Introduction. Ruptures et continuités XIXe-XXe : vers l’art moderne (1)

Introduction. Ruptures et continuités XIXe-XXe : vers l’art moderne (1)

 Le diaporama ne suffit pas : (lire en parallèle cette page). C’est indispensable car le texte ci-dessous est beaucoup plus complet.

https://drive.google.com/file/d/1EM6wN3tssUs3mqfaNGoZJijXrGXo-5vx/view?usp=sharing

Introduction au 3e grand thème du programme « ruptures et continuités XIXe – XXe », autrement dit la naissance de l’art moderne

Cela consistera à étudier la naissance et l’affirmation de ce qu’on a appelé en histoire de l’art  « l’art moderne » (comment nous l’avons fait pour l’architecture).

Avant d’étudier plus en détail cette histoire à travers l’étude de mouvements  ou d’artistes majeurs à qui on doit cette deuxième « révolution » artistique (après celle de la Renaissance) vos exposés, nous allons essayer de poser quelques questions préalables  ce  concept d’art moderne à commencer par ces deux :

– comment définir l’art ou l’artiste modernes

– comment périodiser sa naissance entre le XIXe et le début du  XXe siècle.

D’abord la définition (que tentait déjà Baudelaire dans ses cahiers des salons  :

« l’artiste moderne »  est « le peintre de la vie moderne ».

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Constantin Guys (1802–1892), Au foyer du théâtre; mesdames et messieurs)
1860 – 1892, aquarelle, avec lavis d’encre et plume, sur papier vélin (peau de vélot  c-à-d un veau mort-né très douce et fine qui sert à préparer le vélin), texturé 17.4 × 16.3 cm, Baltimore, Walters Art Museum.

en 1868  Baudelaire dans les Curiosités esthétiques où il assemble ses critiques d’art et ses comptes rendus des salons :

(Le moderne) « C’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable…Pour que toute modernité soit digne de devenir antiquité, il faut que la beauté mystérieuse, que la vie humaine y met involontairement, en ait été extraite ».

Mais Baudelaire est loin d’opérer de simples catégorisations. Il admire  à la fois Delacroix et les romantiques, critique l’anticomanie du Salon mais reconnait aussi les qualités artistiques d’Ingres, figure de proue du néo-classicisme dans la première moitié du XIXe. Depuis sa définition d’autres approches ont émergé en histoire de l’art.

Observons trois œuvres pour mesurer les enjeux de la notion d’art moderne et esquisser une première définition intuitive en même temps qu’une diachronie.

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Caspar David Friedrich, Le Moine au bord de la Mer, 1810, 1,10 m x 1,72 m, Berlin. Alte Nationalgalerie.

Contemplant ce tableau la femme d’un ami artiste disait qu’il la « laissa indifférente car il ne s’y passait rien ». Le tableau suscita la même réaction d’interrogation quand il fut exposé par l’Académie.

Pourtant, Heinrich von Kleist (1771-1811), écrivain qui meurt suicidé ayant tué aussi sa compagne atteinte d’un cancer incurable, écrira quelques commentaires parmi les plus pertinents sur l’art de Friedrich :

« Il n’est rien de plus triste et de plus pénible que cette position dans le monde : unique étincelle de vie dans un vaste royaume de mort, centre solitaire d’un cercle solitaire. Le tableau est là avec ses deux trois objets emplis de mystère, semblable à une apocalypse (…) et n’ayant, dans son uniformité et absence de rivage, d’autre premier plan que le cadre, c’est comme on vous avait découpé les paupières. »

Mark Rothko. Green on Blue, 1956. Huile sur toile, 228.6 × 161.3 cm. Coll. privée.

On retrouve, dans l’abstraction de Rothko, la même négation de la matière que dans le paysage de Friedrich, un message de nature mystique. Il y la même formule totalement dépouillée.

Rothko dit lui même de ses tableaux que ce sont des :

« représentations d’une unique figure humaine, seule, dans un moment d’immobilité absolue. ».

Cette citation pourrait également s’appliquer aux œuvres de Gaspard David Friedrich, sauf que chez Rothko, tout est métaphorique, l’abstraction étant plus poussée que chez Friedrich.

Le moine est le spectateur lui-même. Avec cette dissolution totale de la matière, Rothko fait également penser à Turner (voir ici) , et ses toiles où la lumière et la matière semblent fusionner dans un ensemble irréel.

Rothko dit, parlant de son travail :

« les rapports de couleurs, de formes, ou de toute autre chose ne m’intéressent pas...Ce qui m’intéresse, c’est uniquement d’exprimer des émotions humaines essentielles – la tragédie, l’extase, le destin etc.- et le fait que beaucoup de gens perdent leur contrôle et se mettent à pleurer devant mes toiles montre que je communique avec ces émotions essentielles. Les gens qui pleurent devant mes toiles passent par la même sorte d’expérience religieuse que moi-même, lorsque je les ai peintes. Et si, comme vous le dites, vous n’êtes touché que par leurs rapports de couleurs, c’est que vous ne m’avez pas compris ! »

Comme Friedrich, Rothko place le spectateur devant des abîmes imposantes qui suscitent des interrogations essentielles, existentielles comme le faisaient les paysagistes romantiques, mais il transcende l’esthétique et parvient à transmettre le sentiment de surnaturel, du divin, sans avoir recours à l’iconographie religieuse. C’est pour cela qu’on le classe dans l’expressionnisme abstrait.

2e oeuvre :

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E. Manet, Olympia, 1863, huile sur toile, 130,5 × 190 cm. Musée d’Orsay.

Deux avis de contemporains sur le Nu « rajeuni de Manet  :

« Le nu, cette chose si chère aux artistes, cet élément nécessaire de succès, est aussi fréquent et aussi nécessaire que dans la vie ancienne : au lit, au bain, à l’amphithéâtre. Les moyens et les motifs de la peinture sont également abondants et variés. mais il y a un élément nouveau qui est la beauté moderne ».

Baudelaire, Curiosités esthétiques 1868

A propos du tableau,
« Olympia ne s’explique d’aucun point de vue, même en la prenant pour ce qu’elle est, un chétif modèle étendu sur un drap […]. Nous excuserions encore la laideur, mais vraie, étudiée, relevée par quelque splendide effet de couleur […]. Ici, il n’y a rien, nous sommes fâchés de le dire, que la volonté d’attirer les regards à tout prix. »

Théophile Gautier, Le Moniteur universel, 1865

Georges Bataille, Manet, 1955
« Le nom de Manet a dans l’histoire de la peinture un sens à part. Manet n’est pas seulement un très grand peintre : il a tranché avec ceux qui l’ont précédé ; il ouvrit la période où nous vivons, s’accordant avec le monde qui est maintenant, qui est nôtre ; détonnant dans le monde où il vécut, qu’il scandalisa. C’est un soudain changement qu’opéra la peinture de Manet, un renversement acide, auquel le nom de révolution conviendrait s’il n’en découlait pas une équivoque : le changement à vue de l’esprit dont cette peinture est significative diffère au moins pour l’essentiel de ceux que l’histoire politique enregistre. […] Jamais avant Manet le divorce du goût public et de la beauté changeante, que l’art renouvelle à travers le temps, n’avait été si parfait. Manet ouvre la série noire ; c’est à partir de lui que la colère et les rires publics ont aussi sûrement désigné le rajeunissement de la beauté. D’autres avant lui avaient provoqué le scandale ; l’unité relative du goût de l’époque classique était alors touchée : le romantisme l’avait brisée, qui avait suscité des colères ; Delacroix, Courbet et, très classique, Ingres lui-même avaient fait rire. Mais l’Olympia est le premier chef-d’oeuvre dont la foule ait ri d’un rire immense. »

3e oeuvre sculptée cette fois :

Constantin Brancusi L’oiseau dans l’espace 1932, laiton poli, 151 cm avec le socle, Guggenheim New York.


Plusieurs décennies séparent Olympia de L’oiseau dans l’espace..

Mais si la question fondamentale posée par les deux oeuvres  est celle de l’acceptabilité d’une oeuvre d’art en termes d’esthétique (pour Manet, celle du Nu allongé peint), celle que pose l’Oiseau de Brancusi est d’une tout autre nature !

Le procès aux États-Unis en 1926 intenté par l’acquéreur de l’oeuvre à l’issue de l’exposition car il refusait de payer la taxe de douane de 40% sur le métal importé rendit Brancusi célèbre en même temps qu‘il tranchait la question de ce qui est ou n’est pas de l’art.  Le service de douane considérait que l’Oiseau dans l’espace envoyé  à une galerie pour une exposition, n’était pas une œuvre d’art mais un morceau de métal et donc soumis à une taxe. Or le juge en a décidé autrement.

Lire l’avant propos de Denys Riout dans l’ouvrage Qu’est-ce que l’art moderne 3 (folio Essais) :

https://drive.google.com/file/d/1QijqY4rNs9j7Gz_vPUuEMKNVKICItO1_/view?usp=sharing

https://drive.google.com/file/d/1FfA_vrQjtgQStIrYP2S4pgZsQU1mTUdt/view?usp=drive_link

https://drive.google.com/file/d/1Qwj63wlABZ042qt64_c7rA0egZpaf7p5/view?usp=drive_link

https://drive.google.com/file/d/1UzpTi213zOLfDUghgt7DM7WJ4SMnQrmr/view?usp=drive_link

On a souvent assimilé la modernité naissante dans l’art aux « avant-gardes » du début du XXe siècle.

Mais la notion d’avant-garde a-t-elle un sens ?.

Le réalisme de Courbet et l’impressionnisme de Monet sont les deux mouvements desquels vont émerger  les artistes que l’écrivain et critique d’art Théodore Duret (1838-1929) appelle pour la première fois les « avant-gardes »

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Edouard Manet, Portrait de Théodore Duret.  1868, huile sur toile, 43 × 35 cm. Petit Palais, Paris.

Voir ici : http://www.petitpalais.paris.fr/oeuvre/portrait-de-theodore-duret

(pour vous une idée sur le portrait espagnol du Greco à Velázquez voir cours de Khâgne ici).

Pour elles, les questions plastiques (couleur, lumière, formes, ligne) et (ou) l’expression du monde intérieur de l’artiste prennent le dessus sur le sujet fondé sur les genres picturaux . 

Dans ses écrits sur la peinture publiés en 1885 sous le titre « Critique d’avant-garde« , Duret observe les « nouveautés » qu’apportent des impressionnistes comme Monet, Manet, Pissarro ou Whistler (1834-1903) (exposition en cours au Musée d’Orsay) :

A propos des œuvres de Whistler voici ce que Théodore Duret écrit dans son ouvrage fondamental : Critique d’avant-garde (1885) :

 (…) le voici (càd Whistler) peignant une décoration où il n’y a plus de figures humaines, où il n’entre comme motif que le plumage irisé d’un oiseau, le paon ; alors la combinaison des tons donne le titre à l’œuvre, en passant en tête et en faisant descendre le motif au second rang. M. Whistler désigne son œuvre : Harmonie en bleu et en or : La Chambre du Paon.

Puis il ajoute comme explication : « Le paon sert de moyen pour effectuer l’arrangement de couleurs recherché. »

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Photographie de la salle Peacock peinte par James McNeill Whistler

Panoramique ici :

https://goo.gl/maps/8McPP1hX2yaiWigQ8

Cette chambre du paon (Peacock room) se trouve à Londres. C’est la salle à manger d’un hôtel particulier habité par M. Leyland. La décoration qui couvre le plafond et les parois de l’appartement se compose de deux motifs, l’un emprunté aux plumes de la queue du paon, l’autre à celles plus fines et différemment irisées de la gorge. Les deux motifs sont combinés et alternés pour donner de la variété au dessin, et en même temps, pour mettre dans le coloris la variété qui est dans le dessin, les motifs sont tantôt peints en or sur fond bleu, tantôt en bleu sur fond or. A l’une des extrémités de la salle, l’artiste, sur le mur fond bleu, a peint en or deux grands paons qui ont l’air de se défier et de s’exciter au combat ; sur la boiserie des volets fermés il en a, comme balance et opposition, peint une série en bleu sur fond or. Cette décoration tout entière bleue et or, d’une élégance et d’une originalité singulières, véritable plaisir esthétique.

M. Whistler a donc été conduit, par l’importance qu’il attache aux combinaisons de coloris, à donner l’arrangement particulier des couleurs pour titre principal à certaines de ses œuvres, en mettant le sujet en sous-titre. Il est allé plus loin encore. Il en est venu à supprimer absolument toute espèce de titre, autre que celui tiré de l’arrangement des couleurs.

James Abbott Mac Neill Whistler, «Symphony in grey and green: the Ocean». 1866, huile sur toile, 80x102cm. Frick Collection New York.

En 1874, il a fait à Londres, une exposition d’un choix de ses œuvres peintes et gravées. Certains tableaux, dans le catalogue, se trouvent simplement désignés : « Harmonie en gris et en couleur pêche. — Symphonie en bleu et en rose. — Variations en bleu et en vert. »

Quoi qu’il en soit, ces tableaux renferment encore des personnages ou sont des marines, des paysages éclairés par la lumière du jour, et l’œil s’arrête sur des formes sensibles et perçoit facilement autre chose qu’un arrangement de tons. Aussi, pour saisir M. Whistler à l’extrême point qu’il devait parcourir, faut-il prendre ce qu’il appelle ses « nocturnes ».

James Mac Neill Whistler, Nocturne en bleu et en or – le Vieux Pont de Battersea 1872-1875, huile sur toile, 67,9 × 50,8, Tate Gallery, Londres.

Il en a fait un grand nombre : « Nocturne en noir et en or. — Nocturne en bleu et en or. — Nocturne en argent et en bleu. » Répétant les mêmes effets avec variantes, il en est venu à peindre plusieurs nocturnes d’une même combinaison de couleurs et, pour les distinguer les uns des autres, à les désigner simplement par des numéros, disant : « Nocturne en bleu et en or, n° 1 . — Nocturne en bleu et en or, n° 2. »

Les nocturnes de M. Whistler, comme le nom l’indique, sont des effets de nuit. Prenons le plus clair, celui en bleu et argent, plaçons-nous à dix pas et regardons-le attentivement. L’impression que l’artiste veut fixer sur la toile est celle du clair de lune par une belle nuit. Il a choisi, comme sujet, une rivière avec ses bords, parce qu’après tout il lui faut bien un motif pour porter la couleur ; mais le motif n’existe pas pour lui-même, il n’a en soi aucune importance, aussi les bords de la rivière se distinguent-ils à peine, enveloppés qu’ils sont dans l’effet de nuit qui est le tableau, et ce qui est appelé à communiquer aux yeux l’effet que le peintre veut rendre, ce ne sont ni des lignes ni des contours, mais la gamme générale de tons bleus argentés qui, avec des inflexions de clair et d’ombre, couvre toute la toile. En somme, dans ce nocturne, il n’y a que deux choses sans contours et sans formes arrêtées, mais fort saisissables cependant, et arrivant à produire une impression puissante, de l’air et une gamme de tons délicate et vibrante.

