« Ils sont là, ils sont partout, dans nos villes, dans nos campagnes, sur nos réseaux sociaux… »

Et pourtant on les connaît mal. Nos lycéennes. Mes lycéens. De la voie pro. En faire un portrait serait nier la conscience de leur diversité. Monsieur Z va tout de même s’y coller.

1° Ils veulent changer l’école

J’aurais pu clairement afficher un titre provocateur, en claironnant ce que j’entends depuis des années que je suis en poste : «  On n’aime pas l’école ». Comme des habits trop serrés pour être agréables, comme un carré de plastique qu’on souhaite enfoncer à coup de marteau dans cette forme circulaire ; le Collège Unique les a broyés.

Avalés par la multitude. Incompris par leurs pairs. Ils arrivent dans le lycée pro avec des boulets aux pieds et nous, enseignants, on va essayer de les faire nager. Alors oui, ça va barboter au départ. Certains démarrent déjà au fond de l’eau. Mais souvent ça va mieux après. Bien mieux. Alors oui, il reste des mots grossiers, des vulgarités outrancières comme « mathématiques », « français » ou « histoire-géographie » qu’il va falloir réinventer. Comme si on allait faire de la grammaire, mais pas vraiment comme avant, en moins cheum.

2° Ils veulent pas s’asseoir

Alors déjà, ils peuvent pas. Bah non, ils ont le cartable au niveau du thorax, la doudoune hiver comme été et des lunettes comme s’ils allaient défiler au Festival de Cannes. Dans leur cartable : un stylo pour toute l’année et beaucoup de préjugés. Sur l’école ça c’est fait. Mais aussi sur les profs en général.

«  Waaaaaa m’sieur vous êtes sympa, VOUS, les autres ils nous écoutaient pas, rien qu’ils nous viraient car on n’avait pas nos stylos » Bah oui ma foi. Ils ont UN stylo.

Alors loin de là mon envie de dénigrer mes compagnons. Le contexte est différent. Le nombre aussi. Au lycée pro, on prend sans doute plus de temps. On s’apprivoise.

3° Ils veulent un avenir

Et si on doit retenir UNE chose de ce portrait. C’est ce point là, précis. Les lycéens professionnels ont un but, un objectif. Ils arrivent en classe avec cette idée géniale de devenir électricien, boulanger, commercial, chaudronnier. Des métiers et surtout des vocations. Alors oui, bien entendu, en seconde générale, on a des médecins, des avocats, des pompiers. Qui deviennent souvent des vétérinaires, des agents immobiliers, et des pompistes. Oui je suis chauvin et alors ? C’est le seul lycée où on voit encore des étoiles dans les yeux des élèves quand ils évoquent leur parcours. Un parcours tout tracé. Clair. Dont on a retiré toutes les ornières. Y a plus qu’à. Et dans ce parcours-là, les cours de matières professionnelles sont des moments privilégiés qui les éclairent, qui les guident. Et les profs d’atelier : « Cette prof en communication organisation qui criait tout le temps mais qui voulait tellement qu’on réussisse. On l’oubliera jamais. »

4° Ils veulent le respect

Le nôtre. Ils l’ont déjà. Mais ils arrivent souvent chez nous avec une étiquette. Parfois un tatouage, mode bestiaux. «  M’sieur en lycée pro y a que des szgueg, franchement vous voudriez trop être prof ailleurs non ? » Euh… Non. En fait pas du tout. Et c’est là que le portrait s’arrête. À ce point-là.

Diversité. Identités colorées et variées. Loin des clichés. En lycée pro, on n’est pas tous fan de rap et de Jul. Pas plus qu’ailleurs. C’est le siège de passionnés, du bois, du métal, de la pâte et du verbe. Des intelligences multiples. Des regards éclairés sur le monde de demain. Le lycée pro n’est pas une voie de garage, c’est un cri de liberté. Le CAP. Le bac Professionnel des filières nobles qu’on a trop souvent charriées. Et qu’on veut détruire. Pour faire entrer des carrés. Dans des trous circulaires. Encore.

Mais peu importe les instances d’en haut et leur vulgarité. La géométrie. Aussi. On va continuer à la réinventer.

 

Une chronique de Frédéric Lapraz

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