Lorsqu’on interroge de jeunes enseignants, candidats à une longue carrière de prof, sur leurs motivations, le « pourquoi » de leur choix, on s’aperçoit rapidement que la transmission est au cœur de la vocation. A priori, « être prof », c’est transmettre, savoir, savoir-faire, mais aussi un savoir-être, dit-on.

Être prof, c’est être « acteur », dit-on.

Mais être élève, c’est aussi jouer la comédie.

Par la suite, avec la pratique du terrain, on s’aperçoit vite que ce qui est au cœur du métier de prof, c’est l’humain. Le collège, l’école, le lycée, sont des lieux de vie, une seconde famille pour nos élèves (qui passent leurs journées, mangent, voire dorment à l’école). Certains sont même plus heureux à l’école qu’à la maison, quoiqu’ils en disent.

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Avec l’expérience, ce qui me plait dans le métier, c’est l’humain, disais-je. Et au fil des années, je me rends compte que la relation que j’entretiens avec mes élèves est aussi importante (voire plus) que ce que je leur enseigne (en terme de contenu). L’écoute, l’absence de jugement, la médiation (enfant-famille / élève-élève) est, pour moi, aussi indispensable que l’apprentissage rédactionnel de la phrase complexe (oui, c’est clair, l’exemple est mal choisi). Ne pas fermer les yeux devant la détresse d’une élève qui vous avoue que ses parents « n’ont plus de sous », ne pas être insensible alors qu’un élève vous fait part de son angoisse permanente, même si cette souffrance se manifeste par la violence, le refus, la persistance dans l’échec.

Notre mission, la plus importante, est celle d’accompagner l’enfant, l’adolescent, dans son ascension (n’est-il pas un élève que l’on doit « élever »). Être la personne (parmi d’autres, bien sûr, avec chance) qui ne le rejettera pas, quoi qu’il fasse.

Les années défilent et lentement, je laisse tomber le masque. Et c’est alors que je m’aperçois qu’ils le laissent choir également. Une proximité, une confiance s’installe, sans familiarité, avec respect.

Nous partageons des moments heureux : nous « fêtons » les anniversaires, nous nous souhaitons la « bonne année », nous félicitons les progrès, récompensons les attitudes positives. Il nous arrive même de nous faire des « surprises », des « blagues » et de rire les uns avec les autres, et non les uns des autres. Parfois, nous évoquons brièvement nos vies, pour faire des parallèles avec les textes que nous lisons, pour rassurer aussi.

Nous sommes aussi spectateurs de leurs peines : constatons les absences « pour cause de décès » ou de maladie ; acteurs aussi lorsque nous séchons des larmes nécessaires alors que leurs « parents sont en train de divorcer. » Sans oublier les conflits entre élèves, qui peuvent avoir un réel impact sur la tenue d’un cours, et pour lesquels un choix s’impose : être médiateur ou différer pour mieux travailler.

Et enfin, vient la nostalgie, quand, après le DNB, ils partent « vivre leur vie », et qu’on les revoit à la sortie du collège, quelques temps après. Avec presque l’affection d’une mère, pour certains.

Si je souligne aujourd’hui l’humanité au centre de notre mission, c’est que j’ai une pensée particulière pour un ami qui, étant adolescent, portait à merveille ce masque de « perturbateur », et qui n’a pas trouvé, à l’époque, l’oreille attentive qui aurait fait « tomber le masque ». Aucun fatalisme pour autant, puisqu’il s’est construit et, aujourd’hui, est un écrivain en devenir.

Mais lorsque je me trouve devant un élève « difficile » (le multi-récidiviste des heures de retenue, renvois et autres), alors je me dis, « c’est lui », et cela m’aide à comprendre ce que je pourrais trouver « derrière le masque ».