M. Whistler, en tirant les dernières conséquences de la combinaison harmonique de couleurs qui était apparue instinctivement dans ses premières œuvres, est donc parvenu, avec ses nocturnes, à l’extrême limite de la peinture formulée. Un pas de plus, il n’y aurait sur la toile qu’une tache uniforme, incapable de rien dire à l’œil et à l’esprit. Les nocturnes de M. Whistler font penser à ces morceaux de la musique wagnérienne où le son harmonique, séparé de tout dessin mélodique et de toute cadence accentuée, reste une sorte d’abstraction et ne donne qu’une impression musicale indéfinie.

-> Cette question de la primauté des problèmes plastiques, formels qui passent avant le sujet est une des grandes ruptures de la modernité vers la fin du XIXe siècle qui mène à l’abstraction :

Ex. la fin de la couleur imitative (« couleur abstraite ») :

Paul Gauguin, La vision après Sermon, ou le combat entre Jacob et l’Ange. 1888, Huile sur toile, 73×92 cm, galerie Nationale d’Écosse, Edimbourg.

Autre révolution : la remise en cause de l’espace pictural né à la Renaissance par Cézanne : la remise en cause de l’espace pictural classique.

Simplification, schématisation, géométrisation des formes naturelles.

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Paul Cézanne, La Montagne Sainte-Victoire (vue de Montbriand), 1882-85, huile sur toile, 65,5 x 81,7 cm (The Metropolitan Museum of Art, New York)

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Paul Cézanne La Montagne Sainte-Victoire vue de la carrière Bibémus,1897, huile sur toile, 65 × 81 cm, Baltimore Museum of Art, Baltimore.

« Tout dans la nature se modèle selon le cylindre, la sphère, le cône [comme le soutient l’enseignement traditionnel]. Il faut s’apprendre à peindre sur ces figures simples. On pourra ensuite faire tout ce qu’on voudra » (Lettre à Émile Bernard le 15 avril 1904).

-> Des problèmes de périodisation : où placer la rupture dont naîtra l’art moderne ?

Faut-il avec Duret la placer au dernier quart du XIXe siècle ou remonter jusqu’au « réalisme » de Courbet vers 1850, voire jusqu’au romantisme à la fin d XVIIIe ? 

-> Mutations du XIXe siècle et leur impact sur les arts.

Rupture sociale :

Avec la Révolution, la bourgeoisie impose son goût pour le réel et pour la peinture d’histoire en général mais pas forcément pour l’Antiquité. Elle est moins portée vers le « grand style » (classicisme) et la peinture de l’exemplum virtutis des néo-classiques (J-L David, Le Serment des Horaces, Andromaque pleurant Hector mort), vite dépassé. La bourgeoisie, classe sociale montante, est davantage attirée par les genres « mineurs » : le portrait (Ingres, puis de plus en plus la photographie),  l’anecdotique (scène de genre contemporaine ou transposée dans le passé historique cf. « néo-grecs »), le paysage pittoresque (Corot).

C’est dans le milieu bourgeois d’amateurs d’art moderne,  de collectionneurs et de galeristes que les artistes modernes trouvent un soutien.

La bourgeoisie est aussi porteuse de valeurs d’épanouissement individuel (un des acquis des Lumières) par la réussite sociale, valeurs qu’adopteront beaucoup d’artistes au XIXe siècle pendant que d’autres préfèrent la bohème à la marge de la société bourgeoise (mondaines et prostituées).

L’individu est  susceptible d’exprimer ses sentiments, sa vision du monde (cf. Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, livre posthume) ce qui libère la création de l‘imitation classique  (représentation idéalisée de la nature) et de la hiérarchie des genres (voir essor sans précédent du portrait privé ). Mais attention, la fin du XVIIIe siècle est loin de se limiter aux frivolités de Fragonard et aux vertus viriles (Horaces) et féminines (Andromaque) de David.

Les romantiques sont les premiers à opérer une « subversion » de la théorie de l’imitation classique de la nature (forcément abstraite et normative) et des styles en vogue avant la Révolution (scènes galantes, paysages idéalisés…), pour exprimer leur subjectivité, souvent en se détournant du sujet traditionnel antique ou biblique au profit d’œuvres médiévales (Dante et la Divine Comédie) de la Renaissance (théâtre de Shakespeare), et plus généralement de sujets sombres et ténébreux comme le Paradis perdu de Milton (XVIIe) et bien sûr vers le paysage symbolique, voire mystique (genre dominant des romantiques).

Sur ce point lire extraits de l’ouvrage de Pierre Watt : Naissance de l’art romantique :

-> Un nouveau rapport à l’œuvre d’art et au « patrimoine ».

En 1791, création du Musée du Louvre -> «réunion de tous les monuments des sciences et des arts où l’on aménage en 1793 la Grande Galerie du Louvre, « Museum de la République ».

Hubert Robert, 1733-1808, La Grande Galerie du Louvre, huile sur toile, entre 1794 et 1796, Paris Musée du Louvre.

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En 1803, Vivant Denon «directeur général du musée central des Arts» profite des campagnes napoléoniennes pour constituer une « collection unique et exemplaire des chefs – d’œuvre universels » (comme p. ex. les antiques de la collection Borghèse.

Le Salon (créé en 1667) se démocratise, des salons et des expositions parallèles sont de plus en plus organisés, jusqu’au tournant du premier Salon des refusés de 1863.

Extrait du film Gervaise de René Clément (1956) qui met en scène la visite du Louvre décrite par Zola dans l’Assommoir. L’art à la portée de tous ?

https://drive.google.com/file/d/0ByMLcNsCNGb5YXM4OU1jU2FwRjQ/view?usp=sharing&resourcekey=0-9eESwLmwVwXLocFtPYOtJg

Mais, comme nous verrons plus loin, à côté du musée du Louvre (art ancien) et du Luxembourg (lieu d’exposition des oeuvres d’artistes contemporains achetées par l’État) et du Salon officiel, se développe, dans la deuxième moiié du XIXe siècle et au début du XXe, l’activité des galeries d’art qui répondent à la fois au besoin des artistes refusés au salon de se faire connaître et aux amateurs d’art moderne de satsfaire leur goût pour l’innovation.

I. Premières ruptures artistiques au tournant du XVIIIe vers le XIXe siècle.

I.1 Vers la fin du XVIIIe des artistes rompent avec la légereté du  style dominant : le rococo.

Johann Heinrich Füssli Le Désespoir de l’artiste devant la grandeur des ruines antiques, vers 1780 Sanguine et lavis brun – 42 x 36 cm Zurich, Kunsthaus, Grafische Sammlung.

Tout en utilisant l’essentiel des éléments picturaux du classicisme (figuration – imitation idéalisée de la nature, coloris, dessin), le romantisme les subvertit notamment par le de nouveaux sujets et la remise en cause de la hiérarchie des genres.

Car après la mort de Louis XIV, on avait assisté à des réactions au « Grand style » français du XVIIe (Philippe de Champaigne et Charles Le Brun au service Louis XIII puis de Louis XIV, Simon Vouet, et surtout Nicolas Poussin) : affirmaiton de l’individu (portrait de la Pompadour par Maurice-Quentin Delatour voir ici) et goût pour un art décoratif, aux sujets mythologiques, et peuplé de scènes galantes. C’est le style rococo :

Jean Honoré Fragonard, Les hasards heureux de l’escarpolette, entre 1767 et 1769, Huile sur toile, 81 × 64 cm, Wallace Collection, Londres.

La réaction des milieux officiels et des connaisseurs tels que Diderot (fondateur de la critique d’art avec ses écrits du Salon) ne se fait pas attendre. Dès le milieu du siècle des voix s’élèvent contre cet art de l’artifice et de la légèreté, voire du relâchement des moeurs (libertinage, érotisme, scènes galantes)  et appellent à un retour au « Grand style » ainsi qu’au sujet édifiant (exemplum virtutis) mettant en scène des figures exemplaires de l’Antiquité.

-> Remise en cause de la mode baroque et de la frivolité légère du rococo, Jacques-Louis David en France, John Flaxman en Angleterre (voir ici).

Jacques Louis David : vers une peinture héroïque, rhétorique austère, sans les effets baroque.

Jacques-Louis David -, Le Serment des Horaces, 1784-1785, huile sur toile, 330 × 425 cm, Musée du Louvre, Paris.

Tableau qui pouvait répondre aux attentes de Diderot pour qui il fallait « peindre comme on parlait à Sparte ». L’archéologie se développe (découvertes des peintures de Pompéi, et Herculanum) et une redécouverte de la Grèce (Parthénon d’Athènes, temples grecs de la Sicile) incarnent le « goût à la grecque » dans le mobilier et la décoration mais aussi dans la peinture et la sculpture.

Mais des artistes visionnaires comme le suisse Füssli sentent qu’une rupture fondamentale est en marche. Dès le XVIIIe siècle, la notion de « style » est remise en cause.

 I.2. Dès la fin du XVIIIe et tout au long du XIXe, la place de l’artiste change d’où une plus grande liberté dans le choix du sujet et des moyens plastiques.

Volonté de rupture avec l’héritage classique : remise en cause de la hiérarchie des genres : p. ex. le paysage.

« Être romantique, c’est dédaigner les filiations consacrées, transgresser les interdits formels, ignorer les poétiques qui oppriment l’esprit et brident le génie, c’est choquer les habitudes, oser innover pour proposer des œuvres vivantes, en prise directe sur les urgences et les problèmes du jour : « Le romantique dans tous les arts, c’est ce qui représente les hommes d’aujourd’hui, et non ceux des temps héroïques si loin de nous, et qui probablement n’ont jamais existé »

Stendhal, Critique amère du Salon de 1824

Désormais, à la tradition académique s‘oppose « l’artiste moderne » qui selon les mots de Baudelaire (auteur de critiques du Salon) est « le peintre de la vie moderne ».

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Constantin Guys (1802–1892), Au foyer du théâtre; mesdames et messieurs)
1860 – 1892, aquarelle, avec lavis d’encre et plume, sur papier vélin (peau de vélot (veau mort-né très douce et fine qui sert à préparer le vélin), texturé 17.4 × 16.3 cm, Baltimore, Walters Art Museum.

Charles Baudelaire analyse le Romantisme du milieu du XIXe siècle (Salon de 1846) pour mieux encadrer les artistes dont il va parler dans le Salon. Il assure que le Romantisme se repère par le présent : « S’appeler romantique, et regarder systématiquement le passé, c’est se contredire ». Il propose une la suivante définition : « Pour moi le romantisme est l’expression la plus récente, la plus actuelle du beau »

En effet des ruptures picturales apparaissent dès le début du XIXe : le romantisme invente l’idée de rupture par la modernité.

-Nouvelles représentations, remise en cause de l’académisme et  du néo-classicisme. Mais ces classifications sont aujourd’hui dépassées. Le romantisme à partir des années 1790 – 1800, opère une subversion du modèle classique grâce à des artistes qui recherchent un nouvel idéal esthétique fondé sur :

-le sentiment et le symbolisme de la nature,

-le sujet d’histoire contemporain et

-le retour à des textes et des mythologies oubliés : Iliade d’Homère et surtout Dante, Shakespeare, voire des poètes du XVIIe comme Milton (Lost paradise).

Du paysage classique :..

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Claude Gellée, dit le Lorrain, Ulysse remet Chryséis à son père, vers 1644, Musée du Louvre, Paris.

Paysage historique entièrement composé en atelier et construit de manière rigoureuse, dans la distribution de la lumière et au niveau de la perspective. Symbolisme et imitation idéalisée de la nature (mêlant éléments contemporains comme le port et les navires ou les costumes, et des architectures inspirées de l’Antiquité et d’autres périodes plus récentes. Le sujet est ici prétexte à élever le paysage (ici une marine à la manière hollandaise du XVIIe) au rang de la peinture d’histoire (même si la scène mythologique principale est reléguée à l’arrière plan). Le grand paysagiste romantique William Turner a admiré ces paysages de Claude et il en a composé plusieurs en dialogue avec ceux du grand maître français du XVIIe).

…au paysage romantique :

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C.D. Friedrich, Le Moine au bord de la Mer, 1810, 1,10 m x 1,72 m, Berlin. Alte Nationalgalerie.

Autre tendance nouvelle dans le premier tiers du XIXe siècle : le naturalisme (Constable en Angleterre, école de Barbizon en France : Corot).

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John Constable, La charrette de foin. 1821, huile sur toile, 130 x 185 cm, National Gallery, Londres.

Une représentation emblématique de l’« englishness », de l’Angleterre rurale du XIXe siècle. Mais c’est aussi une conception particulière de la peinture de paysage : la peinture « naturelle » loin de tout académisme (d’où l’admiration en France -> préfigure la révolution impressionniste).  « L’art de voir la nature est autant à acquérir que l’art de lire des hiéroglyphes » (John Constable)

L’expérimentation devient une pratique artistique de plus en plus partagée ce qui s’oppose à toute idée académique d’enseignement. Rompre avec les traditions n’est pas pour autant l’objectif des peintres du XIXe siècle. Comme l’affirme en 1868  Baudelaire dans les Curiosités esthétiques où il assemble ses critiques d’art et ses comptes rendus des salons :

(Le moderne) « C’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable…Pour que toute modernité soit digne de devenir antiquité, il faut que la beauté mystérieuse, que la vie humaine y met involontairement, en ait été extraite ».

Critiques du Salon de 1846 ici).

N’est-ce pas une allusion au fragment (le contingent) romantique ?

Liberté sur les sujets, importance du marché de l’art, appel à l’imagination.

L’image de l’atelier reflète ce passage

Jean-Henri Cless, Un atelier d’artiste en 1804, dit L’atelier de David Crayon, lavis d’encre de Chine et plume – 46,2 x 58,2 cm Paris, Musée Carnavalet.

Ici, les élèves artistes s’entraînent en imitant le modèle antique, l’exercice du dessin sur modèle nu ou sur moulage en plâtre est un passage obligé. Peu ou prou, le modèle académique domine encore la production artistique au XIXe mais il est de plus en plus concurrencé par des artistes novateurs et iconoclastes qui provoquent des débats acharnés lors des salons officiels et à travers la critique d’art.

