PhiloStjo

Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue

Comment être sûr que vous n’êtes pas en train de rêver ?

Sans doute parce que vous ne rêveriez pas du blog « PhiloStjo »… :)

Vous reconnaissez peut-être ici la question au coeur du film Inception de Christopher Nolan (ou même Matrix). Mais ce que vous ne savez peut-être pas, ce sont les sources philosophiques d’une telle réflexion. En effet, ce n’est pas la première expérience de pensée qui doute de la réalité de nos perceptions, et du monde qui nous entoure. Platon,Aristote,Descartes,Kant, Freud, Husserl, Putnam et son cerveau dans une cuve ont fortement inspiré ce film (sur le rêve, la conscience, l’intersubjectivité, autrui, l’inconscient…)Vous trouverez ci-dessous des liens intéressants sur ce film, des références « classiques » philosophiques puis un extrait du livre Qu’est-ce que tout cela veut dire ? de Thomas Nagel dont je vous recommande vivement la lecture.

Synopsis : « Le film relate les aventures d’un groupe de voleurs tout à fait particulier : des voleurs de rêves qui, grâce à une technologie, entrent par effraction dans la conscience d’un individu pour lui dérober ses idées (extraction) ou les supprimer. L’inception, elle, va plus loin, consistant à implanter une idée dans la conscience d’un individu, à son insu. Cette technique comporte des risques pour les voleurs, lequel consiste à se perdre dans les méandres de leur propre conscience, les “limbes”.

La cible principale du film est l’héritier d’une multinationale de l’énergie. Le concurrent, M. Saito, souhaite que l’hériter démantèle la société de son père. Cobb, experimenté dans l’extraction et l’inception, incarné par Di Caprio, est le chef de l’équipe, composée de 4 membres :

  • un chercheur chargé de la compréhension du psychisme de la cible.
  • un faussaire, chargé de truquer l’identité des individus avec lesquelles la cible est familière.
  • un chimiste responsable des sérums permettant de réguler le rêve commun.
  • un architecte dont le rôle est de concevoir le monde du rêve

Pour mener à bien l’introduction de l’idée, l’équipe doit descendre littéralement dans la conscience de la cible, allant des couches supérieures de rêves vers les couches les plus profondes, permettant de créer pour la cible un sentiment  de réalité de plus en plus fort. Le but est ainsi que la cible confonde le rêve et la réalité, elle-même alors considérée comme une sorte de réalité augmentée ou alternative.

A l’issue de batailles oniriques, Cobb parviendra à réaliser l’inception, mais semble-t-il au prix de sa conscience et de la réalité. » extrait du site http://la-philosophie.com/inception-analyse

Références philosophiques qui ont traité du rapport rêve/réalité.

-Platon relate une discussion entre Socrate et un mathématicien athénien,Théétète. Ces deux-là se demandent ce qu’est la science, et donc la connaissance. Théétète avançant d’abord que la science c’est la sensation, Socrate réfute et conclut sur la différence entre perception et connaissance. C’est au cours de cet échange qu’intervient la question du rêve.

THÉÉTÈTE : Je n’ose dire, Socrate, que je ne sais que répondre, parce que tu m’as repris tout à l’heure de l’avoir dit. En réalité, cependant, je ne saurais contester que, dans la folie ou dans les rêves, on ait des opinions fausses, alors que les uns s’imaginent qu’ils sont dieux et que les autres se figurent dans leur sommeil qu’ils ont des ailes et qu’ils volent.

SOCRATE : Ne songes-tu pas non plus à la controverse soulevée à ce sujet, et particulièrement sur le rêve et sur la veille ?

THÉÉTÈTE : Quelle controverse ?

SOCRATE : Une controverse que tu as, je pense, entendu soulever plus d’une fois par des gens qui demandaient quelle réponse probante on pourrait faire à qui poserait à brûle-pourpoint cette question : dormons-nous et rêvons-nous ce que nous pensons, ou sommes-nous éveillés et conversons-nous réellement ensemble ?

THÉÉTÈTE : On est bien embarrassé, Socrate, de trouver une preuve pour s’y reconnaître ; car tout est pareil et se correspond exactement dans les deux états. Prenons, par exemple, la conversation que nous venons de tenir : rien ne nous empêche de croire que nous la tenons aussi en dormant, et lorsqu’en rêvant nous croyons conter des rêves, la ressemblance est singulière avec ce qui se passe à l’état de veille.

SOCRATE : Tu vois donc qu’il n’est pas difficile de soulever une controverse là-dessus, alors qu’on se demande même si nous sommes éveillés ou si nous rêvons. De plus, comme le temps où nous dormons est égal à celui où nous sommes éveillés, dans chacun de ces deux états notre âme soutient que les idées qu’elle a successivement sont absolument vraies, en sorte que, pendant une moitié du temps, ce sont les unes que nous tenons pour vraies et, pendant l’autre moitié, les autres, et nous les affirmons les unes et les autres avec la même assurance.

THÉÉTÈTE : Cela est certain.

SOCRATE : N’en faut-il pas dire autant des maladies et de la folie, sauf pour la durée, qui n’est plus égale ?

