Enseignant et auteur, Jean-Marie Daru publie le 13 mai École : le poumon manquant aux éditions du Mieux-apprendre. Il vous livre sa réflexion sur le système éducatif actuel.

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« Bonjour M. Daru,

Je suis la maman de 3 enfants : Lucile, Célian et Esther.
Tous les trois aiment la vie et ont l’envie de découvrir, et pourtant leurs visages se ferment parfois lorsque l’on parle de l’école.
Lucile est accompagnée en classe, car elle ne parvient pas à passer à l’écrit de par sa dyspraxie, mais elle est très à l’aise à l’oral.
Célian refuse d’entrer dans un système qui ne lui convient pas, il a changé d’école… il n’écrit pas sur son cahier, il rêve en classe, il dit « j’apprends plus à l’extérieur qu’en classe »… et pourtant il a des capacités qu’il n’imagine pas. Il fait partie de ces enfants que l’on nomme « enfants précoces » qui ne trouvent pas leur place à l’école.
Esther aime l’école et semble s’y épanouir.
En échangeant avec les enseignants, j’ai découvert combien ils étaient et se sentaient démunis devant des enfants comme les nôtres. On me demande souvent les raisons de tant d’échecs à l’école. Je réponds souvent que notre société change et pas le système scolaire. Les enfants ne veulent plus apprendre sans comprendre. La recherche de sens est indispensable pour apprendre et ce bien plus que lorsque nous étions jeunes. L’injustice est vécue plus intensément, l’adulte n’a d’autorité que s’il est juste aux yeux des enfants, ce qui veut dire que l’adulte peut avoir à se justifier face à un enfant.
Nous avons donc hâte de découvrir votre livre et de le faire découvrir, et qu’il devienne une base à un échange. 
»

Voici le mail d’une maman reçu il y a quelques jours. Ses remarques bousculent et sont pertinentes à mes yeux d’enseignant et de parent.

Quelle école voulons-nous pour nos enfants ? Qu’est-ce qui doit changer pour que l’école soit un lieu d’accueil de la différence et qui favorise la réussite de tous ?

Oh bien sûr, le premier réflexe pourrait être de me dire que l’école et les enseignants ne sont pas les seuls responsables de cette situation et qu’il convient de trouver des réponses ailleurs qu’au sein de nos établissements (rôle des parents, suivi personnalisé avec l’aide de l’orthophonie, de la psychomotricité, école alternative, etc.). Mais un tel raisonnement conduirait inévitablement à prolonger l’état d’asphyxie de notre école aujourd’hui.

C’est à chacun de nous, enseignants, parents, professionnels de l’éducation et jeunes, de faire jaillir cette étincelle de vie pour que l’école en 2017 soit fidèle à sa promesse d’inclusion[1]. L’école n’a pas vocation à régler tous les problèmes (sociétaux, familiaux, etc.), mais ne doit-elle pas faire sa part ?

Ne sommes-nous pas assez solides au sein de l’Éducation nationale pour faire notre autocritique et pour creuser de nouveaux sillons au sein de notre système éducatif ? Je pense que si, mais à condition d’être capable d’entendre le sentiment d’urgence de la situation. Il est urgent de prendre conscience que les jeunes changent et qu’ils nous déstabilisent par les nouvelles questions qu’ils soulèvent. Il est urgent d’insuffler une dynamique innovante à un système scolaire boiteux, âgé de 130 ans ! Il est urgent de réaliser personnellement qu’en 2017, ce système éducatif, loin de résorber les inégalités, les renforce au contraire[2]. Il est urgent de retrouver du sens dans nos apprentissages « saucissonnés » et souvent abstraits. Il est urgent de changer de regard et de modifier nos pratiques éducatives pour favoriser l’apprentissage de tous les élèves.

Les parents peuvent être de merveilleux lanceurs d’alerte. Ils ne peuvent pas attendre 3, 5 ou 10 ans. L’urgence est là devant eux. Bien sûr les parents eux-mêmes ont leur responsabilité dans la perpétuation d’un système qui tend à préserver les structures actuelles, et mon livre[3]  en fait aussi l’analyse. Mais c’est aux enseignants que je m’adresse aujourd’hui.

