur les ressources locales.

Des enseignants sont nommés « référents » pour chaque classe de Troisième : du temps en plus, pour du travail par petits groupes et pour un suivi individuel des élèves : cela ressemble aux APE promises, et fait écho à « l’interactivité avec les élèves » que la réforme devrait renforcer.

Développer les pratiques numériques

Enfin, l’HiDA est l’occasion de développer les pratiques numériques : côté enseignants – qui disposent d’innombrables ressources en ligne pour aborder des œuvres, et côté élèves – incités à nourrir leur exposé d’une présentation numérique, ne serait-ce que pour donner à voir ou entendre les œuvres.

*

Bref. Si donc, on admet l’hypothèse que cet OVNI (Objectif Volontariste, Novateur et Injonctif) qui débarqua dans nos programmes en 2009 était l’avant-garde (éclairée) de l’école de demain **, nous pouvons peut-être tirer quelques conclusions de nos six ans de cohabitation et les méditer pour éclairer notre réflexion sur l’école de demain, donc.

Enseignement interdisciplinaire ? Oui, assurément. Occasion de travail en commun avec les collègues, de projet croisé, de renvois et de liens entre nos disciplines. Mais sans temps supplémentaire prévu pour ce travail. Des réunions après les cours, des échanges de mails, des ajustements entre deux portes. Au bon vouloir, donc, des équipes, avec l’inévitable blocage de collègues qui se voient imposer cette préparation, les arbitrages pas toujours aisés, le ras-le-bol des collègues des disciplines artistiques qui ont le sentiment de tout porter seuls, et la nécessité d’aider les jeunes collègues totalement néophytes en la matière.

Autonomie des établissements ? Oui, aussi. Qui a ce corolaire, dont personne ne parle : si le chef d’établissement n’est pas convaincu, n’impulse pas, n’aide pas les équipes à comprendre les attendus lorsque l’OVNI arrive, l’établissement patauge, tâtonne, et les élèves sont des cobayes. Autre corolaire : la grille d’évaluation et l’organisation pédagogique étant laissées à l’appréciation des établissements, pas sûr que tous les collégiens de France soient vraiment évalués de la même manière. Dans mon établissement, il y eut des parents pour s’offusquer de ce que nous demandions à leurs enfants de préparer cinq œuvres quand, dans le collège d’à côté, les élèves savent sur quelle œuvre ils seront interrogés bien avant le jour de l’examen.

Interactivité et APE ? Dans la pratique, les heures d’HiDA sont dispensées sur les heures de cours. Et cela « prend » beaucoup sur les programmes. Dans notre collège nous avons pu dégager une heure quinzaine par classe, attribuée au référent HiDA. Mais faute d’emplois du temps compatibles, l’heure a parfois été redistribuée en demi heure hebdomadaire, casée après 4 heures de cours : le temps que les élèves arrivent, l’estomac dans les talons, il ne reste que quelques quinze ou vingt minutes : il n’est pas possible d’accompagner individuellement, ni de leur apporter la rigueur et la méthodologie nécessaires à l’avancée d’un projet. L’accompagnement des élèves se fait en réalité en dehors des heures de cours, via la plateforme Edmodo par exemple, au bon vouloir des enseignants et des élèves…

Un parcours personnalisé et personnalisable, dans le respect des besoins spécifiques de chaque élève, pour atteindre un socle commun. De quel socle commun parlons-nous ? Les textes disent que « l’évaluation porte sur les capacités, appuyées sur les connaissances qui y sont liées, à situer les œuvres dans le temps et l’espace, à identifier les formes, les techniques de production, les significations, les usages …, à discerner entre les critères subjectifs et objectifs de l’analyse, à effectuer des rapprochements entre des œuvres à partir de critères précis. » Difficile de raccrocher cela à des items précis du socle, mais on pourrait résumer ainsi : avoir des connaissances culturelles, porter sur elles un regard critique et personnel, en montrant une vision d’ensemble d’histoire de l’art. Bon. Dans la pratique, cette année encore des élèves répètent (après un réel effort pour l’apprendre) le cours fait par leur enseignant sur l’œuvre qu’il avait choisie. Certains n’ont rien préparé et se contentent de lire un digest de leçon ou de Wikipedia, mais se révèlent incapables de dire deux mots lorsqu’on leur demande de poser leur feuille. Et quelques uns, oui, se sont emparés de cette épreuve avec enthousiasme, montrent qu’ils ont compris, assimilé, et qu’ils voient le lien avec d’autres savoirs acquis en classe ou personnellement.

Et pourtant, ils ont bien eu droit au même enseignement. Aux mêmes médiathèques locales Aux mêmes musées locaux. A la même disponibilité de leurs enseignants. Aux mêmes entraînements en amont. Parfaite égalité.