L’artiste romantique est seul dans l’atelier, seul avec son monde intérieur, son imagination et ses expérimentations. La personnalité de l’artiste prend le dessus sur l’imitation des modèles académiques. L’artiste romantique se sent libre.

Georg Friedrich Kersting, L’atelier de Friedrich, 1812, huile sur toile, 53×41 cm, Alte Nationalgalerie, Berlin.

II. Le XIXe siècle, un siècle de débats esthétiques violents. (cf. Cromwell de V. Hugo, 1827 -> romantisme vs néo-classcisme.

II.1 Des artistes visionnaires émergent du néo-classicisme à la fin du XVIIIe y compris pour contester le rationalisme des Lumières.

William Blake 1757-1827 révolutionne l’illustration des livres par ses « impressions enluminées » d’une grande inventivité picturale.

Illustration de sa pensée philosophique entre le réalisme immédiat de son image et le symbolisme fantastique. Newton, homme nu qui a goûté le fruit de l’arbre de la connaissance, et maintenant, son intelligence révèle à son regard étonné de la « réalité » abstraite, de la création. Blake, comme Goethe s’interrogent  : la science newtonienne permet-elle à voir la réalité du monde ou éloigne-t-elle l’homme de la nature et du sacré ? Pour eux, nul doute c’est la deuxième idée qui domine. Dans cette image, Newton est enfermé dans un univers ténébreux, prisonnier de son hubris et confronté à son ignorance qui le renvoie au chaos primordial.

L’imaginaire de Blake se traduit par des visions intérieures et mystiques, un monde étrange peuplé de figures de nus classiques  et parfois de monstres terrifiants comme le Fantôme d’une puce ci-dessous.

Cet anti-newtonisme est partagé par Goethe et surtout par les peintres romantiques allemands comme  Caspar David Friedrich et surtout Otto Runge.

William Blake, Peste, mort d’un premier-né, 1805, plume, encre et aquarelle sur crayon et craie noire sur papier, 30x34cm, Museum of fine arts, Boston.

William Blake, Le fantome d’une puce, vers 1819-1820, detrempe sur panneau d’acajou, 21,4 cm × 16,2 cm, Londres, Tate Gallery.

William Blake, Capaneus le blasphémateur ou « l’horreur des temps modernes ». Illustration de la « Divine comédie » de Dante chant XIV de l’Enfer, plume, encre et aquarelle sur crayon et craie noire sur papier, 37 x 52 cm. 1824 – 1827. National Gallery of Victoria, Melbourne.

Blake met en images des sujets bibliques (en particulier ceux du Livre de Job en 1825), mythologiques mais il illustre aussi  la Divine Comédie de Dante. L’œuvre de Blake constitue une des sources majeures du romantisme et plus tard du symbolisme.

En montrant les limites du newtonisme, Blake n’annonce-t-il pas les cauchemars de la violence révolutionnaire au nom même des Lumières ?

Pour Goya, il n’y a pas de doute.

Francisco de Goya (1746-1828) a eu une grande influence sur l’éclosion à la fois du romantisme noir et du réalisme.

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Goya, Cannibales contemplant des restes humains, 1800-1805, huile sur bois 31x45cm, Musée de Besançon.

Goya est un artiste de la cour d’Espagne mais qui finit sa carrière en solitaire hanté par des songes angoissants peuplés de sorcières, de monstres, d’anthropophages. Comme Blake, il critique avec amertume (car il en était partisan) le rationalisme des Lumières.

Entre cauchemar et réalité.

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Goya, Le songe de la raison engendre des monstres, 1797, eau forte, 19×15 cm, Lille, Musée des Beaux Arts.

Entre cauchemar et réalité.
Le songe de la raison engendre des monstres (1797) est une gravure issue de la suite des Caprices. On peut aussi la rapprocher de son extraordinaire série, Les désastres de la guerre (elle-même inspirée de celle de Jacques Calot Les grandes misères de la guerre lors de la Guerre de Trente ans éditée en 1633 et qui guidera le travail d’Otto Dix dans sa série de gravures Der Krieg éditée en 1925) où il met en garde contre les abominations commises par l’occupant français et les résistants espagnols.

Justement, ces horreurs apparaissent lorsque la raison s’endort : c’est-à-dire quand l’homme se complait dans l’ignorance, la superstition, ou que des idées rationnelles engendrent quelque chose d’irrationnel (c’est la cas de la Révolution française, que Goya a soutenue et qui a sombré dans la terreur et la violence, un monde cauchemardesque où règne la folie meurtrière (cf. Désastres de la Guerre).
Il s’agit probablement de l’artiste lui-même (il a abandonné son crayon et sa tête repose sur des feuilles de papier) assis, sûrement assoupi . Sa plongée dans le sommeil est loin de le calmer car il y a dans sa pose même une tension. En effet, il semble enfouir sa tête au creux de ses bras car il est sur le point d’être envahi par d’inquiétantes créatures nocturnes : les « monstres », chauves-souris, hiboux, un lynx et un chat noir qui se rassemblent derrière lui.

Le romantisme noir est une des sources majeures du symbolise, mouvement international de la fin du XIXe.

II.2 Une première modernité : les romantiques français et la remise en cause de la tradition des genres picturaux.

En France : la première génération romantique s’élève contre le néo-classicisme entre les années 1800 et 1840 : Antoine – Jean Gros (Bataille d’Eylau, pestiférés de Jaffa), Géricault, Delacroix. (cf. texte fondateur de la préface de Cromwell par V. Hugo, 1827).

Une image d’époque semble résumer à elle seule les querelles qui ont accompagné l’arrivée du romantisme en France, notamment à l’occasion du Salon de 1827.

Caricature de presse : Le Salon de 1827, classique ou romantique ?

Salon de 1827. Entreront-ils, n’entreront – ils pas ? Grand combat entre le Romantique et le Classique a la porte du musée, gravure d’époque.

On a souvent dit que la première rupture moderne est le nouveau rapport au réel appelé « réalisme ». Mais les romantiques y faisaient déjà référence en cherchant dans l’actualité, l’histoire en marche des sujets traités dans des grands formats jadis réservés à la peinture d’Histoire antique ou biblique  : (campagnes napoléoniennes par Antoine –  Jean Gros (ici) ou Théodore Géricault ici, combats politiques avec la Liberté de Delacroix, voire des faits divers comme Le Radeau de la Méduse  de Géricault).  (voir plus loin)

Le sujet d’histoire est bouleversé

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Eugène Delacroix, La mort de Sardanapale, 1827, 392×496 cm, Paris, Musée du Louvre.

Exposé au salon de 1827-28, rompt avec le néo-classicisme par l’audace de la composition qui place les figures dans un espace dématérialisé.

Delacroix dit dans une lettre :

« J’ai fini mon massacre n°2. Mais j’ai eu à subir les tribulations des M.M. les très ânes membres du jury ».

Ses Femmes d’Alger  auront un succès beaucoup plus retentissant que l’académique Martyre de Saint Symphorien d’Ingres qui se fâche avec le jury du Salon. Mais Delacroix, n’est ni peintre maudit, le nouveau Rembrandt  ni peintre révolutionnaire. Il rêvait d’entrer dans l’Académie ce qu’il obtient dans les années 1850.

Le premier « artiste moderne » (au sens baudelairien) est l’artiste romantique.

Delacroix certes, mais avant lui déjà, Géricault.

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Théodore Géricault, Le radeau de la Méduse, 1819 : 4,9 m x 7,2 m huile sur toile fixée sur bois, Musée du Louvre.

De la peinture d’histoire à l’héroïsation du fait divers un manifeste de l’art nouveau.  L’inspiration à partir de l’actualité, y compris les faits divers comme le naufrage de la Méduse. Le sujet qu’il choisit (du moins en apparence) n’a rien à voir avec les grands faits historiques ni les grands hommes.

Le tableau est une critique sociale (mépris de classe et de race : il place le marin noir au sommet de a pyramide des naufragés) et critique politique de la Restauration (le roi a couvert dans un premier temps l’aristocrate capitaine).

La figure dite du « Père », une « tête d’expression » de la tristesse (cf. Charles Le Brun) en position mélancolique et qui arbore une croix de la légion d’honneur est le symbole de l’Empire qui a dévoré ses enfants tel Ugolin dans l’Enfer de Dante.

La tristesse, tête d’expression, gravure du XVIIIe d’après le dessin de Le Brun.

« Têtes d’expression des passions de l’âme » qui « exercent des fonctions sur le visage », selon les mots, prononcés en 1668 à l’occasion d’une célèbre conférence à l’Académie royale de peinture et de sculpture proposée par Charles Le Brun (peintre de la galerie des glaces à Versailles, XVIIème siècle).

L’artiste s’inspire de la théorie cartésienne des passions (1649), mais aussi de la théorie aristotélicienne de l’art comme imitation (mimesis), pour montrer que les passions restent toujours le signe d’une interaction entre l’âme et le corps ; le visage traduit mais aussi, de ce fait, trahit les affects.

https://www.beauxarts.com/grand-format/charles-le-brun-lame-au-corps/

On voit bien que les romantiques ne rompent pas avec l’héritage classique mais le détournent et l’adaptent  leur propre viison de l’art de peindre.

Cette étude préparatoire est la seule à montrer un scène de Cannibalisme.

Étude préparatoire figurant une scène de cannibalisme sur le radeau.

Théodore Géricault, Étude  Crayon noir, lavis d’encre brune, gouache blanche en rehauts et en lavis sur papier beige. 28 x 28 cm. Musée du Louvre.

La réception de ce tableau exceptionnel :

Tableau représentant un salon du musée du Louvre, où est exposé Le Radeau de La Méduse.

Nicolas Sebastien Maillot Vue du Salon carre du Louvre avec la Méduse et le Déluge de Girodet 1831, huile sur toile, 126 × 142 Louvre. Louvre. On y voit aussi des oeuvres de Poussin, de Claude Le Lorrain.

Le tableau a été accroché assez haut hors de portée du regard indifférent. Même s’il a été remarqué par les critiques et le public , l’artiste ne reçut qu’un simple médaille avec 30 autres peintres et sculpteurs.

« Pendant toute la durée de l’exposition, la foule resta comme fixée en permanence devant le radeau de la Méduse. : on en parlait dans les journaux, dans les ateliers, dans les salons. En vain quelques artistes et même quelques théoriciens que tout ce qu’ils voient pour la première fois épouvante, crièrent à l’abomination, à la violation des usages. les uns se demandaient si c’était un tableau d’histoire, d’autres ne consentaient à y voir qu’une marine et encore, car ils auraient voulu agrandir la mer et rapetisser le radeau ».

Le critique Mahul en1825.

C’est une nouvelle peinture d’Histoire, une œuvre politique que Hans Belting a comparé à Guernica.

Le tableau de Delacroix, lui aussi inspiré de l’actualité, Massacres de Scio, fait également scandale :

Eugène Delacroix, Sène des massacres de Scio, huile sur toile 419 cm × 354 cm. Paris. Musée du Louvre

Le critique d’art Delécluze note dans le Journal des débats :

“Lorsque mes regards se sont dirigés sur cette Scène du Massacre des habitants de Chio, peinte par M. Delacroix, livré à mes propres impressions, j’ai frémi, et je me suis demandé si, dans l’exercice d’un art qui en dernière analyse est fait pour plaire, le bon goût (…) permettait qu’on exprimât des sentiments, des formes qui déplaisent, repoussent, font horreur”

Stendhal, pourtant militant du romantisme littéraire, déclare dans Le Journal de Paris du 9 octobre 1824 : « J’ai beau faire, je ne puis admirer M. Delacroix et son Massacre de Scio » lui reprochant « une exagération du triste et du sombre » en montrant « des cadavres livides et à moitié terminés ». Le Siècle ajoute : « Il y eut des critiques qui, en manière de reproche, comparèrent le Massacre de Scio à un cinquième acte de Shakespeare, et qui inventèrent une formule, le culte du laid (…). Ils accusèrent la dépravation du goût dans ce mélange de grotesque et de sublime » . Toutefois, la critique la plus virulente vient d’Antoine-Jean Gros de La Presse qui vit dans l’œuvre « un massacre de la peinture »

Un des plus sanglants épisodes de la guerre d’indépendance grecque (1822). Porté par le sentiment philhellénique très partagé en France, admiratif de l’engagement de Byron,  Delacroix fait une des premières peintures d’Histoire moderne. Car, dans sa rupture avec l’antique, au lieu de se perdre dans l’anecdotique du fait divers, il cherche à faire de la grande peinture d’Histoire : celle qui élève le transitoire vers l’éternel, dans le choix des personnages comme dans celui de la composition. Les corps ne sont pas idéalisés, la composition manque d’unité (le contraire des leçons de Gros), aucun épisode n’est privilégié et la touche au lieu d’être lisse elle grasse, visible.  Il n’y a ni traîtres ni héros ici. Les victimes semblent résignées et seul Baudelaire a saisi cet hymne à l’acceptation nonchalante de la souffrance irrémédiable et de la fatalité.

Ainsi l’homme qui refuse d’être affilié à aucune école, se trouve affublé de l’ étendard d’une nouvelle esthétique.

Géricault avait déjà rompu avec. la tradition de la peinture d’histoire avec le Cuirassier blessé du Louvre :

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Théodore Géricault Cuirassier blessé quittant le feu 1814, huile sur toile 358 cm × 294 cm. Musée du Louvre, Paris.

Mais cette querelle est loin de résumer les clivages esthétiques des débuts du XIXe siècle.

Si Ingres semble être un des représentants majeurs du néo-classicisme au XIXe siècle, un académiste figé, restant dans l’ombre de son maître David,  il s’en détache assez tôt pour se diriger vers l’appropriation de cet héritage antique qu’il admirait tant.

Maître à Paris, il dit à ses élèves :

« Il faut copier la nature toujours et apprendre à bien la voir. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’étudier les antiques et les maîtres, non pour les imiter, encore une fois, pour apprendre à les voir »

(Ingres, De l’art et du beau).

Ses grands principes étant: « l’antique comme idéal, Raphaël comme modèle, le dessin comme morale, la Nature comme philosophie ».

Et pourtant, ses tableaux n’ont cessé de provoquer des critiques virulantes et ironiques :

« Est-ce que Hingres (sic) se moque du monde ? On n’a pas vu de pareilles charges que son tableau »

« Il semble plutôt s’efforcer à se rapprocher des débuts de la peinture qu’à pénétrer des beaux principes qu’offrent les plus belles productions de tous les grands maîtres de l’art. »

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Jean-Auguste-Dominique Ingres, Jupiter et Thétis 1811,Huile sur toile, 327 × 260 cm, Musée Granet, Aix-en-Provence.

