Fourier et Bézout

Fourier revisite Bézout

 chronologie

     Joseph Fourier s’est formé en étudiant notamment le Cours de mathématiques à l’usage de la marine et de l’artillerie par Bézout (1730-1783). Cet ouvrage nous donne l’occasion, sur un sujet abordable par un bachelier, de saisir le fonctionnement de la pensée de Fourier qui ne vénère jamais ses devanciers de façon aveugle.

la ligne droite : Pour Bézout : « La trace d’un point qui seroit mû de manière a tendre toujours vers un seul et même point, est ce qu’on appelle une ligne droite. C’est le plus court chemin pour aller d’un point à un autre : AB (fig. 1) est une ligne droite. ».

Bézout, 4e édition, complétée par Peyrard

Bézout, 4e édition, complétée par Peyrard

Remarque : Si Joseph Fourier a parfaitement compris et maîtrisé le contenu de l’ouvrage de Bézout, certains mathématiciens de l’époque n’en acceptaient pas facilement les nouveautés ; ainsi, F. Peyrard (1759-1822) qui préface en 1808 la quatrième édition du cours de Bézout écrit : « Dans cette nouvelle édition, toutes les démonstrations où Bézout fait usage de la méthode des indivisibles, ont été remplacées par des démonstrations à la manière des anciens Géomètres. »

     On trouve dans les papiers de Fourier, accessibles en ligne sur Gallica, des fragments d’un brouillon (écrit vers 1828 ?) de ce qui aurait pu devenir un manuel d’enseignement de la géométrie : « Si ayant marqué sur un plan deux points A et B, on considère tous les points m m’ m’’ m’’’ etc dont chacun est tellement situé que la distance Am est égale à la distance à Bm, et que les distances Am’ soit aussi égale à la distance Bm’ et qu’il en soit de même respectivement pour les autres points m’’ m’’’ etc  la suite de ces points est la ligne droite. Les noms A et B peuvent être regardés de même par la ligne droite m m’ m’’ m’’’»

manuscrit de Joseph Fourier

manuscrit de Joseph Fourier

Gallica : f. fr. 22.519 vue 8.

      La définition de Bézout, intuitive, n’est guère utile pour choisir la meilleure ligne droite entre Paris et New-York : celle du neutrino qui traverse la Terre sans interagir avec la matière ? Celle du projectile qui reçoit une impulsion unique au départ ? Celle du véhicule -bateau, avion- qui se propulse lui-même ?

Fourier propose une construction de la ligne droite basée sur la notion d’équidistance de points. Sa construction est valable ainsi dans une géométrie de Lobatchevski (1792-1856) ou de Riemann (1826-1866) (les grands cercles de la sphère  sont une bonne illustration, simple des droites de Riemann) et plus généralement dans tout espace muni d’une norme et d’une mesure.

Ainsi, aujourd’hui, le voyageur qui interroge son ordinateur pour trouver un itinéraire reçoit des réponses diverses[1] : trajet le plus court en kilomètres ; trajet le plus court en temps ; trajet le moins onéreux… .

[1] Le résultat de ces calculs proviennent d’algorithmes d’optimisation combinatoire -les plus connus étant Bellman-Ford et Dijkstra-. Dans le routage Internet ils s’appellent par vecteurs d’état ou par vecteurs de liens mais, en dépit du mot ont peu ou pas à voir avec les espaces vectoriels.

deux trajets minimum dans un réseau de communication

deux trajets minimum dans un réseau de communication

Il semble que les auteurs de manuels scolaires, soit qu’ils s’y sentent contraints par les programmes officiels, soit par facilité, suivent la pente de F. Peyrard et réprouvent la nouveauté. Ils associent souvent la ligne droite au fil tendu, allant au-delà de Bézout dans l’allégorie. Nous n’avons trouvé que A. Marijon pour présenter la droite comme le préconise Fourier dans ses notes : Géométrie du brevet élémentaire, ouvrage conforme aux programmes de 1920, Hatier, 1923. Les éditeurs quand à eux, s’ils sont frileux dès qu’on leur propose de sortir du cadre des programmes officiels, ne sont pas opposés à introduire dans leurs manuels quelques exercices expérimentaux[1].

[1] Cf. Godinat, Timon, Worobel, MATH CM2, Hachette, 2000, page 216, les Angles cornus (exercice n°745) et Le Trajet le plus court sur un quadrillage (exercice n° 746).

 

 

About cm1

R. Timon, né en 1944 a été instituteur, maître formateur, auteur de manuels pédagogiques avant d’écrire pour le Webpédagogique des articles traitant de mathématiques et destinés aux élèves de CM1, CM2 et sixième.

Category(s): écrits

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