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Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue

Politique spectacle

Politique spectacle

En 1962, dans son ouvrage Propagandes, Ellul distingue la propagande politique, facilement repérable et analysable, de la propagande sociologique, qui opère au niveau de l’inconscient :

« Quand bien même il ne se l’avoue pas, l’homme moderne a besoin de propagande. Il se croit et se dit informé, il est en réalité bombardé d’informations au point qu’il ne peut non seulement se faire une idée précise des événements qui lui sont relatés mais percevoir dans quelle mesure ceux-ci le concernent. Et comme la plupart de ces informations sont de l’ordre de l’accident, de la catastrophe, du fait divers quelconque, l’homme à l’impression de vivre dans un monde toujours plus dangereux, toujours plus oppressant. Il a donc besoin d’explications globales, d’une cohérence, bref, de jugements de valeur constituant une vision générale des choses : c’est ce que lui fournit la propagande. »

Ellul considère que le fait de s’imaginer que plus on dispose d’informations, et plus on devient objectif et apte à se forger son propre jugement relève du pur préjugé. Au contraire :

« Plus l’homme est informé, plus il est prêt pour la propagande et ce pour deux raisons : primo, parce que les problèmes de l’époque le dépassent, et qu’il faudrait – pour user correctement de ces masses d’information – consacrer du temps (plusieurs heures par jour) et beaucoup de travail pour les analyser, les digérer. Sans compter les vastes connaissances préalables indispensables en économie, politique, géographie, sociologie, histoire et autres. Et, bien entendu une capacité de synthèse et une mémoire hors pair. Secundo, parce que l’information qu’on nous délivre est instantanée, surabondante, omniprésente, et le plus généralement constituée de détails. Il est bien rare que l’informateur fournisse un contexte, une perspective historique, une interprétation. C’est justement ce que fera la propagande. »

Dans ce contexte, la « politique spectacle » répond à une attente générale que le politicien ne fait que satisfaire.

Trois ans plus tard, en 1965, Ellul publie L’Illusion politique. Il y affirme :

« L’homme occidental moderne est convaincu que tous les problèmes sont susceptibles d’une solution par la politique, laquelle devrait réorganiser la société pour qu’elle soit ce qu’elle devrait être. La politique permet de résoudre des problèmes administratifs, de gestion matérielle de la cité, d’organisation économique. Mais elle ne permet pas de répondre aux problèmes personnels, celui du bien et du mal, du vrai et du juste, du sens de sa vie, de la responsabilité devant la liberté… Cette conviction que les affrontements intérieurs de la personne comme la réalisation extérieure des valeurs sont affaire collective et trouveront leur solution dans l’aménagement politique n’est que la face mystifiante de la démission personnelle de chacun devant sa propre vie. C’est parce que je suis incapable de réaliser le bien dans ma vie que je le projette sur l’État qui doit le réaliser par procuration à ma place ; c’est parce que je suis incapable de discerner la vérité, que je réclame que l’administration la discerne pour moi. »

De même que, dans le passé, des dictateurs tels que Hitler, Staline ou Mao ZeDong sont parvenus, à force de propagande, à se faire passer auprès de leurs peuples pour des sauveurs (führer, « petit père », « grand timonier »…), de même aujourd’hui un chef d’État ainsi que l’État lui-même (cf. la notion d’État providence) se retrouvent fréquemment sur-investis, réceptacles de projections inconscientes. La politique jouant inconsciemment le rôle autrefois du mythe, on attend d’elle qu’elle se plie à un certain nombre de rituels et qu’elle prenne les apparences d’un spectacle.

En 1967, dans son ouvrage La Société du spectacle, l’essayiste Guy Debord considère que le productivisme caractérise fondamentalement la société occidentale : la production croissante de marchandises est devenue un but en soi. L’existence, dans sa totalité, est de plus en plus marchandisée (vécue comme une succession d’actes marchands) et médiatisée.

« 1 – Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. »

« 6 – le spectacle, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n’est pas un supplément du monde réel, sa décoration surajoutée. Il est le cœur de l’irréalisme de la société réelle. Sous toutes ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l’affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. Forme et contenu du spectacle sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du système existant. Le spectacle est aussi la présence permanente de cette justification, en tant qu’occupation de la part principale du temps vécu hors de la production moderne. »

« 30 – L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L’extériorité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout. »

Sous cet angle, la « politique spectacle » vaut à la fois comme caricature d’une société qui, tout entière, « se donne en spectacle » et comme compensation à l’impuissance de la classe politique à maîtriser l’appareil productif et la finance.

Durant les années 1960, une formule fait son apparition dans les magazines, qui prend peu à peu valeur de label : « vu à la TV ». Le fait qu’il soit fait mention d’un événement – quel qu’il soit – à la télévision confère à celui-ci une importance qu’il n’aurait pas eue sans cela. Marshall McLuhan traite de ce phénomène dans ses ouvrages et le résume dans une petite phrase devenue depuis célèbre : « le message, c’est le medium »41. Le canal de communication utilisé pour faire passer un message conditionne, façonne ce message au point de prendre plus d’importance que lui chez le récepteur. Ce n’est finalement pas tant le contenu de ce message qui le touche que son support, ceci pour la raison que ce récepteur est devenu fondamentalement consommateur de média.

En 1979, paraît aux États-Unis Culture of Narcissism: American Life in An Age of Diminishing Expectations, un ouvrage de l’historien américain Christopher Lasch (traduit en français deux ans plus tard sous le titre La Culture du narcissisme : la vie américaine à un âge de déclin des espérances). L’ouvrage explore les racines et les ramifications d’une normalisation de la pathologie narcissique dans la culture américaine du XXe siècle se basant sur des analyses à la fois psychologiques, culturelles, artistiques et historiques.

En 1988, dans leur livre La Fabrication du consentement, Edward Herman et Noam Chomsky affirment que les médias, ne constituent pas un « quatrième pouvoir », indépendant des autres (religieux, politique et économique), comme il est d’usage de le dire, mais s’adonnent à un traitement biaisé de l’information, entièrement au service des élites politiques et économiques. Ce que l’on considère habituellement comme de l’information relève selon eux d’un nouveau modèle de propagande : la désinformation pure et simple.

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