La fin du mois de juin approche et les néo-collègues commencent à nous annoncer leurs prochains lieux de villégiature. Qui va dans le Loiret, qui dans le Périgord. Il est certain que pour ceux gagnant la région parisienne, le séjour sera plus agité…
Et moi, avec mes tempes blanchies, ma démarche un peu voutée et l’âpre combat que je mène en salle des profs pour occuper le coin du canapé rouge réservé au doyen, moi, donc, je me souviens. J’étais donc aussi fringant que ces jeunes collègues ? C’est au moins une grande satisfaction de voir que le métier attire toujours, que même des actifs se reconvertissent dans l’enseignement. Déjà, pendant l’année scolaire, malgré le masque, les mesures barrières, ils ont su nous communiquer leur fougue, nous entraînant aussi dans leurs projets. En un mot, il nous ont aidés à ne pas trop déprimer.

Le minimum minimorum de la gestion théâtrale

Lorsque j’entrai dans la carrière, je le fis bien seul, découvrant le même jour et les élèves, et la classe et le faire cours. Pourtant, je compris bien vite qu’il fallait profiter d’une certaine proximité culturelle avec ces grands lycéens. En effet, l’écart d’âge entre nous était moins important que les années qu’il me reste à faire avant ma retraite ! Profiter de cet avantage, c’est utiliser la culture jeune, le rap, les youtubeurs aux noms plus ou moins exotiques, et ces chanteurs qui éclosent sur les réseaux sociaux, voire, pourquoi pas, la K-pop ? Sans faire de démagogie surtout. C’est l’erreur qui ne pardonne pas !

Et puis j’étais d’un naturel réservé. Il a fallu que j’apprenne fissa le minimum minimorum de la gestion théâtrale. En effet, ce n’est pas parce qu’on a enlevé l’estrade qu’une salle de cours n’est plus cette salle de spectacle où tu dois réussir à chaque heure ton one man show. Occuper le centre de l’espace avec une posture de seigneur, maître de son territoire, une voix bien placée et les gestes qui vont bien. En un mot, une posture simple qui concilie la force brute du gladiateur avec l’émotion débordante de la bienveillance incarnée (je pleure de joie à la simple évocation de cette brillante classe faite d’élèves si géniaux que je n’en espérais pas tant), le tout accompagné de ces gestes ronds qui sécurisent et encouragent. Et je n’oublie pas la dose d’empathie qui force l’élève à s’exprimer et à vouloir absolument répondre à ta question. Autrement dit, tu es un winner et ton auditoire est subjugué.

Un moule unique d’autorité acceptée

Car le grand défit qui attend tout débutant, c’est la gestion de classe. Comment concilier l’amour d’une matière, la volonté ministérielle qui s’incarne dans le programme et des jeunes gens qui rêvent d’ailleurs ? Ou pire, des jeunes gens en pleine crise d’adolescence et donc en révolte contre le monde des adultes et toute forme d’autorité. C’est l’exercice le plus difficile que j’aie eu à affronter et personne ne m’a donné un rudiment de mode d’emploi. J’aurais tant aimé qu’on m’explique comment mettre en place cette atmosphère faite d’autorité bienveillante, de fermeté incontournable et de rituels rassurants et partagés.
En un mot, réussir à fondre toutes ces individualités récalcitrantes dans un moule unique d’autorité acceptée.

Mais « tenir sa classe », exercice si individualiste, doit aller de pair avec une immersion dans le collectif du bahut. La rentrée dans un nouvel établissement est donc ce moment si périlleux où il faut apprendre très vite à repérer ce qui se passe pour se fondre dans le groupe. En effet, fini le statut de stagiaire ! Et un prof de plein exercice doit immédiatement tenir ses classes, s’adapter au fonctionnement de l’équipe qu’il intègre, s’astreindre à apprécier les projets en cours auxquels il doit participer, tout en proposant, timidement (le mot est important !), ses propres projets. Surtout, il doit considérer très rapidement la situation militaire de l’espace qu’il investit. L’artillerie lourde de l’espace administratif lui permettra-t-elle une position de repli inexpugnable en cas de grand péril ? Le collègue de la 206 accueillera-t-il un prisonnier élève puni ? Lequel des 124 collègues va s’enthousiasmer sur ton projet et te permettre de le déployer sur la ligne de front dans plusieurs classes ? Avec qui s’afficher en premier pour bénéficier de son rayonnement auprès des personnels enseignants et des élèves, tout en évitant le gentil marginalisé qui va te couler (on n’est pas dans Terminator, tu n’as pas droit aux chiens pour repérer les androïdes) ? Bon, ici, le meilleur conseil, c’est d’être cynique, sauf si tu as la chance de faire ta rentrée dans un établissement sensible où la majorité des collègues sera dans ton cas et où les phares se repèrent facilement : aucun tatouage et pas de sneaker aux pieds.

Être un bon prof, c’est être d’abord en accord avec soi

Enfin, désormais, tu es un enseignant. Le mois de juillet est le nécessaire sas de décompression. Bravo ! Tu as atteint ton objectif, enseigner. Tu as enfin réussi à contourner le bureau et une longue carrière s’ouvre à toi. Maintenant, il te faut être réaliste. D’après le cursus honorum, tu as quatre ans pour devenir un excellent prof. Que recouvre ce vocable ? Il te faut désormais apprendre un vrai métier et te former. Il existe beaucoup de pédagogies alternatives à celles promulguées par l’INSPÉ. Certaines sont des modes passagères, d’autres répondent à l’avancée des sciences cognitives. Il te faut débroussailler ce maquis pour trouver ton chemin. Être un bon prof, c’est être d’abord en accord avec soi. Et pour cela, il faut beaucoup se former, beaucoup expérimenter pour trouver cette nécessaire substantifique moelle, ce lapis philosophorum de l’enseignant. C’est d’autant plus nécessaire que, d’une part, chacun d’entre nous vise l’excellence, et d’autre part, il n’y a pas d’autres chemins possibles pour gérer « les élèves à besoins particuliers », dys-quelque chose, TDH ou fort potentiel. À toi donc lecture, forum et stages de formation.

Peut-être un dernier conseil, volontairement succinct. S’exprimer simplement, dans un présent de bon aloi, avec un vocabulaire pas trop riche, afin d’être compris par tous et ainsi éviter toute aporie.

Pour aller plus loin :

De très bonnes fiches conseils sur ce site, incontournable repère de profs !

Un webinaire de Jean-Philippe Lachaux,

De bons conseils de la part d’une association intéressante.

Une chronique de Philippe Crémieu-Alcan

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