Pratique du numérique ? Les élèves sont incités à soutenir leur exposé par un support numérique. La passation de l’épreuve requiert donc des ordinateurs dans chaque salle de jury, connectés à internet. Ce qui n’est pas le cas dans nombre d’établissements. Il faut aussi prévoir que chaque élève essaie sa clé usb la veille de l’épreuve. Nombreux sont pourtant ceux qui découvrent au moment de l’oral que leur PPT n’est pas enregistré dans un format compatible avec l’ordinateur de la salle d’examen. Nombreux sont ceux qui n’ont pas enregistré la musique, l’extrait de film ou encore le tableau au programme. La pratique du numérique par les élèves, cela s’apprend et contrairement à ce que j’entends et lis encore ici ou là (voir commentaires sur la dernière chronique de Papa Lion), les collégiens ne sont pas cette digital génération formidablement et instinctivement douée pour le numérique. Non, il faut le leur apprendre. Sur quelles heures d’enseignement ?

Et quant au fameux power point qu’ils ont parfois passé des heures à préparer, il est le plus souvent totalement inutile : plein de texte que les élèves se contentent de lire, ou bardé de photos. Créer un support numérique à un exposé oral, il faut aussi le leur apprendre. Et si j’en juge par les critiques étayées du PPT lues dans le PJDP***, il conviendrait certainement de former nos élèves à d’autres formats que celui-là.

Suffit-il donc de trans-disciplinarité, de pédagogies innovantes, d’autonomie des élèves dans un cadre bienveillant d’aide personnalisée, d’une pédagogie du projet et d’usage du numérique pour que chacun arrive au bout du projet, à une égale maîtrise de compétences et de connaissances ? Non. Comment faudrait-il faire pour qu’ils y arrivent ? J’ai bien quelques idées…

Une chronique de Juliette Villeminot

http://lewebpedagogique.com/salle112/

___________________________________

* Les citations en italiques proviennent des textes règlementaires, publiés au BO et/ou reprises sur Eduscol pour l’Histoire des Arts, et du projet de réforme publié et développé sur http://www.education.gouv.fr/cid86831/college-mieux-apprendre-pour-mieux-reussir.html

** L’ironie de ce parallèle étant que cet OVNI fut le dada d’un Président de la République qui l’imposa avec force, et conspue aujourd’hui la dite réforme. Toute chose étant égale par ailleurs…

*** La critique du PPT sur le PJDP :

6 réponses

  1. Merci pour cette analyse.
    Petite vision du côté des parents. Trois HDA de passés et quel soulagement tellement ça nous empoisonne. Je me demande comment peuvent y arriver les enfants qui le préparent en totale autonomie. Ici, à la maison, on discute des sujets ensemble, on essaie d’en trouver d’intéressants. D’accord, il y a ceux laissés sur le site du collège, mais enfin La Statue de la Liberté, Les Ménines, Supermarket Lady…. on a vite fait le tour.
    Rien que pour le contexte historique d’un nouveau sujet, c’est compliqué. Banksy avec le mur de séparation entre Israel et Cisjordanie ou un sujet sur la ségrégation raciale aux USA dans les années 30-40 et beaucoup de travail en perspective (guerre de sécession, civil right act, ségrégation, Etats du sud, Luther King, Rosa Park, Black Panther, KKK). On leur demande beaucoup sur le XXème et ici, HDA déjà passée alors qu’ils n’en sont même pas à la guerre froide. A leur âge et au vu de leur connaissances, faire des liens, mettre en relation avec tels films, auteurs, idées c’est difficile. En même temps, avec le temps, c’est très enrichissant et cela leur donne quelques bases dans des domaines indispensables pour comprendre encore l’actualité d’aujourd’hui.
    Au niveau du collège les pratiques ont changé. On est passé d’un prof référent il y a quelques années, à aucun prof référent mais à une demi journée banalisée dans l’année qui leur permet à tous de passer un « oral blanc » individuel devant un prof. Cela se passe vers Janvier et ils doivent donc déjà avoir préparé deux sujets pour cette date.
    Mais j’avoue que quand cela occupe un temps considérable à la maison, on est un peu « jaloux » des collèges alentours qui ne demandent qu’une oeuvre… Quand au bon usage de l’ordinateur et du power-point ce n’est pas avec certains items utra-pédago de b2i qu’on va avancer!

  2. De toute évidence, on doit être dans le même collège! Même problématique et mêmes difficultés….
    A savoir si nos hiérarchies, ministres et conseils des programmes ont jamais réellement mis les pieds dans un collège…Lorsque je discute avec le syndicat majoritairement en faveur de la réforme et des EPI, on y trouve…. des enseignants de lycée!
    Merci pour cet article éclairant que les membres de ce syndicat devraient lire… Je leur passe le mot !