On voit bien ainsi les limites des catégorisations et des classifications.

Ingres Le bain turc 1862, huile sur toile collée sur bois, d – 110 cm, Paris, Musée du Louvre.

Et sa relecture de Picasso :

La coiffure, Gosol-Paris 1906 huile sur toile 126 x 91 cm. MOMA New York.

La Coiffure, fusain sur papier, 1906, 17 x 11 cm Sothesby’s.

Les romantiques sont les premiers à s’inspirer de l’évolution des sciences comme Constable pour la météorologie (cf. ses études sur les nuages) et Delacroix pour les théories du chimiste Michel – Eugène Chevreul sur le contraste simultané des couleur.

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Eugène Delacroix, Femmes d’Alger dans leur appartement, 1834, huile sur toile, 180 cm × 229 cm. Musée du Louvre.

Au XIXe siècle, Delacroix devient le plus grand coloriste du siècle loué par Baudelaire et Charles Blanc. Mais il est aussi admiré pour ses qualités de dessinateur.

« …C’est par séries que le peintre oppose ses tons et les entrelace, les fait se pénétrer mutuellement, se répondre, se mitiger, se soutenir… Et  quelle variété ! quelle souplesse ! quelle aptitude à nuancer les  effets de la lumière dans un même pays, là où d’autres ont eu  de la peine à saisir un seul effet pour le répéter constamment… »

« (…) Pour exalter et harmoniser ses couleurs, il emploie tout ensemble le contraste des complémentaires et la  concordance des analogues(en d’autres termes la répétition  d’un ton vif par le même ton rompu) ; (…) ; il emploie aussi la modulation des couleurs  et ce qu’on appelle le mélange optique. »

Charles Blanc, Grammaire des arts du dessin 1867.

« J’ai fait toute ma vie du linge assez vrai de ton. je découvre un jour, par un exemple évident : l’ombre est violette et le reflet vert » (Delacroix, Notes de Dieppe 1854).

Sur la terminologie du mélange de couleurs voir :

https://www.lejardindekiran.com/experimenter-le-melange-des-couleurs-en-peinture-reperes-et-principes/comment-page-1/

https://nabismag.fr/2016/12/18/couleur-rompue-rabattue-degradee/

Les impressionnistes retiennent la leçon des ombres colorés et du contraste simultané .

Monet, Femmes au jardin, vers 1866, 255 × 205 cm, huile sur toile,  Paris, Musée d’Orsay. Ombres violettes sur la peau et les robes.

Claude Monet, Les Coquelicots,1873, Huile sur toile, 50 × 65 cm. Musée d’Orsay

C’est donc de cette période charnière du romantisme (1800 -1850) qu’émerge  l’art moderne :

Les romantiques transgressent le canon esthétique de la mimésis (imitation soumise au canon esthétique du beau idéal hérité de la Renaissance.
Ils bousculent la hiérarchie des genres : nouveaux sujets (tirés de l’actualité, mettant en scène horreur et laideur, goût pour le sublime), non respect du format de la toile…

Le paysage, genre mineur, devient le support d’une nouvelle peinture religieuse (Friedrich en Allemagne) et de nouvelles manières d’aborder la la nature (Constable), la forme et la couleur (Turner)

Les romantiques commencent également à s’intéresser à des problèmes purement plastiques, notamment celui de la couleur qui répond à des lois optiques cf. Delacroix et les Femmes d’Alger). Delacroix s’emble être au courant des travaux du chimiste Michel-Eugène Chevreul, auteur de l’ouvrage : Loi du contraste simultané des couleurs. Felix Nadar lui consacre une série de photographies prises lors de l’interview du vieux savant par le photographe même.

III. Réalisme et impressionnisme contre l’académisme (1850 – 1880).

III.1. Une époque féconde mais aussi divisée et violente.

Gustave Courbet : un artiste « moderne » (?), passeur du romantisme vers le « réalisme ».

Courbet incarne plus que tout autre artiste une autre opposition au néo-classicisme. Admirateur de Rembrandt, de Velàsquez, de Ribera plutôt que de Léonard, de Raphaël ou de Michel-Ange…

Gustave Courbet – Le Désespéré. Autoportrait. 1843-1845 Huile sur toile, 45 × 54 cm. Coll. privée. (sur ses autoportraits voir ici).

Tête d’expression de Charles Le Brun ? Tronie de Rembrandt, émotion de nature romantique…

Image dans Infobox.

Gustave Courbet, Le Bord de mer à Palavas, ou l’Artiste Devant la Mer, 1854 , Huile sur toile, 37 × 46 cm, Musée Fabre, Montpellier.

Commande? par Bruyas, ce tableau a e?te? peint lors du premier se?jour de l’artiste a? Montpellier. La référence au tableau Moine au bord de la mer semble évidente mais Courbet ne s’embarrasse pas de questions spirituelles sur l’invisibilité oula visibilité de Dieu dans la Nature. Ses paroles sur ce petit tableau montrent qu’on est loin des interrogations métaphysiques de Friedrich.:

« Ô mer ! Ta voix est formidable, mais elle ne parviendrait pas à couvrir celle de la renommée criant mon nom au monde entier ! »

Pour le peintre franc-comtois, les paysages languedociens et la mer Méditerranéee, avec leurs ciels si vastes et lumineux, leurs e?tendues planes et nues, sont une re?ve?lation.

Au-dela? de la de?couverte et de l’observation re?aliste du paysage, un grad lyrisme se dégage de la scène notamment dans ce salut exalte? de Courbet a? la mer.  C’est cette dimension romantique que l’on retrouvera dans la magistrale se?rie des Vagues

La série de la Vague témoigne de son admiration pour Victor Hugo (voir son dessin « Ma Destinée »).

Voir tableaux de Courbet ici :

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Vague_(Gustave_Courbet)

Gustave Courbet, La Vague, 1870. Huile sur toile, 1,17 x 1,60 m.  Paris, musée d’Orsay.

On voit bien qu’il est un fils spirituel du romantisme,  il se tourne vers l’observation de la société dès le milieu du XIXe siècle.

En effet, à l’opposition binaire (néo-)classique – romantique succède à partir de 1850-60 un certain nombre de courants novateurs :

-Néo-grecs : le « réalisme appliqué à l’antiquité.

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Jean-Léon Gérôme, Un combat de coqs 1846, huile sur toile, 143×204 cm, exposé et primé au Salon de 1847, Musée d’Orsay.

Les néo-grecs sont des jeunes artistes qui tentent de renouveler la peinture d’histoire en remettant en cause, comme les romantiques, la hiérarchie des genres. Selon Théophile Gautier c’est bien de la peinture d’histoire grâce, outre le grand format, au motif « grec », à la primauté du dessin sur la couleur, au nu idéalisé des corps, au traitement stylistique à l’antique.

Ainsi la puissance de l’idéalisation transforme une scène de genre en reconstitution archéologique et gracieuse en évacuant toute trivialité propre au réalisme et à la scène de genre.

– Réalisme : la scène de genre sans idéalisation classique (mimésis).

Une des premières toiles « réalistes » :

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Gustave Courbet, L’Après-dînée à Ornans 1849 Huile sur toile (195 cm x 257 cm) Musée des Beaux Arts Lille

Courbet décrit cette scène comme une tranche de vie : 

« c’était au mois de novembre, nous étions chez notre ami Cuenot, Marlet revenait de la chasse et nous avions engagé Promayet à jouer du violon devant mon père».

 Vu comme un « Autoportrait par défaut », ce tableau nous plonge dans l’intimité du peintre dont on sent la présence sans le voir. Tableau remarqué (caravagisme, siècle d’or hollandais). Le critique Champfleury dit :

« Personne hier ne savait son nom, aujourd’hui il est dans toutes les bouches ».

Une fois le tableau acheté par le ministère, il est envoyé au musée de Lille (style nordique oblige) où le grand critique retourne le voir en 1860 pour « juger l’artiste plus sainement ».

La scène représentée frappe par son insignifiance, sa banalité quotidienne. Il essuie alors ses premières critiques de peintre du « grossier », du « trivial », de « l’immonde ». Le tableau ouvre toutefois à une forme de notoriété et de reconnaissance. Il lui vaut une médaille de seconde classe et est acheté 1 500 francs par l’État la même année.

Le réalisme selon Gustave Courbet dans son « Manifeste du réalisme«  (préface du catalogue de son exposition de 1855).

Le titre de réaliste m’a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques.  Les titres en aucun temps n’ont donné une idée juste des choses ; s’il en était autrement, les oeuvres seraient superflues. Sans m’expliquer sur la justesse plus ou moins grande d’une qualification que nul, il faut l’espérer, n’est tenu bien comprendre, je me bornerai à quelques mots de développement pour couper court aux malentendus.

J’ai étudié, en dehors de tout esprit de système et sans parti pris, l’art des anciens et l’art des modernes. Je n’ai pas plus voulu imiter les uns que copier les autres ; ma pensée n’a pas été davantage d’arriver au but oiseux de l’art pour l’art. Non ! j’ai voulu tout simplement puiser dans l’entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité. Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Être à même de traduire les moeurs, les idées, l’aspect de mon époque, selon mon appréciation, en un mot, faire de l’art vivant, tel est mon but. »

Ce n’est pas ce que lui demandait le critique  à propos des Casseurs de pierre (tableau détruit au bombardement de Dresde en 1945)

Jean-Désiré-Gustave Courbet Les casseurs de pierre, 1849 65 cm x 56 cm, huile sur toile. Musée Oskar Reinhart « Am Römerholz »

Du Pays (critique d’art) fustige dans l’Illustration :

« Pour rendre son sujet plus maussade encore, l’artiste supprime les deux têtes des ouvriers, c’est à dire les seules choses capables de conserver de l’intérêt sur un sujet aussi vide. (…) Que reste-t-il donc à regarder dans ce tableau de grande dimension ? Des chemises et des gilets déchirés, des fonds de pantalon rapiécés, des talons qui passent à travers les trous de vieilles chaussettes, des sabots, une hotte, un marteau et des pierres concassées ».

Le réalisme de Courbet est poussé à l’extrême avec l’Origine du monde :

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Gustave Courbet, L’Origine du monde, 1866, huile sur toile, 46×55 cm, Musée d’Orsay.

Tableau peint et vendu d’abord à Khalil-Bey, ambassadeur turco-égyptien du Sultan à Paris, le même qui possédait aussi le Bain turc d’Ingres, grand amateur de jeux d’argent, d’art et de femmes ce qui lui valut de contracter la syphilis (le tableau est-il un ex-voto suite à sa guérison ?).

Tableau caché, longtemps disparu et réapparu dans les années 1980-90, il a appartenu au psychanalyste Jacques Lacan, avant de devenir propriété de l’État. Il est décrit par Maxime Du Camp, critique scandalisé par tant de réalisme :

 » Pour plaire à un très riche musulman,  (…) Courbet (…) dont l’intention pompeusement avouée était de renouveler la peinture française, fit un portrait de femme difficile à décrire.  Dans le cabinet de toilette du personnage étranger auquel je viens de faire allusion, on  voyait un petit tableau caché sous un voile vert. lorsque l’on écartait le voile, on demeurait stupéfait d’apercevoir une femme de grandeur naturelle, vue de face, extraordinairement émue et convulsée, remarquablement peinte, reproduite con amore, ainsi que disent les Italiens, et donnant le dernier mot du réalisme. Mais par un inconcevable oubli, l’artisan, qui avait copié son modèle sur nature, avait négligé de représenter les pieds, les jambes, les cuisses, le ventre, les hanches, la poitrine, les mains, les bras, les épaules, le cou et la tête. Il est un mot qui sert à désigner des gens capables de ces sortes d’ordures, dignes d’illustrer les oeuvres du marquis de Sade, mais ce mot, je ne puis le prononcer devant le lecteur, car il n’est usité qu’en charcuterie ».

Tableau voilé qui appelle le dévoilement par le propriétaire devant ses invités, censé provoquer un dérèglement des sens.

Mais Edmond de Goncourt qui le voit par hasard dans une galerie parisienne, derrière un paysage sans intérêt « Devant cette toile que je n’avais jamais vue, je dois faire amende honorable à Courbet : « Ce ventre, c’est beau comme la chair d’un Corrège ».

Mais que peut signifier le geste pictural si particulier de Courbet dans ce tableau?

Vu la manière de peindre très largement classique (Edmond Goncourt le confirme en le comparant à Corrège) et le titre donné à ce qui ne doit pas être vu ni nommé, Courbet semble pousser à l’extrême sa conquête du réel.

Il soulève les questions formelles fondamentales des limites de la représentation (sublime). Au-delà du sujet scandaleux, la focalisation sur le sexe féminin, la fragmentation du corps par le morcellement de la vision (cf. texte de Du Camp ci-dessus). Une représentaiton radicalement opposée au nu académique.

Cette dualité du voilement de l’identité du modèle et du dévoilement de ses parties intimes, renvoie à des sources particulières, les photographies obscènes contemporaines du tableau caractérisées par la pilosité, les parties génitales exposées. Mais Courbet évite l’exhibition obscène.

Certains ont souligné que l’Origine du monde présentait des incohérences anatomiques, notamment l’emplacement discutable du nombril et le sein gauche curieusement absent sans même un effet de bombé du drap. Peut-être aussi que l’effet de perspective du corps est trop accentué. On sait que Courbet peignait beaucoup de mémoire, ceci constitue peut être une explication de ces quelques approximations. Elles peuvent aussi relever d’une volonté du peintre qui aura travaillé ce corps pour donner une prépondérance visuelle forte à la sensation que provoque la vue de cette position, plutôt que de s’attacher à une vérité anatomique. Ce n’est pas la première fois que Courbet prend des libertés avec la réalité.

D’autres ont pu rapprocher l’Origine du monde de la Madone Sixtine (voir ici) de Raphaël, montrant un autre dévoilement, celui du Dieu fait homme.

Ainsi, par ce geste pictural audacieux associé au geste du dévoilement par le propriétaire probablement prévu dès la commande, Courbet s’en prend aux conventions et aux normes et devient même iconoclaste en détournant le dispositif du dévoilement, habituellement associé à la religion, au profit d’un autre culte, celui de la peinture.

L’ère des scandales…

En effet, pas de modernité sans scandale, sans volonté de rupture. Dans la suite des débats acharnés entre « romantiques » et « néo-classiques » des années 1820-1850, d’autres ruptures, rejets et scandales sont provoqués dès avant les impressionnistes. Courbet et Manet, au même titre que Flaubert ou Baudelaire en littérature, génèrent de violentes réactions de la bourgeoisie protectrice des arts et de l’ordre moral que remettent en cause la réalité des corps et des mœurs mis en scène par les peintres.

