L’angoisse du nouveau bahut

Voilààààààààà. T’as voulu faire le malin ? Maintenant mon grand, tu vas assumer.

C’était les premiers mots que je m’assénais lorsque le réveil m’intima l’ordre de me lever vendredi 1e septembre. Chose qui fut assez facile car lorsqu’on ne dort pas de la nuit, il est tout de suite plus aisé de se dresser sur ses jambes.

nouveau-lycee

Petite préparation rapide. À noter que stress intense rime avec flux du ventre chez moi. Ce qui est toujours sympathique avant de prendre les transports en commun.

Mais qu’est-ce que j’ai ?

Je change de lycée. Pour ceux et celles qui ne suivraient pas les périples de ma vie enseignante. Un choix totalement assumé (enfin, quasiment jusqu’au flux du ventre), ou une crise de la quarantaine qui démarrait précocement. Et cela bien que j’aie ramené ma teinture capillaire pourprée et mon jean taille basse.

Donc rentrée des classes dans un nouveau bahut, que je connais plus ou moins ; j’ai donc enfilé ma tenue la plus neutre possible histoire de passer entre les murs. Coiffé. Parfumé. Épilé. Je vérifie que mon doudou ne dépasse pas de ma poche, je serre les dents et…

Et me voici devant la porte de l’imposante bâtisse. Un peu en mode Père Merrin. À voir qui va me dégueuler de la bouillie verte ce matin. Première remarque : le nombre.

Poker face

Beaucoup plus de profs que dans mon précédent lycée. Impression de me trouver dans un hall d’aéroport. Plateforme multimodale pédagogique. Sourires, éclats de voix, tapage sur l’épaule et me voilà dans ce vortex essayant de faire bonne figure, d’exister sans trop exister toutefois. D’où un mime de décontraction, un « poker face » quasi joué à la perfection. Oui, surtout lorsque j’ai ri à une vanne de deux personnes que je ne connaissais pas. Mon Dieu filez-moi une pelle que je creuse dans l’asphalte.

Je me sens comme le petit Fred qui faisait sa rentrée de CP et morvait dans les jupes de sa maman (oui ma mère mettait plusieurs jupes superposées) et qui par la suite cherchait des yeux ses camarades de maternelle, des regards compatissants face aux grands et à leurs genoux cagneux. Je m’arrête là, on dirait un roman de Louis Pergaud.

La réunion commence et on s’engouffre dans l’avion. Pardon la salle A202. La directrice commence son discours et j’ai mon petit carnet offert par mes potos devant moi ; ça fait souvent bien de prendre des notes, le genre de notes qu’on ne relit jamais une fois arrivé chez soi le soir (mimésis praxeôs !). Les minutes défilent et je commence à me sentir mieux, on me distribue l’emploi du temps, et divers papiers de fonctionnement. Voilà. Je me pose.

« Donc maintenant, je vais vous présenter les nouveaux enseignants qui nous rejoignent cette année…  Allez, mais levez-vous qu’on vous voie ! »

Merde. Raté. Je me redresse tel un infirme miraculé à Lourdes et je leur fais un signe de la main, telle une Miss France complètement à la ramasse. Et je me rassois, en refluant une bile acide qui m’a empêché de prononcer un mot. J’ai dû faire un borborygme entre le « mmmmmhum » et le « eyyyyyyyyyyy ». Premier contact. C’est fait.

La première réunion se termine, place à la petite présentation des nouveaux et de leur tuteur/tutrice. En comité restreint fort heureusement. Ma tutrice est une ancienne collègue et une super pote donc je me sens un poil soulagé ; nous sommes super bien accueillis même si le bizutage se fera peut-être plus tard ; j’écoute religieusement tout le monde. Le CPE me fait penser au colonel Quaritch dans Avatar, quand il s’adresse à moi j’ai envie de hurler :

« cheeeeef oui cheeeeeef je sais que je suis une c*****e molle cheeeeef, mais je vais m’endurcir cheeeeeef » .

Je me retiens de faire une vingtaine de pompes devant lui. Pour l’exemple.

Aérodrink

S’ensuit l’apéro et le repas. À nouveau l’aéroport. En mode drink.

Je me faufile entre les convives et je commence à prendre mes marques, cherchant qui fait quoi. C’est toujours marrant les premières impressions car avec le recul on se rend compte combien on avait parfaitement raison ou complètement tort sur les gens, on se retrouve à parler avec celui qu’on qualifiait « de con fini » (j’ai souvent des avis mesurés) et inversement.

C’est dans ces moments-là en fait qu’il faudrait prendre des notes.

Entre le rôti froid et le taboulé.

Ma tutrice m’explique ensuite le fonctionnement du lycée ; par exemple les salles des différents bâtiments. Je passe d’un petit lycée à une espèce de monstre gigantesque. Et sur une semaine je passe dans tous les bâtiments.

8 h- 9 h : A302. 9 h-10 h : C201. 10 h-11 h : H205. J’ai toutes les combinaisons possibles. J’ai fait le tour des salles et j’ai dû faire une pause pour reprendre mon souffle.

Une sorte de prof itinérant : un témoin de Jéhovah de l’éducation. Avec des pompes de running aux pieds.

Vénus Williams en mec.

Je semble en tout cas muni de toutes les informations pour démarrer les cours de la manière la plus sereine possible (je sais où sont les toilettes).

La journée touche à sa fin et je rentre chez moi non seulement repu d’un bout de rôti froid, mais aussi fourbu d’une telle somme d’informations dans mon cortex cérébral, qui, depuis quelques mois, n’était plus habitué à de tels sévices.

Je reste confiant sur la faisabilité de la chose : finir l’année sans besoin exacerbé de Lexomil ; mais il est clair que je m’apprête à gravir un sommet beaucoup plus grand et difficile que le petit trou de verdure où j’avais élu domicile depuis une dizaine d’années ; ma petite semaine restante me permettra de préparer au mieux les bivouacs et les camps de base ; ainsi que l’équipement.

À noter que la nouveauté me force à utiliser des métaphores alpines que n’aurait pas renié Frison-Roche.

En quelques mots, une nouvelle page à écrire.

Ça tombe bien, on m’a offert un carnet tout neuf.

« Si j’aurais su, j’aurais pas venu. »

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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