Parce que nous ne sommes pas des machines (ce que je ne cesse de répéter aux élèves, qui, le lendemain d’un contrôle, harcèlent leur professeur de « Madâââme, vous rendez le contrôle ? », « Madâââme, mais on l’aura quand ? »), notre parcours professionnel est parsemé de petits instants (plus ou moins longs) où, tout à coup, l’on ne contrôle plus rien.

Voici un top 10 des « grands moments de solitude » du prof (d’après témoignages, et un peu de vécu aussi).

moment_de_solitude

Je commence par la fin :

N°10 : Le coup de la panne. Assez classique, somme toute. Cela nous arrive à tous : un joli PowerPoint tout prêt pour le cours de 8h, une séance en salle info prévue de longue date, quand tout à coup, c’est le drame ! Le réseau ne fonctionne pas, ou pire, c’est la panne de courant. Alors, on prend son mal en patience (et on a toujours prévu un « plan B » bien sûr), on espère. Et là, dix minutes avant la fin du cours, le courant revient, le réseau est réparé. Dur !

Et j’enchaîne :

N°9 : Le cartable maudit. Il existe bien des variantes de l’oubli du cartable. Il y a celui qu’on laisse nonchalamment en salle des profs (ici le mot « cartable » est interchangeable avec « copies »). Il y a celui qui reste sagement dans l’auto. Enfin, il y a celui qui est tout simplement cloîtré… à la maison. Et quand on s’en aperçoit une fois devant la salle de classe, on se dit que c’est toujours bien de savoir improviser.

N°8 : Le fou rire incontrôlable. Il vous prend comme ça sans prévenir. Moi, c’était pendant une dictée. Sans raison apparente, un mot, le sourire d’un élève… un rien a suffi. Impossible d’arrêter cet accès de rire jusqu’au point final. Une mauvaise nouvelle pour cette première dictée, mais un beau moment de complicité avec mes troisièmes (avec un peu de mal à retrouver une certaine autorité le jour suivant !). Rire est le propre de l’homme !

N°7 : Qui a sonné ? Qu’y a-t-il de plus agaçant qu’un portable qui se met à sonner au beau milieu d’un cours ? La réaction du professeur confronté à cette situation épineuse est toujours calme. Avec une pointe d’agacement, il demande : « QUI est en train de sonner ? » Pas de réponse. « Je répète, À QUI est ce portable qui sonne ? » Silence gêné. « Madame, je crois que c’est le vôtre ! » Effectivement.

N°6 : La salle de classe maudite ou comment se retrouver à la porte de « chez soi ». Elle existe, cette maudite salle, la salle 1.01, celle qui n’a jamais été repeinte, celle dans laquelle on respire la poussière de craie, celle qui résonne telle une église, celle qui est pourvue de vieilles chaises en bois et de bureaux gravés d’inscriptions sataniques (non là je m’emballe). Personne ne veut y enseigner. C’est pourquoi j’avais eu l’honneur, lors de ma première année de T.Z.R., de l’occuper quelques heures par semaine. Un mercredi matin très banal, je monte les escaliers, avec dans mon dos, ma tripotée d’élèves de quatrième. J’arrive devant la salle 1.01, je glisse ma clef dans la serrure et tente de faire faire un tour complet à celle-ci, mais la serrure me résiste. Impossible d’ouvrir cette satanée porte. Dix minutes passent, dix minutes d’une solitude intense, mais rien. Les élèves tentent à leur tour de l’ouvrir mais chacun se heurte à cet obstacle insurmontable. Pourtant, aucun chewing-gum, aucun bout de papier au fond de cette serrure. Ma classe et moi, avons erré alors, comme des fantômes, vers une autre salle davantage accueillante. Une histoire à vous glacer le sang (ça tombe bien, la nouvelle fantastique est au programme de quatrième).

N°5 : Quand la conjugaison prend vie. Oui, c’est possible. Quand un professeur fait conjuguer le verbe SORTIR, il ne pense pas forcément aux conséquences. C’est ainsi que l’on peut se retrouver avec une classe vide après avoir corrigé un exercice visant à conjuguer le verbe SORTIR au présent de l’indicatif : « Et à la deuxième personne du pluriel, cela donne quoi ? VOUS SORTEZ. » Et les élèves de sortir un par un de la salle. Pourquoi moi ? Se dit le professeur.