Pour comprendre le climat qui pouvait entourer certaines oeuvres il suffit de comparer L’origine du monde (voir ici) de Courbet (inspiré probablement d’une photographie érotique), le Déjeuner sur l’herbe (voir ici) (inspiré du Jugement de Pâris (voir ici) de Raphaël) et l’Olympia (voir ici) de Manet (inspirée de la Vénus d’Urbin (voir ici) de Titien).


Édouard Manet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1862-63, huile sur toile, 208 x 264 cm. Musée d’Orsay, Paris.

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Marcantonio Raimondi, Le Jugement de Pâris, d’après Raphaël. Gravure sur cuivre, Vers 1515 – 1516.
On voit bien Manet précéder par détournement d’oeuvre issues de la tradition académique. Il ouvre une voie qu’explorera Picasso de manière éclatante au XXe siècle. Autre exemple célèbre, Olympia.

E. Manet, Olympia, 1863, huile sur toile, 130,5 × 190 cm. Musée d’Orsay.

Refusée en 1863, l’oeuvre a été acceptée au Salon de 1865 mais dans un climat de mépris et de critiques violentes. Le nom « Olympia » fréquent dans les maisons closes, le bouquet, cadeau d’un client, le chat, allusion sexuelle évidente, ont choqué. Enfin le traitement pictural du nu avec cette blancheur naturelle et l »absence d’idéalisation sans oublier l’assurance qui se dégage du regard de cette femme et labsence de toute pudeurMais ce qui a le plus frappé les meilleurs critiques du moment, ce n’était pas le sujet – provocant, certes –, mais l’éblouissant « morceau de peinture », par exemple dans toutes les nuances de blanc, de crème et de rose qui s’étagent de bas en haut, du drap à la robe de la servante.

« Vous avez admirablement réussi à faire une œuvre de peintre, de grand peintre […] à traduire énergiquement et dans un langage particulier les vérités de la lumière et de l’ombre, les réalités des objets et des créatures », écrivit Zola.

En revanche les artistes académiques comme Cabanel perpétuent les leçons de Raphaël sans avoir forcément son talent…

Ingres a copié la Vénus d’Urbino de Titien, Cabanel s’en inspire et reste dans l’idéalisation avec la Naissance de Vénus :

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Alexandre Cabanel, La Naissance de Vénus, 1863, huile sur toile, 130 cm × 225 cm. Musée d’Orsay.

Tableau acquis par Napoléon III sur la liste civile (ensemble des dépenses personnelles de l’empereur). Lire les critiques élogieuses de Théophile Gautier et celles plus drôles et ironiques d’Émile Zola (article Wikipedia). L’œuvre de Cabanel est acquise pour 15 000 francs par lempereur, et placée à l’Elysée où séjournaient les souverains étrangers. Cabanel était professeur aux Beaux Arts et peintre très en vue. Mais Il préférait les scènes de genre, les portraits, les paysages, les sujets familiaux ou… militaires. 

Dans la suite des débats acharnés entre « romantiques » et « néo-classiques » Courbet, Manet comme Hugo, Baudelaire et Flaubert génèrent des réactions violentes.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/ba/Tizian_102.jpg/1024px-Tizian_102.jpgTitien, Venus d’Urbino, 1538 , huile sur toile, 119x165cm Galerie des Offices Florence

Manet le transpose dans la vie moderne (cf. aussi Picasso et les Demoiselles).

« Pour cette école tout réside dans la justesse du rendu ; elle affecte malheureusement une prédilection pour les sujets communs ou repoussants » dira un critique.

Avec Courbet et Manet, le sujet n’existe qu’une fois peint.

Aucun évènement ne vaut la représentation de la vie contemporaine telle que l’artiste la voit, sans idéalisation, ni référence aux sujets historiques.

C’est d’une nouvelle « peinture d’histoire » qu’il s’agissait, celle du temps présent. Une peinture qui étudie le réel, mais en s’inspirant des grands maîtres. Courbet n’avait aucune intention de renier la tradition picturale d’un Titien, d’un Rubens ou d’un Rembrandt, voire d’un David ou d’un Géricault. Mais « il peignait avec gravité la force et le caractère qu’on réservait d’habitude pour les dieux, les héros et les rois » comme l’affirme le critique Jules Antoine Castagnary. D’autres fustigeaient L’enterrement à Ornans :

Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans , 1849-1850, huile sur toile, 315 × 668 cm, musée d’Orsay, Paris.

« Si votre génie répugne à l’idéal et n’a d’affinité que pour les réalités, mettez-les au moins en valeur (…) par le côté artistique que aurez bien su saisir ». (A. Du Pays dans l’Illustration, 1851)

En effet, les premiers artistes modernes appartenaient plus ou moins à des groupes insultés à cause de l’incompréhension de leurs contemporains. Mais petit à petit considérés comme des artistes audacieux, en rupture avec la tradition, en avance sur leur temps,.

 

III.2. La révolution impressionniste fait scandale. 

Pissarro « La Côte de Jallais » accrochée en 1868 au Salon.


       Pissarro, » La Côte du Jallais à Pontoise », 1867, Huile sur toile 89 x116 cm, Metropolitan  Museum of Art New York

– Un chemin et une dame avec son ombrelle
– des maisons dans un vallon,
– des champs,
– quelques peupliers,
– le ciel.
Aucun récit. Le sujet n’existe plus. Mais variété des nuances chromatiques, verts des feuillages et des prairies, verts plus sombres…Les couleurs sont posées au couteau à palette, on accuse Pissarro de maladresse alors qu’il faut regarder la toile à une certaine distance. Zola y reconnait « la campagne moderne », « d’une simplicité, d’une franchise héroïques ».
Odilon Redon jeune peintre et critique à cette époque (futur maître du symbolisme) dit :  « M. Pissaro voit simplement. Il a dans la couleur, ces sacrifices qui n’expriment que le plus vivement l’impression générale, toujours forte parce qu’elle est simple ».

Cette première peinture « moderne » se limite au « visible », Degas, dont l’intérêt se portait à la vie, au mouvement, à l’instant (non pas celui de la Nature, du paysage mais celui du geste corporel) disait « Je veux être le peintre classique de la vie moderne« . En saisissant par le dessin le naturel des attitudes, du corps, il le rend intemporel.

Les salons suivants refusent de plus en plus « les indépendants » appelés aussi « naturalistes ». En 1873  le Salon des refusés expose 475 œuvres d’artistes impressionnistes dont Degas, Cézanne, Manet, Pissarro et Monet.

Théodore Duret définit ainsi le peintre impressionniste :

« Il s’assied sur le bord d’une rivière : selon l’état du ciel, l’angle de la vision, l’heure du jour, le calme ou l’agitation de l’atmosphère, l’eau prend tous les tons ; il peint sans hésitation, sur sa toiles de l’eau qui a tous les tons« .

Mais il excluait un Caillebotte, un Degas ou un Cézanne dont les préoccupations dépassaient le « paysagisme » ainsi défini.

Rappelons cependant que des artistes comme Constable ou Turner avaient déjà exploré depuis longtemps dans des paysages « l’impression » que le jeu de lumière laisse à l’artiste dans des tableaux comme :

Joseph Mallord William TURNER « Pluie, vapeur et vitesse, le chemin de fer de la Great Western » – 1844.

ici déjà, la forme se dilue sous l’effet de la brume et de la vapeur que dégage la locomotive. Un jeu subtil entre couleurs et tracé des ponts rend la perspective. Mais sur le plan plastique, il manque la touche divisée des impressionnistes.

-> 1874 : le salon des indépendants : les refusés ou indépendants s’organisent .

Une exposition parallèle est organisée par la Société anonyme des peintres, sculpteurs et graveurs. C’est la  première grande rupture intriduite par les impressionnistes peu avant la dissolution du groupe.

Elle se déroule au 35 bd des Capucines dans l’atelier du photographe Nadar. Ci dessous, le « cabinet de curiosités » de Nadar (remarquez la verrière au plafond) et  en dessous l’atelier vu de l’extérieur.

L’accueil de l’impressionnisme.

Claude Monet, Impression, soleil levant, (Vue du Havre) 1872, Huile sur toile 48 × 63 cm, Musée Marmottan Monet.

Voir commentaire ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Impression,_soleil_levant

Composition horizontale,  profondeur rendue par la taille des deux barques et la perspective atmosphérique qui rend le fond éloigné beaucoup plus brumeux que le le premier plan. Contraste des couleurs condensé sur les complémentaires bleu violacé et orange, le reste c’est un camaïeu de bleus et de verts. Non finito (formes esquissées), couleurs juxtaposées, coups de pinceau et touches visibles.

Réception : l’incompréhension.

Le 25 avril 1874, Louis Leroy dans le Charivari, fait un compte rendu satirique de l’exposition et intitule son article : « L’Exposition des Impressionnistes », donnant ainsi un nom à ce nouveau mouvement artistique, l’impressionnisme.

Deux extraits de cet article. évoquent deux tableaux de Monet : Impression soleil levant et Boulevard des Capucines :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/51/Boulevard_des_Capucines%2C_Claude_Monet%2C_1873-1874_-_Nelson-Atkins_Museum_of_Art_-_DSC08982.JPG/768px-Boulevard_des_Capucines%2C_Claude_Monet%2C_1873-1874_-_Nelson-Atkins_Museum_of_Art_-_DSC08982.JPG

Claude Monet, Boulevard des Capucines, 1873-74, huile sur toile, 80 x 60cm, The Nelson-Atkins Museum of Art

« Ah ! Ah ! ricana-t-il à la Méphisto, est-il assez réussi celui-là….En voilà de l’impression ou je ne m’y connais pas…Seulement veuillez me dire ce que représentent ces innombrables  lichettes noires dans le bas du  tableau ?
– Mais répondis-je, ce sont des promeneurs.
– Alors je ressemble à ça quand je me promène sur le Bd. des capucines ? Sans et tonnerre ! Vous vous moquez de moi à la fin ?
– je vous assure Monsieur Vincent…
– Mais ces taches ont été obtenues par le procédé qu’on emploie pour le badigeonnage des granites de fontaine : pif ! paf ! v’li ! v’lan ! Va comme je te pousse ! C’est inouï, effroyable ! j’en aurai un coup de sang bien sûr ! (…)
– Ah le voilà, le voilà ! s’écria-t-il devant le 98. Je le reconnais le favori de papa Vincent ! Que représente cette toile ? Voyez au livret.
– « Impression, soleil levant »
–  Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là dedans… Et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine là ».

Monet choisit de peindre ses contemporains dans la vie de tous les jours. Le cadrage et la perspective peuvent s’inspirer de la photographie. Sur le plan plastique on retrouve la touche impressionniste, rapide, suggestive, et le refus du détail et du contour,.

Un des plus beaux paysages de Monet :

Claude Monet, Les Coquelicots,1873, Huile sur toile, 50 × 65 cm. Musée d’Orsay

Magie de la couleur et de la touche. Ce délicieux contraste de complémentaires entre le rouge orangé des coquelicots et le vert de la prairie, non seulement applique les principes de Michel – Eugène  Chevreul  mais  il enchante tout simplement le regard du spectateur.

Les liens du « groupe » sont cependant très distendus puisque aucun artiste ne participe à toutes les expositions (il y en aura huit), certains prenant de plus en plus leurs distances tant sur le plan géographique que stylistique : Cézanne à Aix, Gauguin à Pont-Aven et surtout Renoir qui, après son séjour à Rome,  redécouvre Raphaël ainsi que les vertus du dessin et des nus idéalisés.

III.3. Au même   moment, la photographie s’affirme comme un art (voir diaporama du cours (diapos 78-83).

Grâce à Felix Nadar. Elle s’empare du réel ouvrant un espace pour de nouvelles expérimentations dans la peinture. Pour Félix Nadar, la photographie est un art à part entière, et d’abord un art de la lumière. Baudelaire, Sarah Bernhardt, Rossini viennent dans son atelier.

Jean-Baptiste Corot portraituré par Felix Nadar

La photographie (Nicéphore Nièpce à partir de 1829)  imite au début la peinture (portraits, natures mortes, paysages, scènes historiques…) avant d’être elle même source d’inspiration pour les peintres (surtout ceux qui ne pouvaient pas se payer un modèle) et document d’appui pour les sculpteurs pour finalement devenir un art.

Félix Nadar affirme pour la première fois que cette nouvelle technique est un art à part entière :

« Ce qui ne s’apprend pas (…) c’est le sentiment de la lumière, c’est l’appréciation artistique des effets produits par les jours divers et combinés, c’est l’application de tels ou tels de ces effets selon la nature des physionomies qu’artiste vous avez à reproduire…Ce qui s’apprend encore moins, c’est l’intelligence morale de votre sujet, c’est ce tact rapide qui vous met en communion avec le modèle (…) et vous permet de donner, non pas banalement et au hasard, une indifférente reproduction plastique à la portée du dernier servant de laboratoire, mais la ressemblance la plus familière et la plus favorable, la ressemblance intime. C’est le côté psychologique de la photographie, le mot ne me semble pas trop ambitieux »

Sur la photographie et ses répercussions, notamment la naissance du cinéma voir cours et exposés de khâgne :

https://lewebpedagogique.com/khagnehida2/archives/category/photographie-xixe


Transition. Après l’impressionnisme on assiste à l’explosion du nombre de courants et de « styles », l’individualisation croissante des démarches artistiques et l’essor d’un marché privé de l’art qui favorise l’éclosion de la modernité alors que le Salon officiel l’empêchait.

IV. Vers 1880 – 1900 : un nouveau contexte artistique  en rupture avec le passé.

L’essentiel des grands artistes modernistes sont hors des circuits officiels des commandes et des musées presque exclusivement consacrés aux académiques. Comme nous l’avons vu plus haut, la 2e moitié du XIXe voit l’essor du réalisme en réaction à l’académisme d’Ingres. Sur Ingres et l’antique voir exposé de Morgane Walter (Khâgne)

IV.1. L’importance persistante du Salon officiel et l’apparition des salons parallèles et des marchands d’art.

La quantité d’œuvres exposées au Salon officiel passe de 450 au temps de Diderot à 4000 vers 1860-70, voire 7000 certaines années.


Édouard Joseph Dantan (1848–1897), Un Coin du Salon en 1880, 1880, huile sur toile,     97.2 × 130.2 cm, collection privée. Une visiteuse parcourt le livret ; au fond, la vendeuse dudit livret, assise à une table.

Le Salon (créé en 1667) se démocratise, des salons et des expositions parallèles sont de plus en plus organisés, jusqu’au tournant du premier Salon des refusés de 1863.