Une chronique de Marine

9 réponses

  1. Très touchant votre article, sensible et vrai.
    Vous pensez comme ça après 3 ans de travail, moi après 30 ans. J’enseigne le FLE dans un établissement scolaire de Roumanie( avec des classes de primaire et de collège) et jamais je ne suis restée la prof de français seulement). J’ai partagé mon expérience avec des milliers d’elèves et pas une seule fois après des années, adultes, mes anciens élèves viennent me remercier.Ou ils arrivent avec leurs propres enfants les inscrire dans les classes ou j’enseigne le français.On ne connais jamais la dimension de l’influence que l’on peut avoir sur le destin d’un élève.  » Un professeur influence une éternité; on ne peut pas dire ou finit son influence »(HENRY ADAMS) C’est pourquoi ce métier n’est pas comme les autres et notre responsabilité est immense.
    Merci pour ce témoignage simple et sincère.

    1. Merci à vous pour votre lecture et cette si jolie citation. Lorsqu’on est prof on imagine semer quelques graines dans les esprits de nos élèves sans savoir pour autant ce qu’ils récolteront… Sauf lorsqu’ils reviennent.

  2. Marine Vendrisse a-t-elle trouvé le regard attentif d’un éditeur ? L’histoire tronquée de l’ami perturbateur devenu écrivain donne envie. Saurons-nous jamais comment l’ami a survécu à son mal-être et à l’indifférence de ses enseignants ? Qui l’a sauvé ? Les français veulent savoir ! Les francophones veulent savoir.

    1. Mon ami est en train d’achever son oeuvre, dans laquelle il raconte sa propre histoire. Histoire que j’ai lue et qui m’a bouleversée (évidemment je manque d’objectivité). Manque le point final (et quelques chapitres). Vous le saurez lorsque cette histoire poignante, parfois difficile, trouvera une fin et un éditeur oui!
      Alors AVIS aux éventuels éditeurs!!!

  3. Bonjour Marine,

    Je suis T1 cette année. Et en lisant votre texte, je me suis dit « exactement, je fais ce travail pour voir grandir les enfants, pour les aider à se développer sereinement et à se respecter les uns les autres » Si les enfants ne se sentent pas entourés et accompagnés, il n’y a pas d’instruction. Et pourtant, cette année est très complexe quant à la prise de conscience des conditions dans lesquelles je dois poursuivre cet idéal; car avec 31 élèves et l’année prochaine probablement 35, je me retrouve dans l’incapacité de mettre en oeuvre ce qui me semble être l’essence même de notre métier: aimer et accompagner chaque élève dans son évolution.

    1. Coralie,
      Cet idéal que tu évoques est très imparfait, et c’est sans doute aussi cela qui fait son charme. On ne peut pas, vraiment pas, porter de l’attention, voire accompagner TOUS nos élèves, c’est sûr, surtout lorsqu’on a des classes aussi « abondantes ». Mais ce que je voulais souligner, c’est que parfois, l’écoute, une oreille attentive suffit. Partager des moments, individuels ou collectifs, c’est ce qui importe pour moi. Certains jours, certaines heures, certains élèves, sont propices à cette proximité, mais parfois aussi, le « courant » ne passe pas. Nous sommes humains. Le principal est d’être convaincu de faire de son mieux, avec ses moyens, et son coeur.

  4. Bonne Année Marine!

    J’ai été ému par votre texte.
    On ne devient pas prof ou infirmière par hasard.
    L’humanité devrait être au centre de nos occupations;
    Tomber le masque, lâcher prise…
    Ce que nous apprenons à nos élèves ne sert pas à grand chose. Le plus important, c’est comment nous sommes avec eux. Je joue, nous jouons une pièce de théâtre. Suis-je un bon ou un mauvais acteur.
    Je joue avec mes tripes ou je suis un mauvais cabotin?
    Les élèves le savent dès le premier jour.
    On ne peut pas tricher avec eux.
    Quand je pense à certains profs que j’ai eus, je me dis:
    <>
    Certains profs craquent. C’est normal. Sacré boulot.
    Si tu n’es pas passionné, tu meurs…

    jacques san.

    1. Bonne année également Jacques. C’est bien vrai, il ne sert à rien de tricher avec nos élèves, ils sont encore plus observateurs que nous!

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