Un wagon de retard

On entend souvent dire que la révolution Internet qui s’est opérée ces dernières années s’est faite à un rythme hallucinant. Et ce n’est rien de le dire si on la compare à la révolution industrielle du siècle dernier. L’enseignant, comme d’ailleurs le reste de la population, a dû prendre le train, même s’il semble évident que certains l’ont partiellement manqué, ou en tout cas n’ont pas vu toutes les gares.

train-du-numerique

Les anecdotes sur les couacs des débuts, de ce que l’on pourrait grossièrement appeler l’informatique, grouillent et en voici une parmi d’autres. À la rentrée scolaire 200X, un proviseur un peu moderne, ou un peu prétentieux, c’est selon, avait voulu que les données de rentrée, quelques malheureux méga de fichiers pdf aux contenus à l’intérêt limité, tiennent sur un support original du format d’une carte de visite. Il s’agissait en fait d’un disque contenu dans un rectangle… bref, je devine vos têtes en lisant ces lignes, surtout les profs de sciences humaines… Mais je m’éloigne. Je disais donc, il s’agissait de glisser l’objet dans le lecteur CD de l’époque et de lire le contenu. Intrigué par ce format rectangulaire qui lui semblait proche de celui d’une disquette, une collègue de lettres l’a inséré dans un lecteur de disquettes. Cela me semblait révélateur du travail qu’il y avait à faire pour que le numérique trouve sa place auprès de nous. En écrivant ces mots, je sens bien que j’ai pris un coup de vieux et que les jeunes collègues qui me lisent doivent m’imaginer jeune retraité en mal d’écriture ! Tant pis, je prends le risque.

La technique du clavier à un doigt

Plus romantique, l’histoire de ce professeur de lettres, homme d’allure, érudit, mais dont on devine qu’il ne souhaite pas, à quelques encablures de la retraite, se mettre à la page du tout numérique. Il a vécu avec le livre, l’odeur du papier, les feuilles qu’on peut toucher, corner, les griffonnages en tout genre. Le gentleman en question, au moment de saisir ses notes trimestrielles sur la machine, puisque désormais le vieux registre papier ne fait plus école, soulève ses lunettes sur sa tête pour scruter l’écran de près et tape, avec un seul doigt, les remarques que lui inspirent ses dernières générations d’élèves. La scène est touchante, comment ne pas l’aider? Notre héros, qui n’est pas avare de commentaires charmeurs, se laisse assister par les plus séduisantes collègues auxquelles il demande, au mieux où se trouve l’onglet dont il a besoin, ou plus souvent une partie de la saisie desdites remarques. Ce numéro de séduction marche à coup sûr, et notre pseudo-retardataire numérique profite de l’aubaine pour marivauder, sans oublier d’être admiratif de cette fée qui tape sur le clavier avec ses dix doigts.

Du stencil au wiki

Le train du numérique dans sa course folle, oublie que l’humain ne change pas aussi vite. L’Éducation nationale, par ses stages au PAF, tente de mettre à niveau les enseignants mais on constate plutôt que c’est l’entraide entre collègues qui prévaut. Et attention à celle qui se voit affublée de l’étiquette « forte en informatique » alors qu’elle a pour seule prétention de savoir envoyer un mail, ou à peine plus… mais c’est bien connu, au royaume des non-voyants, les myopes sont rois. Notre fortiche de service joue donc le rôle d’une hotline locale aux services de ses collègues, souvent de bonne grâce heureusement. Sans doute est-elle flattée de pouvoir briller à peu de frais pour elle : prof un jour, prof toujours. Rendez-vous compte, aujourd’hui, même la photocopieuse est intelligente et faire une photocopie relève de la prouesse. Alors on bidouille, on essaie, on se trompe (c’est le célèbre mode de fonctionnement des informaticiens « essai-erreur »), on recommence, on demande, même si entre-temps on a lancé pléthore de photocopies, ce qui enrage au plus au point le gestionnaire cerbère qui scrute la dépense. En deux décennies, on est passé du stencil au wiki. Et entre nous, les enseignants ont une volonté hors du commun. Si on y réfléchit un peu, quelle entreprise proposerait à ses employés des outils sur lesquels ils ne seraient pas formés ? Aucune bien sûr. Alors que notre enseignant prend sur son temps libre, lit, demande pour se concocter une première approche de tous ces nouveaux logiciels, que ce soit celui pour faire l’appel avec pronote, pour avoir sa classe virtuelle avec moodle ou l’ENT, pour scanner les réponses d’élèves à des qcm aux résultats instantanés avec plickers… et j’en oublie des dizaines !

Heureusement, les générations sont soudées. De même que le petit-fils va aider sa grand-mère à se connecter sur le site des impôts pour faire sa déclaration de pensions, le jeune collègue va guider son aîné sur les traces du numérique, parfois de l’algorithmique puisque les nouveaux programmes encouragent les profs en ce sens. L’outil se modernise, se rend accessible et convivial, intuitif et surtout efficace. Les mauvaises langues diront que le temps qu’on passe sur la forme de tous ces outils, est du temps pris sur le fond du contenu des séances d’enseignement et d’activité. À cela, on peut répondre qu’il faut se laisser guider vers cette technologie pleine de promesses et ce, dans de nombreux domaines, pas seulement éducatif. Un jour prochain, l’ordinateur cellulaire gérera les soins que recevront les êtres humains en ne délivrant les substances médicamenteuses qu’aux cellules atteintes… et qui sait jusqu’où cela ira.

En attendant ce futur proche, il est temps de retourner en classe avec nos élèves, physiques eux, pas numériques !

Une chronique d’Octave

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