Cette popularité apparaît dans cet extrait du film Gervaise de René Clément (1956) qui met en scène la visite du Louvre décrite par Zola dans l’Assommoir. L’art à la portée de tous ?

https://drive.google.com/open?id=0ByMLcNsCNGb5YXM4OU1jU2FwRjQ

Henri Gervex (Français, 1852-1929): Une scéance [sic] du jury de peinture, avant 1885, huile sur toile, Paris, Musée d’Orsay.

Ces années 1850 – 1900 sont toujours les années du Salon, mais aussi de sa contestation et de l’émergence, puis du dépassement, de l’impressionnisme qu’on appelle aussi post-impressionnisme et du symbolisme (: réaction à l’impressionnisme et au réalisme) mais aussi de la persistance de l’académisme, notamment dans la peinture dite des peintres  » pompiers » (voir ici).

Pour avoir une idée du type d’oeuvres que l’État achetait, aller sur le site ARCHIM (ici) -> au salon de 1868 ce qu’achetait l’État à l’époque. Mais d’autres œuvres, plus novatrices sont également exposées :

Jean Baptiste Duffaud (élève de Gérôme) expose au salon vers la fin du XIXe, ici La mort d’Ourrias, 1891, d’après « Mireille », opéra de Charles Gounod et Frédéric Mistral. Achat de l’État.

D’après l’opéra de Gounod Mireille, le vacher Ourrias est amoureux d’elle mais elle est amoureuse de Vincent, il part pour le « Val d’Enfer » auprès d’une sorcière pour se procurer un breuvage magique qui lui offrirait Mireille, il rencontre Vincent et le tue fou de jalousie. Pris de remords, Ourrias tente de traverser le Rhône mais lorsque le passeur arrive enfin, l’eau se gonfle et engloutit Ourrias. Il est damné.

Le tableau s’inspire fortement de la Barque de Dante, premieère grande toile de Delacroix :

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Barque_de_Dante_(Delacroix)

Du Salon des refusés (1863) au Salon des artistes français.

Lire l’intéressant et très éclairant article relatif aux Refusés et à leur postérité ici :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Salon_des_refus%C3%A9s

“ Sa Majesté, voulant laisser le public juge de la légitimité de ces réclamations, a décidé que les œuvres d’art refusées seraient exposées dans une autre partie du Palais de l’Industrie. Cette exposition sera facultative, et les artistes qui ne voudraient pas y prendre part n’auront qu’à informer l’administration qui s’empressera de leur restituer leurs œuvres. »

Extrait du Moniteur universel, 24/04/1863

Les “refusés” sont décidés d’imposer la liberté d’exposer pour les artistes “sans jury ni récompense”. Ce sera chose faite en 1884 avec le Salon des Indépendants.

-L’État commence à s’intéresser aux impressionnistes non sans difficulté.

Quand Gustave Caillebotte dans son testament, léguait à sa mort soixante-sept tableaux impressionnistes de sa collection personnelle, l’État, n’en accepta finalement que trente-huit, après deux ans de négociations menées par Renoir, exécuteur testamentaire de Caillebotte, et de violentes polémiques. L’Académie des Beaux-Arts protesta officiellement contre l’entrée de ces tableaux au musée du Luxembourg, en qualifiant l’évènement d’ « offense à la dignité de notre école ». Pour Gérôme les tableaux des impressionnistes sont « des ordures, une flétrissure morale, un détraquage, c’est la fin de la Nation, de la France ». Il est relayé par une certaine presse et certains hommes politiques de droite (comme le Sénateur Hervé de Saisy : « que ces oeuvres équivoques ne souillent pas le Musée du Luxembourg ».

Finalement, vIngt-sept œuvres de Pissarro, Sisley, Monet, Cézanne, Renoir sont refusées. Cela montre que dans les milieux officiels, l’impressionnisme est loin d’accéder à la dignité artistique alors que ses principes règnent dans la création contemporaine.

Jusqu’au milieu des années 1880, le Salon reste l’institution majeure pour l’exposition des œuvres contemporaines. A partir de 1885-90 le commerce de l’art se développe, mais les amateurs d’art continuent à admirer Meissonnier (grand peintre « pompier » de batailles napoléoniennes), Barbizon (sud de Paris) avec des grands paysagistes : Jean Baptiste Corot, Jean François Millet, Théodore Rousseau, est contesté par certains historiens de l’art.

On admire toujours les romantiques français en particulier Delacroix qui a fini académicien et surtout Decamps.

 Alexandre-Gabriel Decamps, La défaite des Cimbres – Le général romain Gaius Marius bat les Cimbres sur une plaine de Provence, en 101 av. JC. Salon de 1834, huile sur toile, 130 x 195 cm, Paris Louvre.

Les marchands d’art et la promotion de la nouvelle peinture .

C’est le marchand d’art Paul Durand-Ruel, fils du grand collectionneur, qui diffuse les impressionnistes peu appréciés dans les milieux officiels.

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Auguste Renoir, Durand-Ruel (1910), huile sur toile, Paris, Archives Durand-Ruel.

Malgré les difficultés financières, Durand-Ruel diffuse l’impressionnisme y compris aux États-Unis en 1886 où il expose des toiles de Manet, Degas, Renoir, Pissarro, Seurat et Signac, mais aussi des académiques, et des oeuvres de Barbizon, notamment celles de Jean Baptiste Camille Corot (paysages classiques ou idylliques :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0d/Jean-Baptiste-Camille_Corot_-_Vue_de_G%C3%AAnes_%281834%29.jpg/1024px-Jean-Baptiste-Camille_Corot_-_Vue_de_G%C3%AAnes_%281834%29.jpg

Jean-Baptiste Camille Corot, Vue de Gênes 1834 Chicago Art Institute, ou encore :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a3/Jean-Baptiste-Camille_Corot_048.jpg

J-B-C Corot, L’Etang de la ville d’Avray (Hauts-de-Seine), 1860, huile sur toile, Musée des Beaux Arts Strasbourg.

En 1905, cest à Londres qu’il organise la plus grande exposition impressionniste du XXe siècle avec 300 tableaux.

Posons nous la question : la modernité picturale des impressionnistes a-t-elle a servi à dépeindre la vie moderne, la société moderne comme on l’a souvent dit ? Autrement dit, que nous montrent ces artistes dans leurs tableaux au moment où le machinisme et la prolétarisation massive des ouvriers détruisent toute idée d’individu dans l’anonymat des villes indsutrielles ? Ils nous montrent des cafés et des bals (où sévit la prostitution mondaine déstinée aux hommes des classes moyennes et supérieures), des grands boulevards, des théâtres, les plages normandes bref des lieux par excellence où la bourgeoisie petite ou grande se détend,  encore une campagne idéalisée. Où sont les images du travail arrassant des usines que dénnoncent les écrivains ? Le cas le plus extrême, ce sont les néo-impressionnistes, anarchistes affirmés qui pourtant ignorent royalement le sujet social. Lire à ce sujet les extraits de l’ouvrage Primitivismes, une invention moderne de Ph. Dagen :

IV. 2. Une nouvelle position sociale  de l’art et de l’artiste : galeries, expositions, groupements, café.

Sur le marché de l’art et la spéculation sur les oeuvres voir aussi la critique d’Émile Zola dans L’Oeuvre ici.

Zola écrit dès 1866 dans Mon Salon, « Nous sommes civilisés, nous avons des boudoirs et des salons ; le badigeon est bon pour les petites gens, il faut des peintures sur les murs des riches ».

Et même sur la spéculation : « on parlait d’une entente avec des banquiers pour soutenir les hauts prix, écrit Zola dans L’Oeuvre ; à la salle Drouot, on en était à l’expédient des ventes fictives, des tableaux rachetés très cher par le marchand lui-même ».

Le galeriste Georges Petit organise aussi la Ve exposition internationale de peinture en 1882.

C’est l’occasion de mettre en contact de riches amateurs fortunés et des peintres novateurs (James Whistler impressionniste américain)

James Wistler, Nocturne en bleu et or – le Vieux Pont de Battersea 1872-1875, huile sur toile, 67,9 x 50,8, Tate Gallery, Londres.

Les impressionnistes ont du succès, Monet organise même des expositions particulières (Meules, Nymphéas, peupliers, cathédrales).

La médaille du jury perd de son aura au profit d’une consécration par le succès de la critique et du public.

En 1891, à la Galerie Le Barc de Bouttenville des Nabis, des impressionnistes, des symbolistes exposent leurs toiles parmi d’autres Toulouse-Lautrec, Henri Rousseau, Paul Gauguin, Vincent Van Gogh…

Extrait du catalogue (1891).

Mais ce sont surtout les nouveaux regroupements d’artistes qui contournent les pesanteurs du Salon officiel.

En effet, deux possibilités s’offrent à un artiste qui refuse les canaux officiels : soit les salons parallèles soit  une formule de type sécessionniste, c’est à dire un regroupement d’artistes par définition en rupture avec l’académisme.

– Le Salon des Indépendants, où il n’y a pas de jury, fondé en 1884 par la Société des artistes indépendants qualifiée par Henri Rousseau de « plus belle société et la plus légale puisque tout le monde y  a les mêmes droits » car en effet une petite cotisation annuelle suffisait. Mais la liberté des artistes ne rime pas avec la qualité des œuvres exposées. Des artistes étrangers sont également exposés comme l’expressionniste norvégien Edvard Munch en 1894 (voir oeuvres ici) qui expose pour la première fois à Paris ou encore l’américain James Whistler proche des impressionnistes.

Voir page dédiée à l’histoire du Salon des Indépendants avec une vidéo intéressante. : https://www.artistes-independants.fr/notre-histoire/

Deux représentations du Salon des artistes français ici :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Gr%C3%BCn_-_Friday_at_the_French_Artists%27_Salon.jpg

http://www.artnet.com/artists/henri-adolphe-laissement/au-salon-des-artistes-fran%C3%A7ais-en-1911-KomZjSCRQQp69YyUnB5QDQ2

Entre temps, le Salon des Artistes français est une exposition d’art se tenant annuellement à Paris à partir de 1881. Il a succédé au Salon de l’Académie des Beaux-Arts, héritière de l’Académie royale de peinture et de sculpture. La IIIe République libère les artistes de l’emprise des Beaux Arts en leur offrant un local, le Palais de l’industrie :

Le jury du Salon des artistes français réuni (en 1883) dans une salle du premier étage du Palais de l’Industrie et des Beaux-Arts.

Plus tard, c’est au Grand Palais que se tiendront les expositions :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b8/Le_Grand_Palais_-_L%27exposition_de_sculpture_2.jpg/1011px-Le_Grand_Palais_-_L%27exposition_de_sculpture_2.jpg

Exposition de sculptures au Grand Palais, 1900.

Le Salon d’automne, exposition d’art se tenant annuellement à Paris à partir de 1903 et qui continue jusqu’à nos jours.

Couverture du catalogue du Salon d’Automne de 1905, date majeure dans l’histoire de la peinture moderne (apparition du mot « fauves »). C’est le scandale !

http://historyofartedna.blogspot.com/2013/10/1905-scandale-au-salon-dautomne.html

Au milieu à gauche, la Femme au Chapeau de Matisse, acheté par Gertrude Stein.

En Belgique, un groupe d’artistes se donne le nom « les XX » ouvrant l’art belge aux influences étrangères et cherchant à contourner les expositions officielles de Bruxelles, d’Anvers ou de Gand.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/78/LesXX.1889.jpg

Le peintre Van RysselbergheHenry Van de Velde ont fait partie du groupe. L’autre possibilité : former un groupe, une « Société d’artistes » souvent autour de revues d’art et de littérature.

En Autriche Ver Sacrum Sezessionstil,

Klimt, Ver Sacrum couverture. A droite Weitere Varianten, Ex Libris, Secession. Couverture de Ver Sacrum, 1902.


Koloman Moser, dessin à l’encre pour une couverture de Ver sacrum, janvier 1901.

La revue Plume en Belgique :


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Henri-Gabriel Ibels (1867-1936) Salon des Cent. Salon de La Plume. Expositions permanentes renouvelées tous les mois. 1894 Lithographie en couleurs. 65 x 50 cm.

Reproduction de l’affiche d’Eugène Samuel Grasset, artiste suisse pour le « Salon des Cent » exposition – vente. On reconnaît le « style affiche » dans lequel excellaient Toulouse Lautrec et Steinlen

Pour approfondir, sur la Revue artistique et littéraire Plume, fondée par l’écrivain français Léon Deschamps, lire le petit article du site Histoire par l’image avec un dessin de Grasset aux accents  Art Nouveau.

Ces sociétés d’artistes organisent des expositions qui supplantent progressivement les salons officiels. La gravure, la photographie contribuent également à la diffusion des œuvres.

Autre lieu de rencontre et de diffusion des nouvelles tendances artistiques  le Café.

Caractéristiques sont en ce sens sont les débuts de Picasso. Il fréquente l’atelier du poète Carlos Casagemas dont il fera le portrait sur son lit de mort en 1901 :

Picasso, Casagemas sur son lit de mort, (huile sur bois, 27x35cm, Paris, Musée Picasso.

Casagemas s’est suicidé devant tout le monde au café de l’Hippodrome à Paris-Clichy.

et le café des Els Quatre Gats foyer du modernismo catalan sur le modèle du « Chat noir » à Paris.

Els Quatre Gats photo 1899.

Le jeune Picasso le fréquente tous les jours. Il y prend contact avec la modernité française, les fondateurs et animateurs du café ont connu Montmartre à Paris et le Chat Noir. Le café accueille la première expo de Picasso avec beaucoup de dessins de portraits… Il réalise la couverture d’un menu où il figure au milieu de ses amis Sabartès, Angel Fernandez…

Menu pour Els Quatre Gats hiver 1899-1900 aquarelle, plume, brosse, encre et crayon sur papier 50 x 47 cm Museu Picasso Barcelone.

Picasso, Els Quatre Gats menu étude 1900, fusain sur papier blanc 43 x 31 cm Museu Picasso Barcelone.

Dans des dessins proches de la caricature (pastels, fusains) il représente des « scènes de la vie moderne » (selon l’expression de Baudelaire) de dans une veine humoristique. Ces scènes se déroument dans la rue ou au cabaret, avec des badauds, des dandys, des mendiants

Dans ces œuvres apparaît un souci d’assimilation des leçons néo ou post-impressionnistes de Degas (pastels), de Tolouse-Lautrec et de Steinlen.

IV 3. La question du style et la multiplication des courants : vers des démarches de plus en plus individuelles.