  3. Voilà un article sensé et productif qui fait réfléchir dans le bon sens pour ramener la réforme à sa juste place. Dans mon établissement, l’HDA n’a pas vraiment donné lieu a un travail interdisciplinaire, on choisi tous les ans les grands thèmes dans la liste officielle proposée et ensuite chaque professeur décide tout seul quel sujet il travaille en lien avec ces grands thèmes, sans être obligé de consulter les autres. Bien sûr on en parle avec quelques collègues, on échange des idées entre profs d’histoire et aussi avec le prof de musique, d’art plastique (souvent), avec d’autres ( parfois). Certains profs ne font rien (on les laisse faire), certains font des séquences qui n’intéressent que leur matière (ex: en maths, les nombres binaires) sans rien d’artistique dedans, certains jouent le jeu en entier (ex : en Histoire 3e on étudie Captain America, on ne parle pas que de la guerre froide mais aussi des comics). Les élèves de 3e comme les autres travaillent seul, gèrent seul leur porte-vue ou cahier HDA, il y a un contrôle du référent (aidé par un autre prof) une fois par trimestre (auto-évaluation + évaluation des profs avec smileys). Les élèves de 3e se préparent tout seuls à l’examen, le prof référent n’a pas d’heure en plus pour encadrer les élèves, les élèves vont au CDI sur leur temps libre/ heure d epermanence pour faire des recherches. Par conséquent je ne me sens pas bien préparée à participer aux EPI car je ne vois pas mon établissement et mes collègues s’adapter à ce fonctionnement qui, en plus, n’a ^pas été expliqué de façon très clair. On va naviguer à vue dans le brouillard.

  4. Je me souviens de nos « élocutions » comme nos professeurs les désignaient souvent. Elles n’étaient pas toujours orientées vers un sujet artistique ou culturel, parfois le sujet était soi-même, sa famille, un violon d’Ingres, une matière scientifique ou technique, un sport…
    Je me souviens des feuilles bristol des plus travailleurs ou des mieux entourés, couvertes de « documents » qui se décollaient et de titres dans une couleur illisible faute de contraste, fixées hasardeusement sur le tableau encore humide ou s’enroulant obstinément autour du bras de l’orateur !
    Quand les intervenants formaient une équipe, il y en avait toujours un pour faire ombre au partenaire montrant le document ou ne pas lui présenter pas celui qu’il attendait, sans compter les concertations « off » – moments hilarants de spontanéité retrouvée !
    Puis vint le règne de la diapositive, l’orateur, réduit en ombre chinoise, donnant des coups de lumière pour jeter un œil sur son texte ou sur le canevas de l’exposé, sous les murmures d’une assistance perdant de vue l’écran zébré par un cache chassant l’autre !
    Et la vague des enregistreurs à bande, suivis des « cassettes », plongeant la vallée de la classe dans les échos se perdant aux coins du plafond, ponctués par les cliquetis de touches encore mécaniques sinon par les excuses, voire les exclamations d’un orateur réduit au rang d’opérateur au bord de la crise nerfs. Parfois, nous écoutions la bande entière sans que n’intervienne l’orateur, qui récoltait notre approbation, faute de celle de l’enseignant.
    Du point de vue du spectateur, en tout cas du mien, les présentations très préparées, dont le texte était parfaitement mémorisé et synchronisé avec le maniement des documents montrés, que le professeur validait, j’en gardais peut-être moins le souvenir du sujet que des celles qui avaient donné lieu à quelque coup de théâtre…
    Mais un texte poétique bien mémorisé et interprété avec conviction forçait notre attention, comme certaines scènes de théâtre bien répétées avec des rôles bien distribués déclenchaient notre enthousiasme.
    Évidemment, celui qui apportait une guitare et vous jouait un morceau de Sor, celui qui terminait devant nous un fuseau commencé à l’Académie de dessin, celui-là nous plongeait dans une perplexité admirative…
    La salle de cours n’est pas un musée, ni un laboratoire, ni un observatoire, ni une usine : la parole y reste le vecteur prégnant de la communication. Parler de l’art, ce n’est pas développer une œuvre artistique mais une œuvre est rhétorique…
    Cependant les médias actuels rendent les documents plus réels, plus réalistes en tout cas, que jadis. La question est d’articuler le discours de l’orateur, son intervention du moins, avec, mettons, les tablettes individuelles recevant un « contenu » ou l’agrandissement d’un écran d’ordinateur à un tableau électronique ou projeté.

    Du point de vue socio-pédagogique et par boutade, voici la problématique de l’exposé en classe, artistique ou non :
    – Recourir à des moyens qu’on aime pour faire aimer un sujet qu’on aime
    – Recourir à des moyens qu’on aime pour faire aimer un sujet qu’on n’aime pas
    – Recourir à des moyens qu’on n’aime pas pour faire aimer un sujet qu’on aime
    – Recourir à des moyens qu’on n’aime pas pour faire aimer un sujet qu’on n’aime pas
    Ajoutons une troisième contrainte : devant un auditoire qui vous aime/qui ne vous aime pas
    … et l’évaluation de ce qu’il se passe devient une foire d’empoigne ou un casse-tête !

Répondre à Delphine Annuler la réponse

buy windows 11 pro test ediyorum