THÉÉTÈTE : C’est juste.

SOCRATE : Mais quoi ? est-ce par la longueur et par la brièveté du temps qu’on définira le vrai ?

THÉÉTÈTE : Ce serait ridicule à beaucoup d’égards.

SOCRATE : Mais peux-tu faire voir par quelque autre indice clair lesquelles de ces croyances sont vraies ?

THÉÉTÈTE : Je ne crois pas.

Pour Aristote, personne ne saurait croire que la réalité n’est pas ce que l’on connaît en étant éveillé, et nulle sensation n’est ressentie sans objet qui la cause. Mais ma sensation face à la même cause est amenée à varier selon mon état. Le perçu est donc subjectif, relatif. L’apparence n’est pas la vérité.

-Aristote, Métaphysique (fin du IVème siècle avant J.C.) – Livre IV, 1010b – 1011a6

Pour ce qui est de la vérité, plusieurs raisons nous prouvent que toutes les apparences ne sont pas vraies. Et d’abord, la sensation même ne nous trompe pas sur son objet propre ; mais l’idée sensible n’est pas la même chose que la sensation. Ensuite, on peut s’étonner à juste titre que ceux dont nous parlons restent dans le doute sur des questions comme celles-ci : Les grandeurs ainsi que les couleurs sont-elles réellement telles qu’elles apparaissent à ceux qui sont éloignés, ou telles que les voient ceux qui en sont près ? Sont-elles réellement telles qu’elles apparaissent aux hommes bien portants, ou telles que les voient les malades ? La pesanteur est-elle ce qui paraît pesant aux hommes de faible complexion, ou bien ce qui l’est pour les hommes robustes ? La vérité est-elle ce qu’on voit en dormant, ou ce qu’on voit pendant la veille ? Personne, évidemment, ne croit qu’il y ait sur ces points la plus légère incertitude. Y a-t-il quelqu’un, s’il rêvait qu’il est dans Athènes, alors qu’il serait en Afrique, qui s’imaginât, sur la foi de ce rêve, de se rendre à l’Odéon ? D’ailleurs, et c’est Platon qui fait cette remarque, l’opinion de l’ignorant n’a certainement pas une autorité égale à celle du médecin, quand il s’agit de savoir, par exemple, si le malade recouvrera ou ne recouvrera pas la santé. Enfin, le témoignage d’un sens sur un objet qui lui est étranger, ou même qui se rapproche de son objet propre, n’a pas une valeur égale à son témoignage sur son objet propre, sur l’objet qui est réellement le sien. C’est la vue qui juge des couleurs et non le goût ; c’est le goût qui juge des saveurs, et non la vue. Jamais aucun de ces sens, dans le même temps, quand on l’applique au même objet, ne nous dit que cet objet a et n’a pas à la fois telle propriété. Je vais plus loin encore. On ne peut pas contester le témoignage d’un sens, parce qu’en des temps différents il est en désaccord avec lui-même ; il faut adresser le reproche à l’être qui éprouve la sensation. Le même vin, par exemple, soit parce qu’il aura changé lui-même, soit parce que notre corps aura changé, nous paraîtra, il est vrai, doux dans un instant, le contraire dans un autre. Mais ce n’est pas le doux qui cesse d’être ce qu’il est ; jamais il ne dépouille sa propriété essentielle ; il est toujours vrai qu’une saveur douce est douce, et ce qui sera une saveur douce aura nécessairement pour nous ce caractère essentiel.

Or, c’est cette nécessité que détruisent les systèmes en question ; de même qu’ils nient toute essence, ils nient aussi qu’il y ait rien de nécessaire, puisque ce qui est nécessaire ne saurait être à la fois d’une manière et d’une autre. De sorte que s’il y a quelque chose qui soit nécessaire, les contraires ne sauraient exister à la fois dans le même être. En général, s’il n’y avait que le sensible, il n’y aurait rien, n’y ayant rien, sans l’existence des êtres animés, qui pût percevoir le sensible ; et peut-être alors serait-il vrai de dire qu’il n’y a ni objets sensibles, ni sensations; car tout cela est, dans l’hypothèse, une modification de l’être sentant. Mais que les objets qui causent la sensation n’existent pas, même indépendamment de toute sensation, c’est ce qui est impossible. La sensation n’est pas sensation d’elle-même ; mais il y a un autre objet en dehors de la sensation, et dont l’existence est nécessairement antérieure à la sensation. Car le moteur est, de sa nature, antérieur à l’objet en mouvement ; et admît-on même que dans le cas dont il s’agit l’existence des deux termes est corrélative, notre proposition n’en subsiste pas moins.

Voici une difficulté que se posent la plupart de ces philosophes, les uns de bonne foi, les autres seulement pour le plaisir de disputer. Ils demandent qui jugera de la santé, et en général, quel est celui qui jugera bien dans toutes les circonstances. Or, se faire une pareille question, c’est se demander si on est en ce moment endormi ou éveillé.