Un des représentants les plus marquants et les plus décriés de cette « peinture » moderne est justement Edgar Degas (Paris 1834-1917).

Edgar Degas, Le tub, 1886, Pastel sur carton, H. 0,60 ; L. 0,83 m, Musée d’Orsay.

Présenté à la huitième et dernière exposition impressionniste en 1886, ce pastel appartient à une série de sept que Degas exécute au milieu des années 1880, sur le thème de la femme à sa toilette, thème déjà envisagé par l’artiste dans une série de monotypes une dizaine d’années auparavant.

Sur les nus de Degas voir présentation de l’exposition du Musée d’Orsay « Degas et le nu » (2012) ici :

https://culturebox.francetvinfo.fr/arts/peinture/les-nus-de-degas-en-noir-et-blanc-et-en-couleur-au-musee-d-orsay-86117

L’observation sans concession du geste intime et quotidien ne doit rien à la tradition pittoresque du sujet galant des femmes à leur toilette (genre appelé « par le trou de la serrure »):

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/91/Fran%C3%A7ois_Boucher_-_La_Toilette_intime_%28Une_Femme_qui_pisse%29%2C_1760s.jpg/609px-Fran%C3%A7ois_Boucher_-_La_Toilette_intime_%28Une_Femme_qui_pisse%29%2C_1760s.jpg

François Boucher, La Toilette intime ou L’oeil indiscret On se nettoyait l’intimité à sec avec des chiffons. (femme qui pisse ? ou toilette après le coït ?), (1742) huile sur toile, 51x45cm, Paris, Coll. privée.

La pose de la jeune femme, parfois interprétée par la critique contemporaine comme l’expression d’une certaine animalité, dérive en réalité  de celle de l’Aphrodite accroupie antique.

Aphrodite accroupie, Copie d’un original grec du IVe siècle av. JC, marbre, Musée du Louvre. (trouvé à Vienne-en-Isère).

La nature morte aux objets de toilette, dont la perspective est faussée suivant un principe japonisant, le surplomb, font de ce pastel une des compositions les plus audacieuses et les plus virtuoses des oeuvres de Degas sur le sujet moderne de la femme au tub.

Voici deux exemples appartenant à l’art du ukiyo-e, âge d’or de l’estampe japonaise (gavures sur bois colorées)

Le Tub a déconcerté ses contemporains. Autant par la perspective que par l’intimité de la scène, comme le soulignait la critique de l’époque a été extrêmement virulente contre ses tableaux, et en particulier contre celui-là, en parlant de « batracien ».
Degas disait lui-même que, contrairement au nu traditionnel, qui était toujours prévu en fonction du public, cherchant plus ou moins un effet, au contraire ses personnages étaient comme vus à travers le trou de la serrure. Ce côté intimiste de la scène a probablement dérangé ses contemporains. Et sa réputation de misogyne est partie de ce type de peinture, orchestrée par une critique un peu hostile.

Qu’il s’essaye au pastel, au dessin ou encore à la sculpture, c’est toujours pour Degas l‘occasion de se perfectionner pour mieux revenir en peinture. Ce qui faisait dire au peintre Gilles Sacksick devant Le Tub : « C’est un pastel, et pour moi c’est une peinture. Degas est quelqu’un qui peint, même quand il dessine. »

En effet, cette accélération moderniste déconcerte le public (issu essentiellement de la petite bourgeoisie). Un climat d’opposition, d’incompréhension, s’installe.

Les expériences singulières des artistes en rupture avec le canon académique provoquent l’ironie des journalistes et du grand public. On parle « tartouillade » (du mot « tartouille », sorte d’aide-mémoire sur un support discret : papier, main, calculette, pour frauder p. ex. lors d’un examen), c’est à dire de l’informe, de l’ignorance du dessin, de style relâché, on parle de « pochade », de tache.

Cette hostlité pousse les artistes eux mêmes à se placer en marge de la société et des institutions qu’ils critiquent. Le même artiste peut parfois connaître des trajectoires opposées : Émile Bernard (1868-1941) passe du néo-impressionnisme  (pointillisme, divisionnisme) au cloisonnisme, oscillant entre médiévalisme, simplification géométrique, style Art Nouveau.

Émile Berbard, Moisson au bord  de la mer, 1891, huile sur toile, 73×92 cm. Paris, Musée d’Orsay.

(Voir les œuvres d’Émile Bernard en particulier dans la collection du musée d’Orsay c’est ici). Lors de ses séjours bretons, Bernard se tourne vers les travaux quotidiens des paysans, comme ici ceux des moissonneurs ici. Un thème inspiré du réalisme de Millet (voir ici)

La rencontre avec Gauguin à Pont-Aven est très fructueuse :

simplification radicale des formes,

abandon de la perspective traditionnelle (ici, au profit du surplomb à la japonaise)

peinture en aplats colorés enfermés dans un cerne rappelant le cloisonnement du vitrail.

-> Les autres espaces d’exposition sont confidentiels, les expositions sont marginales et finalement un artiste indépendant a peu de chances de se faire connaître du grand public. Ce public, est de plus en plus large, n’est pas un fin connaisseur ouvert à la nouveauté comme celui du XVIIIe siècle qui admirait un Watteau, un Chardin, un Fragonard, artistes qui  répondaient au goût de frivolité, de plaisir de la société, en rupture stylistique avec l’art officiel de Louis XIV.

Autre problème : au XIXe siècle  la peinture se transforme d’une « représentation par la ligne (le contour et la forme) à une représentation par le signe » (sous entendu signe plastique : couleur non imitative : c-à-d absence de « ton local »), formes simplifiées, géométriques, abstraites…), comme l’affirme Galienne Francastel dans l’Histoire de la peinture française. (2e édit. Denoël, 1990) ce qui ne facilite pas l’accès aux oeuvres des non initiés (la picturalité l’emporte sur le sujet).

A la fin du siècle, l’impressionnisme lui-même semble dépassé sur le plan artistique.

Du « post-impressionnisme (Cézanne, Van Gogh, Gauguin) on passe déjà au « néo-impressionnisme » de Seurat et de Signac

Georges Seurat, « Un dimanche après-midi à la Grande Jatte » – 1884-1886. Huile sur toile, (206x305cm), Art Institut of Chicago.

C’est une technique picturale qui consiste pour le peintre à ne pas mélanger ses couleurs pures sur sa palette ou directement sur le tableau, mais à les juxtaposer sous forme de petites touches. Le mélange des couleurs s’effectue alors, à distance, en un « mélange optique » dans l’oeil du spectateur.

Si Gauguin concilie traditionalisme et invention picturale, Léon Frédéric (1856-1940)  opte pour une précision naturaliste encore très XIXe siècle. 

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Léon Frédéric, Le repas de funérailles, 1886, huile sur toile, 1é5×177 cm, Musée des beaux Arts de Gand.

On observe un manque d’unité, une profusion de styles, et pour certains, le refus d’entrer dans l’idéologie moderne (Gauguin p. ex.). On ne peut pas résumer la situation par une opposition caricaturale entre avant-gardes et traditionalistes.

V. Les premières grandes ruptures dont les artistes du XXe siècle feront les jalons essentiels sur le chemin de la modernité.

V1. Les derniers feux de l’impressionnisme.

Alors que vers 1890 l’impressionnisme touche de plus en plus d’artistes, les maîtres de cette école éprouvent le besoin d’évoluer dans une autre manière plus personnelle.

Entre artistes même des divergences apparaissent : la 8e exposition impressionniste qui voit l’arrivée de Signac et de Seurat (les « néo-impressionnistes) provoque le retrait de Renoir, de Monet, de Sisley

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/ad/Affiche_de_la_huiti%C3%A8me_et_derni%C3%A8re_exposition_immpressionniste_en_1886.jpg

Voici ce qu’en dit Berthe Morisot :

  « Je crains que cette 8ème exposition ne soit la dernière exposition des impressionnistes. Trop de pagaille et de désaccords…Tous ces hommes ont un caractère de cochon ! Les femmes n’ont pas ces emportements, ces entêtements et cette violence. »

https://www.franceculture.fr/peinture/morisot-cassatt-et-bracquemond-limpressionnisme-au-feminin

A propos des femmes artistes un article intéressant sur l’Académie Julian, une École de peinture qui admettait aussi bien les femmes que les hommes.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Acad%C3%A9mie_Julian

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Paul Signac, La bouée rouge, Saint-Tropez, 1895, huile sur toile 81×65 cm. Musée d’Orsay.

Avec ce tableau Signac signe l’une de ses plus importantes toiles néo-impressionnistes. Théorisée par l’artiste lui-même, l’approche picturale se veut « scientifique », qui ne rend plus l’impression directe, spontanée et première, mais la recrée en atelier à partir d’études.

Usant de la division des tons et du « mélange optique » de touches colorées (le mélange des couleurs se faisant uniquement par le regard du spectateur), la technique est ici déjà divisionniste et presque pointilliste.

Partout l’innovation l’emporte et, même si on se réfère à des traditions, les styles hybrides se multiplient. On puise dans un répertoire de mieux en mieux connu : Antiquité, Moyen Age, Extrême Orient. Le revival est partout mais souvent plusieurs « revivals » coexistent dans les mêmes œuvres. L’époque est visiblement partagée.

Zola écrit en 1884 dans sa préface du catalogue de l’exposition posthume de Manet :

« peu à peu on a vu les Salons s’éclaircir. Les Romains, les Grecs en acajou, les Nymphes en porcelaine se sont évanouis d’année en année, tandis que le flot des scènes modernes, prises à la vie de tous les jours, montait, envahissait les murs, qu’il ensoleillait de ses notes vives ».

Gauguin est lui aussi en quête d’une nouvelle peinture ce qui le pousse à voyager et rechercher cette pureté dans les civilisations primitives et exotiques des îles du Pacifique (voir plus loin et exposé).

V2. Mais des artistes contestent à la fois l’académisme et l’héritage impressionniste et renouvellent le sujet.

Alors qu’une partie des artistes cherchent à inventer un style « moderne » en rompant, plus ou moins, avec l’héritage de la peinture occidentale (sans que cette rupture soit totale comme ce sera le cas chez les futuristes), d’autres explorent l’imaginaire en s’inspirant également de la peinture réaliste (symbolisme).

La réaction symboliste.

Le symbolisme international p. ex. prolonge et amplifie les tendances romantiques de la première moitié du XIXe siècle.

Si le naturalisme impressionniste l’a emporté finalement sur l’allégorie et la mythologie mais des artistes majeurs comme Gustave Moreau ou Odilon Redon explorent encore les mythes grecs et bibliques dans des ambiances surnaturelles (Vie de l’Humanité, Odyssée, Œdipe, Jason, Médée) et symboliques.

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Odilon Redon, L’Araignée qui pleure, fusain, 1881, 49×35 cm, coll. privée.

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Gustave Moreau, L’Apparition (: la tête de Saint Jean Baptiste décapité apparaît à Salomé), huile sur toile, 106 x 72 cm, Musée Gustave Moreau.

Le primat de l’idée sur la forme « synthétique, subjective, et décorative » est affirme par l’écrivain et critique d’art Albert Aurier. Le symbolisme explore les profondeurs de l’âme humaine et des mondes fantastiques, les artistes puisant essentiellement thèmes et formes dans le romantisme.

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Arnold Böcklin, L’Ile de la mort, 5e version, 1886, huile sur panneau, 80 x 150 cm, Museum der bildenden Künste, Leipzig.

Arnold Böcklin :

« Un tableau doit raconter quelque chose, donner à penser au spectateur comme une poésie et lui laisser une impression comme un morceau de musique ».

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Gustave Klimt, L’Espoir II, 1907 – 1908, huile sur toile, 110 × 110 cm, Museum d’Art Moderne de New-York

Les Nabis (prophètes en hébreux).
Ils se réunissent à l’Os à moelle et veulent œuvrer pour « le salut de l’art ». Ajouter Maurice Denis, mais aussi Bonnard et Vuillard -> avec des sujets modernes, voire Toulouse Lautrec. Ils ne se placent pas dans un passéisme de type préraphaélite. Leur style est moderne car ils sont issus de l’école de Pont Aven et ont suivi les enseignements de Gauguin :

« Comment voyez-vous ces arbres ? Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune ; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l’outremer pur ; ces feuilles rouges ? mettez du vermillon. »

Paul Gauguin rapporté par Maurice Denis.

Maurice Denis reprend l’idée dans sa célèbre définition du tableau :

« Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane couverte de couleurs en un certain ordre assemblées. »

Attention ! Ce n’est pas un adepte de l’art abstrait !

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Paul Sérusier Le Talisman (1888), huile sur bois, 27 × 21,5 cm, Paris, musée d’Orsay.

 La peinture n’est plus seulement la description du réel saisi par la vue mais l’évocation de  « visions » intérieures (une des racines de l’Abstraction -> Kandinsky).

V3. La France est au cœur de l’évolution de le peinture.

Forte de sa tradition artistique depuis le néoclassicisme (mise en scène de façon grandiose dans l’exposition de 1889) jusqu’aux impressionnistes exposés dans le même pavillon des arts (Monet) et qui connaissent un succès grandissant et international). Elle est le passage obligé de tout artiste qui veut savoir quelles sont les dernières tendances.

L’Allemagne contrebalance à peine avec l’Ecole des Beaux Arts de Düsseldorf, et la société des artistes de Munich. d’où sortira le Jugendstil Les artistes étrangers deviennent le relais entre leur pays et la modernité française mais ils adoptent de façon sélective les tendances françaises à l’image de Munch qui balance entre divisionnisme à la Seurat et compositions à la Monet ou Caillebotte.

Vers la fin du siècle, un courant inverse fait venir à Paris des grands artistes étrangers (Whistler, Munch puis Picasso au tournant du siècle). Ces artistes internationaux comme Whistler entrent au Palais du Luxembourg ce qui montre une certaine évolution des goûts.

Les genres distincts (: peinture d’histoire ou religieuse, portrait, scène de genre, paysage, nature morte) qui impliquaient un certaine spécialisation semblent de plus en plus dépassés vers la fin du siècle avec le recul de l’importance du Salon et des distinctions honorifiques qui, même si elles demeurent, semblent périmées. Mais dans certains pays, l’imagerie nationale et sociale mettant en scène histoire et traditions (Pologne, Russie -> les peintres Ambulants) appartiennent au genre historique.

-> Si les catégories d’oeuvres, la hiérarchie traditionnelle des genres est bousculée par la modernité le sujet lui demeure.

