Pas de médaille pour les enseignants innovants mais plutôt…

Tout a commencé par Vincent Peillon qui dans une lettre adressée aux recteurs souhaite que les enseignants innovants fassent partie des candidatures aux ordres nationaux du Mérite et de la Légion d’honneur.

Immédiatement certains se sont gaussés… à commencer par les plus réactionnaires dont certains sont d’ailleurs doctement décorés !

 

Mais qu’en pensent les premiers concernés, les fameux “enseignants innovants” ?

La première difficulté pour recueillir leur avis, n’est pas de les trouver (j’en connais plein), mais qu’ils se sentent concernés par mon appel à témoignage. En effet, les enseignants innovants ont un gros défaut, une modestie hypertrophiée qui les empêchent de concevoir qu’ils puissent appartenir à cette catégorie. Pourtant innover est une composante “ordinaire” du métier d’enseignant et il ne devrait y avoir aucune prétention déplacée à se sentir acteur et propulseur d’innovations. Mais bon, j’ai rusé et lancé mon appel en ajoutant des qualificatifs synonymes mais ressentis comme plus modestes dans mon tweet :
“Dites les profs innovants, bricoleurs, inventifs… de ma TL vous aimeriez quoi vraiment ? #EtNeMeDitesPasUneDecorationJeVousCroiraisPas” et j’ai donc obtenu un certain nombre de réponses que vous pouvez lire ici (ou ci dessous).

 

Alors, qu’aimeraient-ils vraiment avoir de l’institution comme reconnaissance de leur travail ?

Tout d’abord, ils apprécieraient de ne plus être considérés comme bizarres ou à part mais de se retrouver dans la norme au sein d’une institution moderne et de son temps qui avance en expérimentant sans cesse. Ils aimeraient qu’on leur fasse confiance, qu’on n’exige pas d’eux des justifications incessantes alors qu’on n’interroge pas avec le même esprit tatillon des pratiques habituelles et pourtant largement inefficaces.

 

Ensuite ils souhaitent se sentir moins seuls, que d’autres collègues osent se lancer, de pouvoir partager/transmettre/échanger localement ou plus largement. Ces enseignants en recherche permanente ont besoin de se nourrir, de s’inspirer de ce que d’autres font, mais aussi de retours de questions sur ce qu’ils tentent. Je vois quotidiennement sur Twitter à quel point ces interactions sont source de créativité, permettent de réorienter, questionner, affiner les idées des uns et des autres, favorisent les projets inter-classes, inter-degrés et inter-disciplinaires. Mais tous les enseignants ne sont pas des adeptes des réseaux sociaux, des rencontres locales mais aussi plus larges, permettant de présenter le travail accompli, les réflexions en cours… seraient à développer largement. De plus l’institution pourrait intégrer et reconnaître des temps d’échanges et d’élaboration de projets en ligne (réseaux sociaux, forums, wikis…) comme du temps de réunion et/ou de formation continue.

 

Ces enseignants, qui prennent le risque de faire autrement pour essayer d’être plus efficaces ont aussi énormément besoin de soutien. Soutien de la part du directeur, de l’IEN, du chef d’établissement, des IG, des DASEN… ce n’est hélas pas toujours le cas, certains aimeraient au moins, tout simplement, “qu’on leur fiche la paix”, qu’on arrête de bloquer leur action avec des prétextes divers et variés souvent largement ridicules… Je n’oublie pas non plus que quelques-uns se heurtent à tellement d’incompréhension que cela nuit à leur carrière, qu’ils se retrouvent injustement mal jugés et parfois sanctionnés. Il est urgent que le conseil de l’innovation par exemple, propose un dispositif d’écoute et de médiation pour aider les enseignants se trouvant dans ces situations compliquées et douloureuses.

 

Ils demandent aussi à être accompagnés et formés, certains réclament même de rencontrer plus souvent leur inspecteur et pas seulement pour être évalués mais pour pouvoir parler de leurs projets et être conseillés. On pourrait aussi imaginer que l’institution s’intéresse à leur travail, aille voir ce qui se passe dans leurs classes, favorise des liens avec les chercheurs, contribuent à faire connaître et promouvoir les démarches les plus intéressantes…

 

Ils ont aussi besoin de temps, du temps pour élaborer, pour discuter, pour évaluer, se documenter… plus on s’éloigne des sentiers battus, plus on a besoin de réfléchir. Ce temps nécessaire, qui vampirise énormément la vie personnelle de nombreux collègues, mériterait d’être pris en compte : temps dégagé hors présence élèves, autorisations pour se rendre à des colloques et conférences…

 

Ces enseignants ont aussi, ce n’est pas une surprise, besoin d’équipement ! Un accès à une connexion dans la classe, des terminaux numériques ou autres… Il est surtout essentiel de leur fournir ce qu’ils demandent et pas un équivalent formaté sensé assurer une soi disant égalité sur le territoire ! C’est l’adéquation entre le projet et le matériel que l’enseignant connaît et souhaite utiliser que réside la garantie qu’il sera vraiment utile aux apprentissages des élèves et non enfermé dans un placard. En attendant, la plupart d’entre eux dépensent leurs propres deniers en matériel et fournitures diverses, ce qui vous en conviendrez n’est pas acceptable…

 

Surtout, ces enseignants atypiques, attendent une reconnaissance des qualités professionnelles qui comptent vraiment pour les élèves : leur capacité à inventer, bricoler, se remettre en question, sans cesse s’adapter aux besoins de leurs élèves en insufflant cette dynamique qui motive les apprentissages !

 

Et pour finir, ils aimeraient être vraiment entendus, donc si vous tombez sur ce billet et que vous avez des contacts au Ministère de l’Education Nationale, faites suivre !

 

Crédit photo : dorena-wm via photopin cc

Autre aspect illustré par Jack Koch :


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Ce billet est dédié à tous ces enseignants formidables qui améliorent notre école, ceux qui ont témoigné, ceux que je connais, ceux que je lis au quotidien sur Twitter, Facebook et leurs blogs sans oublier tous ceux que je ne connais pas encore…
Avec une dédicace toute particulière à David qui paie cher son investissement mais continue quand même sans jamais envisager d’abandonner !

 

Martial Pinkowski

Voilà en quelques lignes le résumé de plusieurs années de travaux, réflexions et publications qui conduisent parfois à se poser la question de la valeur de l’investissement personnel et de ses effets, alors que l’on a un sentiment, conforté, d’avancer dans la bonne direction.
Merci pour cet article qui me rappelle notre longue discussion au retour de Ludovia.
La place de nos institutions est grande dans cet ensemble, espérons que les orientations à venir soient plus responsables sur la valeur de cet engagement formatif et educatif quotidien qui ne laisse que peu de chance au renoncement.

Hervé Jeanney

Je proteste avec la dernière énergie contre ce Monsieur Jeanney qui tient des propos inadmissibles sur la cohérence et l’iridescente lumière de notre système de décorations républicain !
lol…

Charivari

Je ne sais pas trop si je dois me compter dans les « enseignants innovants », mais ce que je sais, c’est que je me reconnais dans tout ce que tu as écrit !
Merci pour cet article, et les autres !