PFMP pour les intimes

Lundi matin. Adossée au tableau, je contemple les trente chaises sagement rangées. J’écoute le silence. D’habitude, à cette heure-ci, les Terminales Maintenance me racontent leur week-end, à grand renfort de gestes pour combler leurs lacunes de vocabulaire. Mais, pendant sept semaines, je n’aurai pas de mise à jour du feuilleton de leur vie. Eh oui, ça y est, ils sont partis en stage !

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Je fais ici une digression fort utile pour les profanes, les non-initiés à la culture du Lycée Professionnel (qu’on n’appelle plus L.E.P. depuis trente ans, merci). Officiellement, nos élèves ne partent pas en stage, mais en Période de Formation en Milieu Professionnel (PFMP pour faire court). Mais « stage », c’est bien aussi. Cela revient au même, et tout le monde comprend de quoi on parle. Bien sûr, le Directeur Délégué aux Formations Professionnelles et Technologiques (D.D.F.P.T.) nous enjoint d’utiliser le vocabulaire idoine. Alors, exprès, nous continuons à l’appeler Chef de Travaux. De toute façon, on bafouille toujours les initiales dans le mauvais ordre. Je referme la parenthèse, sinon je n’arriverai pas au bout de ma chronique.

J’ai le vague à l’âme. Ils me manquent déjà. Cruelle ironie, quand on sait que j’ai envie de les écharper aussi souvent qu’ils égratignent la langue de Jimmy Fallon. Je me sens vide et désœuvrée. Mais chut ! Ne le répétez pas à la Proviseure, elle pourrait avoir envie de me confier des tâches aussi ingrates que l’organisation de la Foire à l’empoigne, euh pardon, de l’AP… Et puis, ce sentiment ne va pas durer. J’ai énormément de choses à faire, n’en déplaise aux détracteurs de notre profession ! Je veillerai néanmoins à ne pas m’appesantir quand les copines me complimenteront sur mon teint frais et mon pas léger. Six heures de cours en moins par semaine (dix, selon les années et la répartition des classes), cela pourrait faire grincer des dents et relancer la machine des slogans « Profs fainéants, quarante heures devant nos enfants ! » Donc, oisiveté béate, mais en catimini : je ne révélerai à personne que j’ai passé des heures devant des vidéos de chats, ou que j’ai évité la cohue du dernier samedi avant Noël et celle du premier jour des soldes…

Bleu de travail et macramé

Je sors de ma rêverie et balaye d’un rire l’envie de déclamer une « Ode à la jeunesse en bleu de travail ». J’ai de la paperasse à signer et il faut que je m’occupe de la répartition des visites en entreprise, en fonction de la proximité du domicile de mes collègues. La prof d’anglais va peut-être reposer ses oreilles endolories ; la prof principale, elle, va continuer son combat et encaisser les remarques acerbes de celui qui aura plus de dix kilomètres à faire.

La préparation d’un départ en PFMP n’est pas une partie de plaisir. Pendant les deux semaines qui précèdent, la fébrilité est palpable. Nombreux sont ceux qui n’ont pas trouvé d’entreprise d’accueil. Mais c’est la crise, ma bonne dame… économique ? Non, procrastinatoire ! J’entends encore les promesses de juillet dernier : « Vous nous donnez déjà les dates pour l’an prochain ? C’est cool, on va pouvoir chercher pendant les vacances (comprenez : n’y compte pas, j’ai plage) ». Le jour de la rentrée, surprise : « Vous nous les aviez données ? Ah, j’ai oublié de les noter. Mais on a le temps, ça va. » Les semaines s’enchaînent, les « Je m’y mets ce week-end » aussi. Régulièrement, on entend le fameux « J’suis en attente d’une réponse, M’dame ».

Le ton se durcit de notre côté. Monologues au rythme mitraillette. « Où est ta fiche de recherche d’entreprise ? Comment veux-tu qu’on t’aide si on ne sait pas qui tu as contacté ? Ce n’est pas à ta mère de faire ton boulot ! Les conventions sont à signer en trois exemplaires et à rendre au DTP… TPMP… au Chef de Travaux ! C’est ça ton CV ? La date ne se met pas à côté de la signature sur une lettre de motivation ! Tu es étudiant en Terminale ? Mais vous avez fait quoi pendant les séances d’AP (on en revient toujours à l’AP…), du macramé ? »

Garder le rythme

Certains, plus nombreux qu’on ne croit, s’inquiètent de l’interruption des programmes. Neuf semaines, vacances de Noël incluses, sans travailler les cours ? C’est qu’il y a l’examen en juin ! Notre ton s’adoucit, se veut rassurant. Tout est prévu, le premier gros bloc de l’année est bouclé, et puis on vous prépare à l’examen depuis la Seconde, et puis on va vous donner du travail pour ne pas rompre le rythme… Hauts cris et soupirs intenses : « Mais Madaaame, on part en staaage ! On n’aura pas le temps ! » Il faudra pourtant le trouver… Français, Histoire-Géo, Techno, nous avons presque tous préparé une pochette de documents assortis d’un planning de travaux à rendre. « Des problèmes de connexion Internet à la maison ? Tu envoies ton devoir depuis l’entreprise… Oh, Ludovic, cesse tes lamentations : tu habites à deux rues du lycée, tu peux faire un détour pour le déposer ! » Il est vrai qu’entre collègues, nous aurions pu nous réunir pour évaluer et équilibrer la charge de travail. Mais c’est que chacun a son programme à avancer. C’est que le mois de mai est hyper compact, entre les dernières notions à l’arrache, les CCF à l’atelier qui bousculent trois semaines de cours de matières générales, et les séances de bachotage. C’est qu’il faut prévoir les jours fériés et les absences pour passer le permis de conduire…

Le retour ne se fera pas sans heurt. La PFMP, c’est la plongée dans le monde de l’adulte, du professionnel, des initiatives, des responsabilités… Revenir au lycée, c’est retrouver sa place d’apprenant docile, c’est supporter les ratures rouges sur des feuilles à carreaux, c’est travailler des matières « inutiles ». « M’dame, la PSE, avouez, ça sert à rien… » « Hum, n’est-ce pas dans ce cours-là que vous abordez la sécurité en milieu professionnel ? Laissez, j’ai dû me tromper… » C’est aussi entamer un dernier chapitre du roman lycéen. Les sourires ne sont pas les mêmes en seconde partie d’année. Le rythme déjà soutenu s’accélère, les semaines passent vite même si les jours rallongent… La fin de l’adolescence approche, les interrogations sur l’orientation post-bac vont bon train… Mais n’anticipons pas, laissons d’abord passer l’hiver.

Une fois remise de l’émotion du grand vide, je me lance dans la planification de ces heures sans eux. Les courses de Noël en mode flânerie, certes, mais également et surtout la recherche de documents authentiques pour l’oral d’anglais, la correction du bac blanc de Français, la lecture de tous les PJP qui s’entassent dans ma boîte mail… Mais l’envie est trop forte, je vais poster sur notre page Facebook leur photo de classe de Seconde, quand ils étaient tout choupinets, et leur souhaiter de profiter de ces sept semaines. Leur écrire : « I miss you, really ». Et aussi : « LUDOVIC, AS-TU PENSÉ À TON LIVRET DE STAGE ??? »

 

Une chronique de Valérie Révolu

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