-René Descartes, Méditations métaphysiques (1641) : Première méditation (très proche du livre IV du Discours de la méthode)

Toutefois j’ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j’ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés, lorsqu’ils veillent. Combien de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? Il me semble bien à présent que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier ; que cette tête que le remue n’est point assoupie ; que c’est avec dessein et de propos délibéré que j’étends cette main, et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant soigneusement, je me ressouviens d’avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m’arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices concluants, ni de marques assez certaines par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, que j’en suis tout étonné ; et mon étonnement est tel, qu’il est presque capable de me persuader que je dors.

Supposons donc maintenant que nous sommes endormis, et que toutes ces particularités-ci, à savoir, que nous ouvrons les yeux, que nous remuons la tête, que nous étendons les mains, et choses semblables, ne sont que de fausses illusions ; et pensons que peut-être nos mains, ni tout notre corps, ne sont pas tels que nous les voyons. Toutefois il faut au moins avouer que les choses qui nous sont représentées dans le sommeil, sont comme des tableaux et des peintures, qui ne peuvent être formées qu’à la ressemblance de quelque chose de réel et de véritable ; et qu’ainsi, pour le moins, ces choses générales, à savoir, des yeux, une tête, des mains, et tout le reste du corps, ne sont pas choses imaginaires, mais vraies et existantes. Car de vrai les peintres, lors même qu’ils s’étudient avec le plus d’artifice à représenter des sirènes et des satyres par des formes bizarres et extraordinaires, ne leur peuvent pas toutefois attribuer des formes et des natures entièrement nouvelles, mais font seulement un certain mélange et composition des membres de divers animaux ; ou bien, si peut-être leur imagination est assez extravagante pour inventer quelque chose de si nouveau, que jamais nous n’ayons rien vu de semblable, et qu’ainsi leur ouvrage nous représente une chose purement feinte et absolument fausse, certes à tout le moins les couleurs dont ils le composent doivent-elles être véritables. Et par la même raison, encore que ces choses générales, à savoir, des yeux, une tête, des mains, et autres semblables, pussent être imaginaires, il faut toutefois avouer qu’il y a des choses encore plus simples et plus universelles, qui sont vraies et existantes ; du mélange desquelles, ni plus ni moins que de celui de quelques véritables couleurs, toutes ces images des choses qui résident en notre pensée, soit vraies et réelles, soit feintes et fantastiques, sont formées.

-Extrait du livre Qu’est-ce que tout cela veut dire ? de Thomas Nagel

« Si vous y réfléchissez bien, la seule chose dont vous puissiez être sûrs, c’est ce qui est à l’intérieur de votre propre esprit. Quelque soit votre croyance-qu’elle porte sur le soleil, la lune et les étoiles, la maison et le quartier dans lequel vous vivez, l’histoire, la science, les autres personnes, et même l’existence de votre propre corps-elle repose sur vos expériences et vos pensées, vos sentiments et vos impressions des sens. Vous n’avez rien d’autre sur quoi compter directement(…). D’habitude, vous ne doutez pas de l’existence du sol sous vos pieds ou de l’arbre derrière la fenêtre ou de l’existence de vos propres dents. (…)Mais comment savez-vous qu’elles existent réellement ?(…)Y aurait-il une différence quelconque pour vous si toutes ces choses n’existaient que dans votre esprit-si tout ce que vous avez pris pour un monde réel extérieur n’était qu’un rêve gigantesque ou une hallucination qui ne se dissiperait jamais ? (…)Si toute votre expérience était un rêve, auquel rien ne serait extérieur, tout ce qui pourrait vous servir à vous prouver qu’il existe un monde extérieur ne serez qu’une partie de ce rêve. Si vous tapez sur la table ou si vous vous pincez, vous entendez le bruit du coup et vous sentirez le pincement, mais cela sera encore quelque chose qui se passe dans votre esprit, comme tout le reste. (…)Comment savez-vous que vous n’êtes pas venus à l’existence il y a quelques minutes à peine, avec l’ensemble de vos souvenirs présents ?(…)  

Cet argument sceptique développé par Nagel est d’ailleurs une faille du film car pour savoir si l’on se trouve ou non dans le rêve de quelqu’un d’autre, il faut se munir d’un totem, un objet dont on connaît seul les caractéristiques, le poids ressenti… Notez bien qu’il serait absurde de penser faire la différence entre son propre rêve et la réalité avec ce stratagème (si je connais un objet, mon subconscient connaît le même objet et je n’aurai aucun mal à me le représenter en rêve)…

Citation de Morpheus, personnage de la trilogie Matrix: « As-tu déjà fait ces rêves Néo, qui semblent plus vrai que la réalité ? Si tu étais incapable de sortir d’un de ces rêves ? Comment ferais tu la différence entre le monde du rêve et le monde réel ? »

“All that we see or seem
Is but a dream within a dream.”

– Edgar Allan Poe, A Dream Within A Dream (1849)

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One comment

  1. Ping by La conscience de soi = première vérité, Pascal, Locke | PhiloStjo on 25 septembre 2015 at 16 h 45 min

    […] : je constate que tout ce que je pense actuellement pourrait très bien me venir dans mes songes (lien avec Inception) = je les […]

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