Les portes… Nous en avons franchi beaucoup et certaines nous ont plus marqués que d’autres. Vous souvenez-vous par exemple de la première que vous avez passée pour vous immerger pour des années dans le système « Éducation nationale » (si longtemps que vous y êtes encore) : le premier jour d’école en maternelle ? Pour certains ce fut peut-être difficile si l’on en juge les larmes des parents qui coulent encore régulièrement début septembre.

Les portes

Ce qui était jusque-là empirique est maintenant bien compris : les émotions influencent puissamment notre capacité à mémoriser, c’est une histoire d’amygdales (dans le cerveau pas au fond de la gorge ceux-là : ils sont impliqués dans les émotions)… Mais là n’est pas l’objet de ma chronique.

Pour ma part, cette entrée dans ce nouveau monde a dû se dérouler sans heurt car je dois bien avouer que je n’en ai aucun souvenir.

Par contre, parmi ces portes qui resteront à jamais dans ma mémoire, il y a celle du principal de mon premier poste : quelques minutes d’attente dans l’angoisse de découvrir mon premier collège, au milieu d’un couloir sans âme. Des minutes pendant lesquelles j’allais rencontrer d’autres jeunes profs qui devinrent des amis.

Puis, lors de la visite de ce même établissement, ce fut la porte de la salle des profs entrouverte qui laissait apparaitre les murs noircis… par un coktail molotov. Vision apocalyptique soulignée par un sobre « elle va être refaite » du chef d’établissement.

Enfin, pour en finir avec mes émotions d’ancien combattant, je me remémore encore, un an plus tôt, ce premier contact de stagiaire avec mes premiers élèves (des premières, justement) devant la porte de la salle, où, bien rangés, ils s’apprêtaient à rentrer quand j’entendis le surveillant m’interpeller : « Et toi, va te ranger avec les autres ». Moi qui avais fait l’effort de mettre une chemise et un pantalon pour faire plus âgé.

Oui vraiment, ces portes revêtent une importance fondamentale dans nos vies : lorsqu’elles s’ouvrent elles nous permettent de passer dans un autre monde… plein de nouvelles promesses… Mais quand elles se ferment alors il reste, pour nous, comme un sentiment d’échec.

La porte en elle-même devient ainsi un instrument pédagogique.

Pour ma part, depuis que je suis devenu enseignant, j’ai acquis, parmi toutes ses fonctions que nous confère l’autorité, le titre de Cerbère : « c’est moi le gardien de la porte !!! ».

Plus souriant cependant (enfin j’espère) que mon homologue, c’est là que j’accueille souvent mes élèves répondant à leurs salutations par un regard pour chacun, assorti d’un « bonjour bienveillant » (enfin j’espère aussi). C’est l’entrée de mon royaume et s’ils sont agités ou dissipés, ils ne franchissent pas la porte sans être revenus au calme.

Quand on frappe, c’est moi qui autorise l’entrée, quand on veut sortir, c’est à moi qu’on le demande et à la fin du cours, c’est moi qui ouvre MA porte.

Note pour moi-même : penser à créer un terme pour le fétichisme des portes (portophilie? : bof… Apertophilie ? : Un peu de latin et le grec ça fait plus classe)

On peut faire cours « porte ouverte » (d’ailleurs chez-nous c’est« porte ouverte » le 12 mars, alors si vous passez dans le coin n’hésitez pas, je serai en 507), ou bien « porte fermée » (si on craint les courants d’air) mais finalement c’est notre porte, la frontière de notre domaine. Et difficile d’imaginer un état sans frontière. Pour ma part, même si la porte de ma salle est toute verte, je préfère quand elle est fermée, « chacun voit midi à sa porte» après tout.

Lorsque les élèves nuisent à la quiétude du royaume, il peut arriver parfois, qu’ils soient « mis à la porte». Alors si un jour tel est votre cas, attention à ne pas se trouver en« porte à faux » et à bien choisir vos mots sous peine de voir un élève plein d’aplomb, dégonder la porte et partir avec sous le bras « vous m’avez dit de prendre la porte ».

Mais notre métier ce n’est pas « garder jalousement la porte », c’est aussi conduire nos élèves jusqu’aux portes qu’ils n’auraient pu atteindre et une fois devant, ne pas les laisser devant une porte close, mais leur donner les clefs pour franchir, par leurs propres moyens, le seuil de chacune.

 

Une chronique de Damien Thomas (serrurier dans l’âme)

3 réponses

  1. Émue. J’ai moi aussi poussé les portes de mon école de quand j étais petite pour y enseigner pendant 8 ans. En maternelle puis en élémentaire et même un an de direction ( on m a un peu poussée ). J ai vu grandir beaucoup d’enfants dont les deux miens. J ai œuvré avec toute l équipe pour le respect et la FRATERNITE ( nom de l ecole ). Depuis septembre j’ai un congé formation qui m’a permis d’aller toquer aux portes de l université ( pour la première fois). J espère que cette formation de FLE m’ouvrira des portes. Optimiste.