4 : Je ne suis pas une élève !!! Celui-là me tient à cœur, car il me poursuit depuis le début de ma carrière. C’est un moment de solitude récurrent pour moi : régulièrement on me prend pour une élève. Au début, j’arrivais à le comprendre : 25 ans, 1 m 58, cheveux longs et look « djeuns ». Nous nous étions réunis, Mme La Principale, le médecin scolaire, le C.P.E., les enseignants et moi-même, pour évoquer la scolarité d’une élève et discuter des aménagements qui la concernaient dans le cadre d’un PAI. Au bout d’une dizaine de minutes, le médecin scolaire prend la parole, mais elle me regarde fixement. Un peu gênée, je me dis qu’il n’y a pas que moi, quand même, autour de cette table. C’est alors qu’elle pose une question, son regard plongé dans le mien : « Tu as déjà vu la psychologue scolaire, hein ? » Évidemment, je deviens rouge pivoine, lorsque ma chef, le sourire aux lèvres, l’interpelle : « La personne à qui vous vous adressez est la professeure de français, l’élève est absente aujourd’hui. » Ce n’est pas juste !

N°3 : Je ne suis pas une élève !!! (Tome 2) Quelques temps après, 26 ans, toujours 1 m 58, cheveux plus courts, talons et petit sac à main. Mois de juin, correction du brevet. Je me rends dans un collège de mon académie pour corriger les épreuves de français. Un peu en avance, je me gare sur le parking et décide de trouver seule, sans attendre mes collègues, la salle de réunion avant la correction. J’entre par l’entrée principale, passe devant l’accueil, lorsque j’entends la voix de la concierge qui m’interpelle : « Qu’est-ce que tu veux, jeune fille ? Il n’y a pas cours aujourd’hui, c’est la correction du brevet. » Rouge pivoine à nouveau : « Justement, c’est pour cela que je suis ici ! » La honte internationale !

Et il y a quelques semaines… (29 ans, 1 m 58 encore, cheveux au carré, talons très hauts, petite veste de tailleur et liasse de papier dans les mains), « rebelote » lors d’une démonstration d’évacuation de bus scolaire. Je m’assois au fond du bus, après mes élèves. Un des « animateurs » s’avance vers moi et commence à me dire de mettre ma ceinture pour la simulation, avant de comprendre son erreur, tout seul, et de s’excuser. Il y a du progrès !

N°2 : L’élève planqué. Celui-là est un moment d’anthologie. C’est l’histoire d’un élève qui, tel un « Mac Gyver moderne », est arrivé à :

  1. Entrer dans une salle de classe, qui n’était pas la sienne, au sein d’une classe qui n’était pas la sienne non plus.
  2. Se cacher sous un bureau, sans éveiller le moindre soupçon.
  3. Passer cinquante-cinq minutes planqué (sans un bruit, un rire, un mouvement… pour un élève c’est déjà exceptionnel).

Et enfin, une fois le cours terminé, il s’est levé et a crié SURPRISE à son professeur, mi-déprimé, mi-désabusé devant un parterre d’élèves excités par cette joyeuse farce. Bonne ou mauvaise surprise ?

Et le « NUMBER ONE » : L’appel des premiers jours. Écorcher un nom, un prénom, ce n’est jamais grave ! Et cela arrive à tout le monde. Mais quand l’administration, un peu tête en l’air, oublie le « z » au nom de la petite Mélissa Lopez, en sixième, je vous laisse deviner ce que ça donne pour le prof qui n’a aucune idée de ce drame administratif ! Heureusement les élèves n’ont pas relevé (mais vous oui j’en suis sûre !).

Être prof, c’est ne jamais savoir ce qui nous attend, et ce, chaque jour d’école, de collège ou de lycée !

Un grand merci à mes collègues pour leurs témoignages, une en particulier se reconnaîtra dans cette chronique !

Une chronique de Marine Vendrisse

9 réponses

  1. Stagiaire en 1974, j’ai fait l’appel en classe de première et ai vu arriver le nom CECCON. Je me suis dit, je ne peux pas prononcer ce con, prise d’une inspiration (débile) j’ai donc opté pour c’est con ! Alors l’élève en question m’a apostrophée :  » j’en étais sûre, on dit TCHECCONN ». J’en ai voulu à mon maître de stage qui ne m’avait pas avertie du piège. C’était mon premier cours !!!

  2. Aaaaah, moi j’en ai une de mon père : après quelques heures de réunion parents-profs, au collège, pendant lesquelles il avait consciencieusement raccompagné chaque parent poliment à la porte puis était sorti dans le couloir pour demander à qui le tour, il s’est rendu compte que sa braguette était ouverte…

  3. En 11 : le costume inapproprié. (Le syndrome « Meerdeeu ! Je suis toute nue! »).
    Ma mère dans le couloir se dirigeant vers sa salle de classe se réveille soudain au son de ses pas… : chplotch…Chplotch… Chplotch…
    HORREUR elle a oublié de mettre ses chaussures et aux pieds, ce sont ses bottes de caoutchouc pleines de la boue du potager. Arf. Solitude absolue. En planque derrière son bureau tout l’aprem, interro écrite surprise, élèves au tableau, etc.