J’enseigne en lycée général et professionnel depuis 15 ans et je n’accepte plus que des jeunes de 3e DIMA[4] ou de 3e prépa pro sortent du système scolaire sans aucun diplôme ou avec uniquement le CFG ou le brevet. Environ 140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans aucun diplôme, et d’après l’Insee, sur les 16 % des jeunes sortis de formation initiale entre 2009 et 2011 sans diplôme ou uniquement avec le brevet, 47 % étaient au chômage en 2012, contre 10 % chez les diplômés du supérieur. Ces chiffres sont inquiétants et nous invitent à plus d’exigence. Les statistiques n’ont que très peu d’importance si on ne voit pas les visages de nos élèves qui décrochent derrière ces chiffres révoltants. Qu’avons-nous proposé à ces élèves depuis leur plus tendre enfance pour arriver à un tel échec de masse ? Il est nécessaire d’opérer des changements de fond pour offrir aux générations qui arrivent une éducation où TOUS peuvent s’épanouir, et où le système compétitif laisse sa juste place à la solidarité dans les apprentissages.

Je suis convaincu que LA SOLIDARITÉ peut être un levier puissant pour notre nouvelle ère éducative.

L’origine du mot solidaire vient d’un terme de jurisprudence, qui désignait cette obligation réciproque qui lie les hommes entre eux par un intérêt et une responsabilité qu’ils ont en commun. Par extension, ce terme désigne aujourd’hui une attention réciproque, une entraide que nous nous portons les uns envers les autres. Cette définition nous rappelle que la solidarité est avant tout une attention réciproque, et pas un mouvement à sens unique. Cette responsabilité réciproque fait référence pour nous à la responsabilité de l’enseignant vis-à-vis du jeune à côté de nous, la responsabilité des parents vis-à-vis du lieu où leur enfant est éduqué 7 heures par jour, et la responsabilité du jeune vis-à-vis de l’école dans laquelle il évolue.

Car les jeunes nous parlent. Enseigner en lycée pro aujourd’hui est un véritable challenge et met clairement en lumière notre incapacité collective à proposer une école qui fasse sens et qui favorise la réussite de tous.

Alors concrètement quelle réalité peut se dessiner à l’école derrière ce mot solidarité ?

Tout d’abord, se sentir responsable, c’est pour moi enseignant la nécessité de rester un chercheur toute ma vie durant, de me former pour mieux mettre des mots sur les maux nouveaux qui ne manqueront pas de venir à moi. C’est aussi développer mon sens critique (que j’exige tant des élèves) vis-à-vis du système éducatif que je suis parfois tenté de reproduire. C’est analyser les intentions profondes de notre système éducatif au-delà des lois, mots et réformes ponctuelles. C’est favoriser au sein de ma classe le développement des intelligences multiples des élèves et ne pas me cantonner aux deux intelligences phares travaillées à l’école (intelligence logique/mathématique et intelligence verbale/linguistique). C’est comprendre que l’erreur est la base de tout apprentissage et qu’évaluer c’est avant apprendre à se poser des questions et pas nécessairement trouver la bonne réponse (celle que d’autres ont trouvée avant nous). C’est retrouver le sens des apprentissages en favorisant les projets enthousiasmants qui relient les matières et qui, pour reprendre l’expression d’Edgar Morin, « enseignent à vivre ». C’est aussi trouver un équilibre sain entre compétition et coopération au sein de la classe. Et cette liste est loin d’être exhaustive. Alors retroussons nos manches et osons car, comme le dit si bien Albert Einstein, « la folie c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ! »

 

Une chronique de Jean-Marie Daru

Pour découvrir le livre École : le poumon manquant, un site : www.education-solidaire.com

 

[1] La loi de refondation de l’école du 8?juillet 2013 a posé les fondements de l’école inclusive en ces termes : « Le service public reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans distinction. »

[2] Ce ne sont pas les résultats de l’enquête PISA 2015, publiée par l’OCDE, qui vont venir démentir ces propos. Cette enquête révèle, en effet, que notre système éducatif est profondément inégalitaire et que, même s’il sait produire une élite, il s’avère incapable de résorber son noyau dur d’élèves en échec scolaire, qui sont principalement issus de milieux défavorisés.

[3] École : le poumon manquant, Jean marie Daru, éditions du Mieux-apprendre, mai 2017.

[4] DIMA : Dispositif d’Insertion et de Mise en Apprentissage. Dispositif pour accompagner les élèves en situation de décrochage scolaire.

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