  2. La porte qui m’a le plus marquée…

    J’enseigne le FLE en France, dans un institut privé pour les adultes depuis plusieurs années. Je viens de Roumanie, où j’ai commencé à étudier le français quand j’avais 12 ans, en deuxième langue. C’est ma prof de français de l’époque qui m’a ouvert cette porte : je suis là où je suis, je fais ce que je fais et chaque matin j’ai une pensée pour elle. Mamade Nadia.

    Je finissais mes études, j’allais être prof de français à mon tour, ma première professeeur avait changé d’école, on s’étaient perdues de vue. J’enseignais à des classes de CE2 et au collège, dans un même établissement, septembre, octobre… Fin octobre, on m’appelle au secrétariat, l’inspecteur des langues en personne voulait me voir! Celle-là, de porte, a été difficile à pousser. J’étais si jeune…
    Il m’a dit que j’allais changer d’école. Qu’il leur manque un prof dans un lycée et que ce sera mon poste à partir de novembre… dans deux ou trois jours. Que l’actuelle professeur était en congé maladie et que j’allais la remplacer. Que s’était elle-même qui me demandait et qu’elle s’appelait Nadia.

    Toutes ces années elle m’avait suivie, elle savait où j’étais et qui j’étais en train de devenir.
    Alors j’ai accepté, bien sûr et promis d’appeler le soir au numéro qu’il m’avait donné.

    Elle était mourante. Elle avait 40 ans et allait être emportée par un cancer. Je ne le savais pas.
    Nous sommes restées trois heures au téléphone. Elle m’a parlé de chacune de ses classes, de chaque élève, des élèves difficiles, des plus timides et des leaders, des rigolos de la classe, qui ne doit pas rester assis de qui, elle parlait, je notais… Où se trouvent les manuels et les livres de la petite bibliothèque de français, qui a la clé du placard à CD et où sont les craies de couleur, qui a emprunté quel livre, je savais tout! Ne pas oublier d’arroser les plantes une fois par semaine et leur demander de ramasser les papiers et de les mettre à la poubelle avant de sortir. Et les craies de couleur! À utiliser sans modération!

    J’allais prendre sa place.

    Pousser cette porte-là, je ne pouvais pas. Ils allaient me manger toute crue, j’avais 25 ans, j’etais inexpérimentée, c’était un lycée technique, les garçons étaient deux fois plus grands que moi. Et surtout, j’allais prendre sa place. Je n’allais pas être à la hauteur. J’étais angoissée et je devais prendre sa place.

    Et le premier novembre de cette année-là j’ai poussé la porte de la salle de français et… je me suis retrouvée dans la classe de mes 12 ans ! Mêmes cartes de la France sur le murs, même Declaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, mêmes pots de fleurs aux fenêtres, mêmes montages de cartes postales et d’images de Paris, de Lyon ou de Carcassonne, les Pyrénées et la mer de France, je les connaissais toutes ! J’étais à la maison. Il y avait là, sur le mur, parmi d’autres, une carte que je lui avait écrite pour un Noël, mon premier Noël « en français », un Joyeux Noël et Bonne année avec l’ecriture de mes 12 ans. Elle avait gardé tout ça ?!?

    Et mes futurs élèves qui étaient les siens ont ouvert la porte et en entrant ont trouvé une jeune prof en larmes qui a commencé à leur raconter cette histoire. Je leur ai parlé de Madame Nadia, celle que j’avais connue, j’ai dit ses petites blagues qui nous faisaient rire en classe, les chansons qu’elle nous avaient apprises, la chorale en français de l’école – sa fierté – et tant et tant de souvenirs… et ils m’ont accueillie, acceptée, aidée car ils ont compris combien c’était difficile pour moi de prendre sa place. Tout s’est bien passée, je l’ai appelée le soir pour lui dire que tout s’était bien passé, elle m’a répondu qu’elle n’avait pas douté une seconde.

    Je ne l’ai plus jamais revue, sauf une fois : deux semaines plus tard, je lui apportais quelques chrysanthèmes, elle était partie.

    J’ouvre la porte de ma salle de bain tous les matins et tous les matins je la vois dans le miroir, je la vois en moi et je ne la remercierai jamais assez pour ce qu’elle m’a donné.

    1. Et bien en effet, quelle porte!
      Je dirais même une « Sacrée » porte … Car c’est l’histoire magnifique d’une « vocation », d’une « initiation » et enfin d’une « transmission » de ce métier quasiment reçu en héritage.
      Oui, c’est une histoire très émouvante.
      Souhaitons au plus grand nombre d’avoir un jour la chance de pousser de telles portes.

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