    En 12 : l’injonction inappropriée (Intrusion du mari dans la salle de classe, variante : d’un enfant, de la belle mère…)
    A un élève hésitant au tableau : – Alleez ! MANGE ! (« -moi la chatte », souffle inévitablement un élève hilare à son voisin. C’est couru.)

  4. Excellent !

    Mes grands moments de solitude à moi :
    – Dire à un élève « Bon, maintenant, ça suffit, tu sors de cette classe ! » au moment où se déclenche l’alarme incendie.
    – Au cours d’une dictée en 3ème, les élèves me demandent de répéter : »Cette histoire m’a tellement bouleversé l’esprit, a jeté en moi un trouble si profond… tout le monde l’a, profond ? » Fou rire généralisé pendant 10 minutes.
    – Éternuer bruyamment et entendre une petite élève timide au premier rang dire : « Monsieur, vous avez craché sur votre cartable… ».
    – Se faire appeler « madame », « maîtresse » ou « maman » par un élève de sixième quand on est un grand barbu.

  5. Bonjour Marine ( Vendrisse )
    J’ai lu votre chronique avec un grand plaisir. Vous êtes douée pour l’écriture et pour l’humour. Je suis certain que vos élèves doivent se régaler à écouter et à participer à vos cours.
    Quand j’étais élève au lycée mes profs de français m’ont beaucoup marqué ( en bien).
    La littérature française est formidable. Je préfère la poésie, ( les chansons ) ou le théâtre à la prose car cela se mémorise plus facilement. Jacques Prévert est mon chou- chou ( le dessin animé: « Le roi et l’oiseau » est une pure merveille ). Molière frappe les élèves par son actualité. Pas une ride. Les élèves adorent le lire et surtout le jouer. Voltaire, ah Voltaire quel homme !. Rousseau est un âne . Ecrire;  » Emile ou l’éducation » et ne pas s’occuper de ses propres enfants, quel faux cul ! Les surréalistes, passionnant mais pas évident suivant l’âge des élèves.
    Le rap, le slam. Je pense qu’étudier les textes de  » Grand corps malade  » devrait plaire aux élèves.

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    Et alors? C’est quoi le programme?
    A quoi ça sert le programme?
    A pas grand chose.
    C’est un garde-fou pour éviter de faire n’importe quoi.
    Cela rassure les ‘inspecteurs agrégés de… et les parents.
    C’est un corset qui nous, vous empêche de respirer.
    C’est un « machin » inventé par des adultes bedonnants pour se donner bonne conscience.

    <>

    On s’en fout du PROGRAMME.

    Si j’ai envie avec des sixièmes de leur parler de Baudelaire. Pourquoi pas.

    <>

    La pu… de ta mère. La mer Michel…L’amère Picon…

    Les programmes, les protocoles,les carcans, les corsets, les barrières, les interdictions… Mai 68 est trop loin.

    Suivez votre cœur, suivez votre instinct, écoutez vos élèves. Faites vous, faites leur plaisir.
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    Un élève de 6ème, il pense à son avenir?
    Les parents ont peur. Les profs ont peur. Tout le monde a peur.
    Nous sommes continuellement stressés.
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    Que va penser mon collègue quand il recevra, à la rentée mes petits ?

    Dans l’Education Nationale on marche sur la tête.
    On fait l’autruche.
    On ne veut ou on ne peut pas voir les vrais problèmes.
    Tout le monde court après son ombre.
    On confond  » Vitesse  » et  » Précipitation  »

    Marine, vous êtes une jeune prof, passionnée par votre boulot.
    C’est très très bien.
    Ne soyez pas découragée par les copies à lire.
    Gardez votre enthousiasme le plus longtemps possible.
    Et surtout, surtout essayez de communiquer votre JOIE à vos élèves. Ils en ont besoin.
    Ils penseront à vous longtemps, longtemps, longtemps….( que les poètes ont disparu…)

    Je vous souhaite plein de bonnes choses pour vous et vos élèves.
    Qu’un arc en ciel de mille couleurs illumine votre ciel.
    Continuez à nous charmer avec vos chroniques.

    jacques san.

    1. Bonjour Jacques,
      Un grand merci pour vos encouragements et votre critique enjouée. C’est mon principal objectif effectivement de travailler ensemble dans la joie et la bonne humeur… et l’humanité, c’est pourquoi je souligne souvent cette humanité dans mes chroniques.
      J’affectionne également la chanson et mes 3e aiment généralement le chapitre sur la chanson engagée (Vian est mon préféré).
      Je sais que vous êtes un lecteur assidu du PJP et je vous remercie de la chaleur avec laquelle vous exercez votre bienveillance avec nous tous apprentis chroniqueurs (ou chroniqueurs chevronnés, mais tel n’est pas mon cas 😉 A très bientôt pour une autre chronique!

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