V. 4. Que reste-t-il de la peinture académique ?

En France la dernière tentative désespérée pour sauver l’historicisme est incarnée par Jean Paul Laurens (1838-1921), dans ses Illustrations des Récits des temps mérovingiens d’Auguste Thierry Excommunication de Robert le Pieux (1875) Série d’esquisses sur Sainte Geneviève pour le Panthéon 1877-1880, et bien sûr le fameux Saint Jean Chrysostome (1893, musée des Augustins à Toulouse. 1,6×1,27m) .


Jean Paul Laurens Saint Jean Chrysostome et l’impératrice Eudoxie 1893 huile sur toile 127x160cm Toulouse Musée des Augustins.

Le saint « à la bouche d’or ») résenté dans sa critique virulente contre l’impératrice de Byzance Eudoxie.

Intensité dramatique, historicisme moins détaillé mais qui force à se concentrer sur le visage vociférant du père de l’Église, une main puissante face à l’impératrice Eudoxie. Mais cette peinture n’était pas aussi bien acceptée par les milieux officiels car non conforme à la tradition, beaucoup trop théâtralisée malgré sa facture néoclassique. Sur les pompiers voir exposé de Marie-Céline Ohresser (K3 – 2010-2011).

En réalité, malgré l’essor du réalisme et de l’impressionnisme, le sujet demeure et la peinture religieuse connaît un grand succès jusqu’à  la fin du XIXe. Même chez les peintres naturalistes comme Charles Cottet (1863-1925) une religiosité primitive se dégage de ces tableaux de la Bretagne que recherchaient déjà les peintres romantiques mais aussi Gauguin qui sera beaucoup plus audacieux sur le plan plastique.

Charles Cottet (1863-1925) Femmes de Plougastel au Pardon de Sainte-Anne-La-Palud (étude). 1903. Huile sur toile, 120x150cm, Rennes Musée des Beaux Arts.

En même temps, des démarches audacieuses, satyriques préfigurant le dadaïsme et les questionnements sur l’art et la peinture du XXe apparaissent.

V. 5 L’effervescence atteint son paroxysme : les  « Incohérents » inventeurs de l’art abstrait ?

lire article : https://fr.wikipedia.org/wiki/Arts_incoh%C3%A9rents#

Ils organisaient des provocations, des farces et des bals  qui ont secoué Paris tout au long des années 1880.

Les titres étaient inventés par Allais et d’autres écrivains comme Bih

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/6/60/Premi%C3%A8re_communion_de_jeunes_filles_chlorotiques.jpg/640px-Premi%C3%A8re_communion_de_jeunes_filles_chlorotiques.jpg

Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige (1883).

Dès XIXe siècle = utilisation du monochrome à des fins comiques. Œuvres longtemps oubliées et délaissées : retrouvent peu à peu leur place dans l’histoire du genre (bien que sous-estimée). Utilisées par détracteurs du monochrome comme arme contre le genre : il ne s’agit que d’une farce. Même les admirateurs des monochromes du XXe siècle (Yves Klein) = jettent voile sur monochromes du XIXe.

http://alphonseallais.blogspot.fr/2010/06/blog-post_11.html

Abondance et diversité de ces monochromes mais quel statut esthétique leur attribuer? Comment s’articule le rire chez certains, le sérieux revendiqué par d’autres?

  • Après avoir vu  Combat de nègres dans cave, pendant la nuit, Paul Bilhaud, 1882 :

«Et moi aussi je serai peintre! (…) Et quand je disais peintre, je m’entendais : je ne voulais pas parler des peintres à la façon dont on les entends le plus généralement, de ridicules artisans qui ont besoin de mille couleurs différents pour exprimer leurs pénibles conceptions. Non! Le peintre en qui je m’idéalisais, c’était celui génial à qui suffit pour une toile une couleur : l’artiste, oserais-je dire, monochroïdal.»

Travail de parodie : motif l’héroïsation du travail de l’artiste , figure artiste maudit. Monochromie = pas de dessin donc artiste doit être capable inventer sujet susceptible d’être figuré par un simple aplat.

Détournement du processus de création : élaboration d’un texte qui puisse passer pour avoir engendré une image monochrome. Le titre renvoie à des plans colorés (dépourvus de toute signification) dans univers d’images saturées de sens (jusqu’à l’absurde). Arts incohérents = amusement aux dépens de l’art officiel comme de l’art indépendant.

Étaient membres des écrivains et journalistes, comme Alphonse Allais, Paul Bilhaud,peintres comme Toulouse Lautrec, Antonio de la Gandara…

Bleu – mêle allusions littéraires à son travail pictural (ex. Stupeur de jeunes recrues apercevant pour la première fois ton azur, ô Méditerranée!  à réf. Victor Hugo, Ruy Blas).

Lire article sur l’art de la caricature et le monochrome ici :

http://books.openedition.org/pupo/2208?lang=fr

Attaque contre la modernité et contre la tradition à la fois.

Transition : c’est dans ce contexte d’effervescence artistique fin de siècle que trois artistes vont supplanter les maîtres d’autrefois pour devenir les « guides » de la nouvelle génération à l’aube du XXe siècle .

 L’opposition à l’académisme génère plusieurs « modernités ». La modernité peut être définie selon quatre principes :
 

     – peindre ce qu’on voit et non pas une image idéalisée, abstraite.

     – être de son temps : l’artiste est un témoin de son époque

   – une peinture qui expérimente : non finito, nouveaux cadrages, nouveau traitement de l’espace

     – une peinture qui exprime le monde intérieur de l’artiste

Voici ce que dit Apollinaire de Bouguereau :
 
 «Delacroix, Corot, Courbet, Manet, Cézanne et même Rodin furent tour à tour « refusés » par les maîtres comme Cabanel, Bouguereau, Gérôme, Benjamin Constant, fonctionnaires d’art officiel, voués pendant leur vie aux tares administratives, après leur mort à l’oubli de tous… »
 Le Salon des Indépendants, 28 février 1914. 
Cézanne appelait le salon « Salon Bouguereau ».

VI. Les nouveaux « maîtres ».

1. Cézanne.

Cézanne opère une sorte de retour au classicisme (rigueur spatiale de la composition (voir cours à venir), importance du dessin et de la géométrie).

« Cézanne ! Il était comme notre père à nous tous ». Picasso.

Paul Cézanne, Montagne Sainte-Victoire, vue de Bellevue, 1882-1885 huile sur toile. Metropolitan Museum of Art New York.

Composition, forme, couleur et lumière sont désormais des problèmes purement plastiques. L’espace est rigoureusement construit mais pas selon les règles de la perspective Ce n’est plus  l’impression de la réalité mais la transcription de sensations sur la toile. Il faut « exprimer la nature par les cubes et les sphères » P. Cézanne.

Comme le souligne Kandinsky, la composition devient le but même du tableau faisant passer l’imitation au second plan.

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Paul Cézanne, Les Grandes Baigneuses, Huile sur toile 210,5 × 250,8 cm. Philadelphia Museum of Art.

2006 : année Cézanne. De « grand peintre avorté » selon Zola il devient un peintre majeur de son époque. En 1906  à sa mort il reçoit un hommage au Salon d’Automne avec une rétrospective. Trois expositions chez Ambroise Vollard – 1895, 1898, 1899. Pourquoi ?

En 1874 il fait encore partie du groupe avec Pissarro, il peint des paysages aux tonalités claires loin de ses premiers pas proches de Courbet et de Delacroix. Mais dès 1876, il refuse de participer à la 2e exposition et se retire à l’Estaque près de Marseille.

(Nature morte au crane) 1895-1900 ; huile sur toile, 54.3 x 65 cm, The Barnes Foundation, Merion, Pennsylvania.

Couleur et lumière sont désormais traitées pour elles mêmes. Ce qui importe est l’articulation des couleurs (remarquez les contrastes et les  correspondances couleurs chaudes –couleurs froides y compris sur le même fruit, ou sur le blanc du drapé au premier plan,  les rappels de la même couleur distillés sur la surface), le jeu des lignes (les accents linéaires horizontaux, obliques jouant sur des parallèles avec l’importance des plis de la draperie). Ce n’est plus  l’impression de la réalité mais la transcription de sensations sur la toile.

Cézanne n’invente pas de sujets nouveaux mais reprend des sujets traditionnels afin de transformer l’art conventionnel en un art d’invention. Pour Cézanne, la nature morte est un motif comme un autre, équivalent à un corps humain ou à une montagne, mais qui se prête particulièrement bien à des recherches sur l’espace (composition non hiérarchisée), la géométrie des volumes, le rapport entre couleurs et formes : «quand la couleur, dit-il, est à sa puissance, la forme est à sa plénitude». 

VI 2. Van Gogh (1853-1890) : la peinture comme remède à la folie ?

« Mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a fondré à moitié » écrivait-il dans une lettre retrouvée sur lui après son suicide. L’artiste hollandais peint malgré et contre la maladie mentale qui le ronge.

Nuit étoilée version 1 (Musée d’Orsay)


Van Gogh, Nuit étoilée sur le Rhône, huile sur toile,  1888, 72 x 92cm, Orsay.

Voir petite vidéo sur le tableau à regarder ou à télécharger :

https://drive.google.com/file/d/0ByMLcNsCNGb5WFRFNTE2OGRJMDQ/view?usp=sharing

Dès son arrivée à Arles, le 8 février 1888, la représentation des « effets de nuit » constitue une préoccupation constante pour Van Gogh. En avril 1888, il écrit à son frère Théo : « Il me faut une nuit étoilée avec des cyprès ou, peut-être, au-dessus d’un champ de blé mur ». En juin, c’est au peintre Emile Bernard qu’il confie : « Mais quand donc ferai-je le Ciel étoilé, ce tableau qui, toujours, me préoccupe » et, en septembre, dans une lettre à sa sœur, il évoque le même sujet : « Souvent, il me semble que la nuit est encore plus richement colorée que le jour ». En ce même mois de septembre, il réalise enfin son obsédant projet.

Dans cette vue du Rhône, il transcrit magnifiquement les couleurs qu’il perçoit dans l’obscurité. Les bleus dominent : bleu de Prusse, outremer ou de cobalt (le bleu de cobalt est une couleur divine et il n’y a rien de plus beau pour installer une atmosphère » ) écrit-il à son frère. Les lumières à gaz de la ville brillent d’un orange intense et se reflètent dans l’eau. Les étoiles scintillent comme des pierres précieuses. La présence d’un couple d’amoureux au bas de la toile renforce l’atmosphère plus sereine du tableau conservé au Musée d’Orsay par rapport à la vision tourmentée du même sujet un peu plus tard :

Nuit étoilée version 2,  New York, huile sur toile, MOMA

Quelques mois plus tard, alors qu’il vient d’être interné, Van Gogh peint une autre version du même sujet : la Nuit étoilée 2e version (New York, MoMA), où s’exprime toute la violence de sa psychologie troublée. Les arbres prennent la forme de flammes alors que le ciel et les étoiles tourbillonnent dans une vision cosmique. Ces deux tableaux, ainsi que Le café de nuit (voir ici) et Terrasse du café le soir (musée Kröller-Müller, voir ici) montrent l’impact de la couleur dans l’art de Van Gogh.

VI. 3. Gauguin entre « primitivisme » et nouveau symbolisme : la quête d’un art pur, d’un art absolu.

Gauguin se tourne de son côté vers le mythe de l’humanité primitive, les paradis perdus des îles en voie de disparition : voir ses feuillets de l’Ancien Culte mahori.

Gauguin écrit ce cahier, et l’illustre de vingt-deux aquarelles, en 1892-93 après avoir découvert l’ancienne religion maori et ses légendes dans le livre Moerenhout, Voyages aux îles du Grand Océan. (manuscrit Musée du Louvre).

Souvent considéré comme un premier jalon vers Noa Noa, Ancien Culte maori constitue un témoignage capital sur le premier séjour de l’artiste à Tahiti. (existe en DVD édité par la RMN). Picasso et Derain s’intéresseront aussi au « primitivisme » d’où sortira le cubisme en tre1906 et 1908.


Paul Gauguin, L’ancien culte mahorie couverture, 21x17cm 1892-93,  aquarelle encre plume et toile. Musée du Louvre.


Pages du carnet. Gauguin affirme y évoque entre autres une figure féminine, Tehura,Ève primitive qui n’avait jamais mordu au fruit de l’arbre de la Connaissance”.

Gauguin est également à l’origine de recherches plastiques sur la couleur non imitative. (cf; page dédiée et exposé).

Gauguin invente non seulement le primitivisme exotique mais aussi la couleur éloignée de tout naturalisme et utilisée soit pour elle même soit à finalité symbolique comme dans ce magnifique tableau du Metropolitan Museum :

Paul Gauguin, Ia Orana Maria (Ave Maria) 1891, huile sur toile,, 114 cm × 89 cm,  Metropolitan Museum of Art, New York.

 

« Chemin foncé violet, et premier plan émeraude » décrit-il dans une lettre. Violet – vert – orangé au premier plan -> vois construite la « loi des dérivés » (c. à d. des couleurs secondaires)

Marie à droite est habillée d’un paréo rouge vermillon et foule à ses pieds l’herbe verte. L’ange à gauche du chemin violet est en dominante  jaune. La femme proche de l’ange porte elle un paréo bleu avec des motifs orangés. Ce sont là les trois couples de couleurs complémentaires.

Ajoutons à ces éléments purement picturaux le facteur symbolique : le rouge est la couleur de la Vierge Marie, le jaune la couleur lumineuse qui révèle la nature céleste des anges. L’autre composante symbolique est celle du parallèle entre usage des couleurs et musique.

Que répond-t-il à la question : Alors vos chiens rouges, vos ciels roses ? (entretien publié en 1895)

  » Ils sont nécessaires et tout dans mon oeuvre est calculé médité longuement. C’est de la musique si vous voulez ! J’obtiens par des arrangements de lignes et de couleurs, avec le prétexte d’un sujet quelconque emprunté à la vie ou à la nature, des symphonies, des harmonies ne représentant rien d’absolument réel au sens vulgaire du mot, n’exprimant directement aucune idée, mais qui doivent faire penser comme la musique fait penser, sans le secours des idées ou des images, simplement par des affinités mystérieuses qui sont entre nos cerveaux et tels arrangements de couleurs et de lignes ».

C’est ainsi que Gauguin pose les principes sur lesquels s’appuieront les fauves et les expressionnistes, voir l’abstraction (rapport couleur – musique repris par Kandisnky.

Ayant ouvert des voies nouvelles dans l’approche l’art pictural, les trois pionniers deviennent au début du XXe siècle les maîtres des avant-gardes : cubisme, expressionnisme, fauvisme et abstraction leur doivent beaucoup.

    2 réflexions sur « Introduction. Ruptures et continuités XIXe-XXe : vers l’art moderne (1) »

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