chroniquevingtmai

«  Moi, je me souviens, quand j’ai passé mon Bac… »

Phrase qui a le pouvoir immédiat d’à la fois vous transporter vers le passé, la nostalgie, mais aussi de vous ramener à votre triste situation actuelle : vous êtes vieux. Oui, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis : vous êtes devenu enseignant et quand, en juin, la principale vient vers vous, vous tape sur l’épaule avec un air solennel, vous comprenez avec douleur qu’elle vous donne cette lourde charge de préparer les élèves d’une terminale à obtenir leur Baccalauréat.

Là, devenu le Prométhée Moderne, vous allez délivrer le feu sacré aux générations futures, passer le flambeau du savoir, la flamme de la connaissance, la….

« Monsieur, on va pas avoir ce truc là au Bac, ça a rien à voir ; vous avez serré ou quoi là sérieux, j’le fais pas… »

……… Trecy, c’est le sujet qui est sorti l’année dernière à vrai dire.

Prométhée vient de se manger la gueule dans les escaliers avant d’entrer en classe. Le feu s’est éteint. Je rembobine et j’explique.

De mon temps, on stressait à l’approche du Bac. C’était cette date-là qu’on avait encerclée en rouge sur le calendrier, chose qui était tout à fait inutile puisque les parents nous la psalmodiaient chaque jour, depuis… depuis le mois de février à peu près.

«  Tu vas au ski ? Et ton Bac ? »

Et les jours fatidiques arrivant, on avait le droit à une préparation en bonne et due forme, que ce soit au niveau alimentaire :

«  Mais ressers toi du poisson mon cœur, allez ça va te faire du bien ! »

Qu’au niveau horaire :

«  Allez, c’est 19h00, tu vas te coucher… »

Bref j’avais bouffé, respiré, expulsé du bac pendant toute ma terminale. À en être malade le jour des épreuves. Prise de Smecta à plusieurs reprises. On ne sait jamais. Surtout lors des oraux.

Mes élèves de terminale bac pro avaient une approche bien différente de la mienne, avec tout d’abord un talent, sans doute dû à la mutation génétique de l’espèce humaine. La prise de recul. Le recul absolu même, pour certains. Avec cette phrase mythique que chaque prof digne de ce nom a entendu une fois dans sa vie :

«  Vous inquiétez pas monsieur, je vais m’y mettre, je vais travailler là ! »

Nous sommes le premier juin. L’élève en question n’a jamais fait autre chose que regarder béatement son reflet dans son dernier iPhone, multipliant les poses. Mes cours, eux, sont restés immaculés sur son bureau. Une mésange aurait pu y faire son nid. Le stress était désormais aux abonnés absents. Non.

En fait, j’étais le seul à stresser en classe.

Gesticulant, suintant littéralement à l’approche de l’épreuve de français du bac, avec sa sacro-sainte compétence d’écriture.

40 lignes.

Pour mes élèves, l’équivalent d’À la recherche du Temps perdu.

Et moi dans tout ça ?

J’en perdais du temps.

Je ne me souviens pas combien de fois dans l’année je tente de faire passer une méthode, afin de créer des copies qui vont émerger, tels les BRIC, de la masse.

J’ai bien compris que la PEUR n’était pas une méthode fonctionnelle, puisque chez mes petits se tenait aussi la croyance dite « du jour du bac ». Elle se décline en plusieurs phases, puisqu’elle permet à l’élève constamment en retard de se coucher plus tôt le soir, délaissant ses parties de GTA pour une camomille légèrement mentholée qui le poussera à rejoindre les bras de Morphée plus prestement. Puis, le jour du bac. Crayons et gommes, effaceur et stylo plume apparaissent dans les trousses où mascara, snickers et Chesterfield se terraient. Pour finir, et c’est LA partie la plus essentielle de cette croyance.

Le jour du Bac.

Le jour du bac, l’élève parvient à lire un texte intégralement et à le comprendre ; lui qui ne fait que l’ânonner péniblement tout le restant de l’année, prétextant que Rabelais, c’est pas vraiment du français.

Le jour du bac, l’élève sait ce qu’est un corpus de textes. Alors que toute l’année, le professeur n’a eu de cesse de le lui répéter, alternant les méthodes douces, pédagogiques et didactiques, jusqu’au désir de lui graver au cutter sur le bras une bonne fois pour toute.

Le jour du bac, l’élève répond aux questions de compréhension, de manière développée et construite, autrement que par des « ouais je crois c’est poétique car ça rime ça finit tout en –é ».

Le chiasme n’est plus une insulte lancée dans les couloirs.

  – ta mère le chiasme – 

 

Et…

Le jour du bac. Les 40 lignes maintes fois décriées coulent du stylo avec aisance, les références culturelles et littéraires affluent. Introduction. Problématique. Développement. Et la cerise sur le gâteau, l’ouverture sur une autre partie du sujet, qui, pour un correcteur de lycée pro, est comme une oasis dans le désert. Surtout, lorsqu’au bout de la cinquième référence à la télé-réalité, vous avez, comme moi, envie de vous balancer par la fenêtre en hurlant.

Ainsi, face à cette sérénité désarçonnante, il était donc inutile de gesticuler, s’empourprer ou lancer des phrases qu’on pouvait regretter par la suite :

«  Toi, si tu as ton bac, je veux bien courir autour de la cour en tanga… »

………………………….

Ma méthode donc. La répétition. Comme la propagande durant le stalinisme, je leur fais ingérer du Bac comme ma mère le faisait avec le poisson. Chaque jour, à chaque cours, une parcelle de corpus, d’oxymore et d’argumentaire. Jusqu’à rapper façon ROHFF sur la thématique « identité et diversité ».

Et au bout. Ça marche pour certains, ça échoue pour d’autres. Et chaque année, la tape sur l’épaule. Le sourire coincé de la dirlo.

Et le stress qui recommence.

«  Vous inquiétez pas monsieur, je vais m’y mettre, je vais travailler là »

Et oui demain faut remettre ça.

Le rattrapage à préparer.

 

Ce soir je me couche à 19h00.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

Ce billet a été publié initialement sur le Huffingtonpost

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